Originaire du quartier de Val Fourré (Mantes-la-Jolie), Niaks dévoile le premier projet de sa carrière, intitulé Commission Rogatoire. Résultat de la collaboration du rappeur de 26 ans et de l’équipe du label indépendant Bylka Prod, l’EP est construit autour d’interludes très cinématographiques dans lesquelles se rejouent des scènes de sa vie. C’est ce « vécu peu commun » qui fait office de fil conducteur à l’ensemble des titres du projet, qui s’imbriquent soigneusement pour construire un tableau brut et authentique. Pour cet exercice, Niaks s’équipe d’une plume affûtée qui s’inspire de certains des grands noms du rap français, d’Expression Direkt à Rohff, à qui il avait dédié le titre Destinée Testament. C’est de la rencontre de cette plume et de la passion de Niaks pour ses prédécesseurs et des productions plus contemporaines que nait son ADN : exercice de style couronné de succès, car Commission Rogatoire entre en 141ème position du Top Albums France !
Ventes Rap : On a senti que tu avais passé un cap avec ton interprétation de Commission Rogatoire sur le Planète Rap d’Uzi… Tu confirmes ?
Niaks : Clairement, oui. C’est le titre éponyme de l’EP, et après mon passage sur Skyrock j’ai senti une montée d’engouement qui m’a donné un argument supplémentaire pour le clipper, même si c’était déjà au programme. Ce qui me fait encore plus plaisir, c’est que les retours sur mes derniers titres (CJD, C’est miné) sont encore différents. Je vois beaucoup de gens en parler sur Twitter… En fait, j’ai l’impression que de nouvelles personnes me découvrent.
Ventes Rap : Après le succès des freestyles Drilluminati, on pouvait s’attendre à un virage vers la tendance drill. Pourtant, le projet est beaucoup plus diversifié que ça !
Niaks : Je m’essaye un peu à tout. Que ça soit sur le chant et la mélodie, on a vraiment essayé d’offrir une carte de visite de ce que je sais produire musicalement, le tout sans featurings. Avec, bien sûr, ce que j’aime le plus : du rap kické à l’ancienne.
Ventes Rap : Finalement, j’ai l’impression de ressentir ta patte quand tu fusionnes des flows classiques avec une production plus moderne. C’est un procédé qui rappelle ta phrase : « ici, la jeunesse pue l’ancienneté »…
Niaks : Bien sur, c’est du « oldschool 2.0 » si l’on peut dire. Chez moi, il y a toujours ce petit côté ancien, ce côté « bon vieux ». C’est lié à mon vécu. Et je ne suis pas le seul qui se réfère à cette phrase, beaucoup dans ma ville ont eu un parcours similaire ou un vécu peu commun. Au-delà de ça, les petits reproduisent le comportement des grands qui ont pris de l’argent et qui ont fait pas mal de choses dans leur jeunesse, même si on leur explique que ça ne vaut pas le coup. C’est dur de rejeter une opportunité facile avec un billet à prendre. Mais quand tu joues avec le feu, tu te brûles.
Ventes Rap : D’ailleurs, j’ai appris que tu avais fait la rencontre de Landy lors de ton passage en CJD (Centre de Jeunes Détenus) ?
Niaks : C’est vrai, on était à côté l’un de l’autre à Villepinte, et surtout on rappait déjà tous les deux ! Il ne s’appelait même pas encore Landy, c’était Flexo à l’époque. J’ai pas forcément essayé de le recontacter, en revanche on s’est croisés une fois pour le tournage du clip de Bolémvn. Je l’ai simplement félicité de ce qu’il faisait et de son parcours et on s’est dit à plus tard.
Ventes Rap : Dans Waingro, tu déclares « en cellule je n’ai pas perdu de temps j’ai gratté jusqu’à plus d’idées ». Est-ce que certains titres de l’EP ont été écrits pendant ton incarcération ?
Niaks : À fond, j’ai gardé quelques phases. Pour te dire, la moitié de Michel Cardon a été écrite en cellule. Michel Cardon qui est un ancien qui a fait un cambriolage qui a mal tourné et après ça il a été un oublié de la justice. Il ne pouvait pas se payer un avocat et il n’avait pas de famille autour de lui, la justice l’a mis aux oubliettes et au lieu d’effectuer une peine de 20 ans il a fait 40 ans. De nos jours en France il y a plein de petits Michel Cardon, ce qui est triste.
Ventes Rap : D’ailleurs, dans Dounia, tu dénonces les pratiques violentes de certains surveillants…
Niaks : Bien sur, j’ai vu des cas comme ça. Celui de Lucas par exemple —paix à son âme, au quartier disciplinaire. J’étais présent durant l’intervention des surveillants pénitenciers qui l’ont maintenu de force pour finalement le tuer. Et c’est récurrent, ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup que j’ai vu. J’ai également vu que quand un détenu n’est pas d’accord ou se rebelle un peu, ils le piquent et le transforment en légume plutôt que de l’enfermer au mitard. Ils ont le pouvoir de changer ta vie en un moment, alors que tu étais simplement énervé par une mauvaise nouvelle ou parce que tu n’avais pas reçu de cigarettes.
Ventes Rap : Tu déclares avoir tourné dans quatre centres pénitenciers, pourquoi autant de transferts ?
Niaks : C’était des transferts disciplinaires, à chaque fois j’avais un contentieux avec des surveillants ou bien avec des détenus. Durant ma dernière année, j’ai été transféré d’Osny à Fleury pour rébellion parce que j’avais bloqué la cour de promenade pour ne pas remonter. J’étais énervé envers un gradé qui avait abusé de son pouvoir. Ils considéraient que j’avais un peu d’influence, et généralement c’est mauvais signe donc ils abusaient un peu de leur pouvoir. De mon côté, j’ai jamais cherché cette influence. Comme disait le bon vieux Rohff, « je respecte tout le monde et je baise tout le monde ».
Ventes Rap : Parmi les phrases récurrentes de l’EP « entouré mais souvent solo » rappelle justement Testament de Rohff. « La solitude c’est ma pote, ma pute, elle me charme en public »…
Niaks : Effectivement, il y a un peu du Rohff et d’Express D dans mes influences, on vient de cette école. On a grandi avec ça, donc indirectement peut-être que ça vient de là. En revanche, quand j’ai fait Testament, c’était un hommage volontaire.
Ventes Rap : Tu déclares avoir passé un an en isolement, est-ce cette solitude permanente en prison qui t’a fait réaliser qu’il valait mieux être seul que mal entouré ?
Niaks : Sur les cinq ans j’ai accumulé un an de quartier disciplinaire en tout , sinon ce n’est pas possible ! Il y a des limites au niveau de la législation, qui sont passées de 45 à 40 puis 30 et enfin 20 jours. Moi, j’ai fait plusieurs fois 20 jours. Sinon c’est tout à fait ça. Une personne ne peut pas se connaître elle même tant qu’elle n’a pas connu la solitude. Quand tu es entouré d’une équipe, tu es influencé inconsciemment par eux. Je me suis retrouvé seul pendant longtemps, et c’est comme ça que j’ai fait la rencontre de ma propre personnalité.
Ventes Rap : Il y a beaucoup de références à des personnages dans ton projet, peux-tu m’expliquer celle de Gog & Magog ?
Niaks : C’est une référence historique. À la fin des temps, le peuple Gog & Magog rasera tout ce qu’il rencontrera sur son passage. Il traversera un fleuve, et cette traversée videra ses eaux.
Ventes Rap : Je m’étais fait le parallèle avec l’introduction dans laquelle la police débarque et rase tout sur son chemin…
Niaks : Il y a un peu de ça. Il y a aussi l’idée que je vais tout prendre, ne rien laisser sur mon passage. « Dans l’équipe il y a Gog & Magog ».
Ventes Rap : Tu ouvres le projet avec la phrase « je porte trop de poids pour bosser les dorsaux », qu’on retrouve également dans Dounia, comme une sorte de fil conducteur.
Niaks : Exact, c’était volontaire. Dans Commission Rogatoire il y a pas mal de référence à d’autres sons. C’est la marque de fabrique de l’EP, je fais souvent des clins d’œil et il y a souvent un mot qui ressort.
Ventes Rap : De quel poids est-ce que tu parles ?
Niaks : Le train de vie et mes responsabilités. Tout simplement.
Ventes Rap : On a l’impression que ton état d’esprit est un peu celui de l’urgence, ou du moins que tu es conscient que tout peut s’arrêter. « À tout moment je risque un mandat de dépôt ».
Niaks : C’est un peu ça. Tu sais j’ai la folie des grandeurs. Auparavant je l’avais dans l’illégal, je voulais tout prendre en faisant du sale. Désormais on essaye de le faire dans le légal. Un braquage de la SACEM au lieu d’un braquage de banque !
Ventes Rap : On pourrait presque faire de ce projet un album plus qu’un simple EP, au vu de la cohérence des interludes, des références d’un titre à l’autre, du champ lexical des morceaux…
Niaks : Beaucoup d’amis me disent ça. Ce n’est pas bâclé, et je pense que c’est ce qui donne ce sentiment. Mais ça, c’est le travail de la BP [ndt. Bylka Prod, producteur de Niaks] ! C’est le professionnalisme, le pragmatisme.
Ventes Rap : Justement, tu travailles avec Bylka Prod depuis mars 2020. Qu’est-ce que le label t’apporte en tant qu’artiste ?
Niaks : Quand je suis sorti, je n’étais plus trop dans l’optique de faire beaucoup de son. J’avais faim et soif, mais pas forcément au niveau de la musique. Dieu merci j’ai de bons amis qui ont insisté pour que je reprenne le rap. J’ai tourné une vidéo, que Rayane de Bylka Prod a bien aimé. On s’est donnés rendez-vous, je lui ai explique qu’après cinq ans de prison je n’avais pas la tête à faire le clown. Depuis, on avance ensemble. Je consacre plus de temps à la musique, je fais des séminaires et je découvre ce nouveau monde.
Ventes Rap : Est-ce que tu te souviens du premier titre que tu as enregistré pour cet EP ?
Niaks : On a enregistré plusieurs sons à Marseille et à Paris et petit à petit, j’ai commencé à rentrer dans le délire de Commission Rogatoire. Le premier que nous avons choisi est Waingro. Le nom Commission Rogatoire me tenait à cœur, et c’est avec Waingro qu’on a commencé à créer l’ambiance du projet.
Ventes Rap : Dans le film Heat, Waingro est un personnage qui trahit son équipe…
Niaks : Plus précisément, c’est le personnage qui trahit l’équipe et qui va donner le plan à d’autres personnes. C’est un clin d’oeil, car j’ai aussi été donné par un indic. Et on retrouve ce personnage dans l’interlude. Tout ce que tu entends dans le projet est tiré de faits réels. Bien sûr, c’est scénarisé, mais en partant de ma vie avant que j’aille en prison.
Ventes Rap : Commission Rogatoire est ton deuxième titre à atteindre le million de vues. Le premier, tu l’avais fait avec Au cœur du ter du ter, extrait de ta première net tape Fuck les shtars. Tu imaginais déjà le parcours que tu aurais ?
Niaks : Ouais exactement, c’est vrai ! Ce parcours exactement, pas forcément dans la vie de dehors car je ne suis pas omniscient. Mais concernant la musique, depuis petit, j’étais persuadé de pouvoir faire quelque chose et de réussir dans ça.
Ventes Rap : D’ailleurs, peu de rappeurs peuvent se vanter d’avoir rappé à 10 ans avec Tunisiano !
Niaks : C’est à l’endroit où se passe la CAN actuellement d’ailleurs. Chaque année il y avait des concerts de quartier, mais c’était énorme car parfois en un concert on avait des grands noms comme Rohff, la Mafia K’1Fry, Tunisiano… Et les grands d’ici m’ont toujours donné de la force, j’arrivais à entrer dans les loges en VIP avec les artistes et je me régalais.
Ventes Rap : Est-ce que tu côtoyais aussi Express D ?
Niaks : Non, pas du tout. Ce sont des anciens d’une autre génération, même si on s’est déjà rencontrés. Ce sont des bons vieux de Mantes. Et d’ailleurs, on les écoutait à fond avant d’écouter qui que ce soit d’autre. Pas qu’eux d’ailleurs. Il y avait VF Gang, HP, Toxic…
Ventes Rap : Les scores de l’EP Commission Rogatoire sont très encourageants, il a d’ailleurs récemment atteint le million de streams sur Spotify ! Cet engouement, est-ce que tu le ressens également à l’extérieur ?
Niaks : Oui, d’ailleurs ça m’est déjà arrivé que des gens m’arrêtent dans la rue. Surtout que je suis quelqu’un qui voyage beaucoup. Je n’aime pas rester plus d’une semaine sur place. C’est en visitant d’autres villes prends la température, les gens ne me voient bien sûr pas comme une star mais ils me reconnaissent et ça fait plaisir de voir qu’on m’écoute un peu partout en France et en Belgique. Je me suis également fait repartager en story par Ninho, Hornet, Zamdane, Djadja & Dinaz, ISK… Ce sont des braves, ils donnent de la force et je ne peux que les remercier.
Ventes Rap : En parlant de voyages, tu en as fait un à Sarajevo pour le clip de CJD…
Niaks : Tout à fait. Rayane m’a demandé où je voulais clipper le titre. L’instru et la voix derrière me me rappelaient les pays de l’Est et les Balkans, j’hésitais entre la Tchétchénie et la Bosnie. Finalement, on a choisi Sarajevo avec toute l’histoire de cette ville. Ce n’était pas ma première fois dans les pays de l’Est, tu comprendras en écoutant Dame Blanche ! Par contre, c’était ma première fois en Bosnie.