Après s’être dévoilé avec Réel, un premier projet dans lequel il présentait son univers, Geeeko fait son grand retour avec Irréel. Cet opus, qui se veut plus introspectif que le précédent, marque également un gain de maturité. Accompagné de Frenetik, Chanceko, YG Pablo ainsi que Squidji, l’ambiance et les connexions demeurent naturelles créant un mélange de sonorité captivant. Entouré d’une équipe solide qui le conseille à merveille sur tous les aspects de son art au niveau du visuel et de la musicalité, l’artiste crée pierre par pierre un empire créatif qui pourrait bien faire bouger la scène belge…
Ventes Rap : Pour commencer, est-ce que tu peux parler de ton séminaire à Marseille ?
Geeeko : Je suis parti là-bas pour terminer le projet. En plus, j’ai vu que Frenetik était à Paris, donc je lui ai dit de descendre sur Marseille pour qu’on taffe ensemble. Ça a donné Rooftop, qui est sur le projet, en fait ça fait longtemps qu’on devait faire quelque chose en commun.
Ventes Rap : Les titres avec Chanceko et YG ont aussi été enregistrés à Marseille ?
Geeeko : Pour YG on a fait ça à Bruxelles, j’avais déjà fait un son mais le deuxième couplet on ne l’aimait pas trop et on s’est dit qui pourrait matcher sur ça. YG, c’est l’homme des mélodies, donc ça a matché fort. Il est venu, très bon élève, il a placé le truc en deux-deux, il a découpé ça et il nous a respecté. Quant à Chanceko on a fait ça à Paris, on s’est vus dans un hôtel et on a fait ça là-bas jusqu’à 7h du matin. Le mec est grave méticuleux, c’est cool.
Ventes Rap : C’est intéressant comme connexion parce qu’on a l’impression que vous avez deux modes de fonctionnement très différents : toi à l’instinct, lui de manière plus intellectualisée…
Geeeko : C’est vrai que je fonctionne plus à la spontanéité mais c’est bien justement, parce que ça m’oblige à porter attention à des détails. Je déteste retoucher des morceaux, si je retouche un morceau je vais perdre la vibe que j’avais quand je l’ai créé. Personnellement je trouve que même s’il y a un petit défaut, cela va faire la beauté du morceau. On n’est pas parfaits dans la vie de tous les jours donc on ne peut pas être parfaits en chanson. Parfois, c’est bien aussi de retravailler dessus évidemment.
Ventes Rap : Ça fait penser au morceau Veine, sur lequel on ne comprend pas tout ce que tu dis !
Geeeko : Mes managers m’ont dit de le refaire, mais j’ai préféré le laisser comme ça pour que les gens sachent de quoi je parle. Si je n’avais pas mis ce titre tu aurais pu comprendre autre chose. J’avais vécu un épisode et le lendemain je me suis retrouvé au studio et je l’ai raconté tel quel. Il fallait qu’il reste comme ça. Quand tu retouches trop un son tu perds la vérité dedans. Il y a plein de sons que j’ai perdu comme ça, à force de retoucher je n’en avais plus envie…
Ventes Rap : Ça doit être difficile de choisir ta tracklist dans ce cas…
Geeeko : À fond. On fait tellement de sons depuis Réel qu’il faut bien choisir pour former une bonne ambiance sur le projet, ce qu’on a essayé de faire.
Ventes Rap : D’ailleurs, c’était voulu qu’Irréel s’ouvre avec Mauvais ?
Geeeko : À la base, non. C’était 1000 qui était en premier, mais le problème c’est qu’après concertation avec mon équipe on s’est dit que ce son-là était un peu trop ambiancé et agressif pour ça. Il fallait qu’il arrive un peu plus tard. Au final on a choisi Mauvais, qui donne une bonne entrée dans l’album et dans mon univers. Si tu remarques bien, c’est un mot qui est récurrent le long de l’album dans mes morceaux.
Ventes Rap : On ressent bien l’influence de Travis Scott dessus, d’ailleurs.
Geeeko : C’est vrai. C’est dans mon inconscient, j’écoute à fond Travis, Saint John… Donc forcément, ça m’influence. Mais à aucun moment je me dis que je vais faire du Travis, j’en écoute tellement que ça me vient naturellement. Certains de mes adlibs ressemblent aussi à ce qu’il fait, mais j’essaye toujours de conserver mon identité par dessus mes influences.
Ventes Rap : Tu disais avoir trouvé cette identité musicale après Fuckd Up…
Geeeko : C’est toujours le cas. Mais quand tu trouves ton identité musicale, à un certain moment, tu vas rencontrer des personnes qui vont la faire évoluer. Je n’ai plus la même identité qu’au moment de Fuckd Up, mais c’est sur ce morceau que j’ai trouvé mon timbre de voix et qu’on a pu identifier la marque Geeeko. Avec le temps, j’ai commencé à élargir ma palette de voix, c’est un processus qui se fait tout seul.
Ventes Rap : Justement, sur Irréel on a l’impression que tu conserves autant que possible ta voix au naturel, alors que sur Réel, il y avait une alternance entre passages graves et aigus. Comment ça se fait ?
Geeeko : Je n’ai pas essayé de forcer. Le premier projet, on voulait faire le maximum d’expérimentations sur les sonorités et les couleurs afin de repérer ce qu’aime le public. Mais sur celui-ci, j’avais envie que ça soit spontané. J’avais besoin de m’ouvrir à d’autres sonorités sur ce projet, d’ailleurs je pense qu’on sent qu’il y a un gain de maturité.
Ventes Rap : En parlant d’ouverture à d’autres sonorités, tu prenais des cours de chant avec un certain Mano à l’époque ?
Geeeko : Oui, sur une courte période… Un mois ou deux. Il m’a montré des techniques de chant, comme mettre un crayon dans la bouche pour m’entrainer à mieux articuler ou bien au niveau de la respiration, car j’ai un problème en tant que fumeur. C’était plein de petits exercices qui ont l’air bête mais qui m’ont aidé à bien développer ma voix.
Ventes Rap : Ressens-tu une différence au niveau de la maitrise vocale entre ton ancien projet et celui-ci ?
Geeeko : Bien sûr, je maîtrise mieux ma voix. Je peux monter plus facilement dans les aiguës. Dans l’ancien projet quand je montais, je faisais directement la « high note », alors que là j’arrive à trouver une voix entre. Ce sont des choses que j’ai appris en travaillant avec Chanceko, entre autres.
Ventes Rap : On sent d’ailleurs que tu affectionnes ce procédé qui consiste à monter dans les aiguës…
Geeeko : Ce n’est pas forcément voulu, j’adore la mélodie et ça vient inconsciemment. Parfois il y a des vibes que je vais poser naturellement, on va me demander de les refaire et je ne pourrai pas parce que je vais trop réfléchir. Je fonctionne à l’instant, parfois je vais te faire des vibratos ou autres… Tout me vient comme ça, en fonction du moment.
Ventes Rap : Pour la mélodie, c’est un peu la même chose ?
Geeeko : La plupart du temps, ouais. Avec Chuki par exemple, en studio, il fait une prod, je topline dessus et en une heure ou deux le son est déjà fini. Mais je travaille aussi avec des personnes comme PH, qui va plus me pousser sur le texte, sur la conception d’un morceau.
Ventes Rap : D’ailleurs, PH est très présent sur Irréel. Quelle est sa contribution à ton travail ?
Geeeko : PH c’est un gars qui comprend mon univers, mais qui ne me laisse pas y rester en permanence parce qu’il sait que je dois plaire à un certain public. Les Français sont attachés à la langue, alors qu’aux États-Unis c’est toujours les ambiances qui passent en premier. PH m’aiguille justement du côté des textes, des métaphores, il m’apprend à jouer avec les mots.
Ventes Rap : On remarque des références qui se suivent sur les clips de Rodéo puis Noche, est-ce que ça annonce un triptyque comme celui de Fuckd Up, Fendi et Lean ?
Geeeko : Tu sais que ce n’était pas prévu ? En fait, même pour Fuckd Up et sa suite, rien n’était prévu. C’est Johan, mon réalisateur, qui est trop chaud. Il va écouter plusieurs sons à moi puis dans sa tête il va associer les thèmes des différents morceaux. Fuckd Up et Fendi n’étaient pas sensés sortir en même temps, mais lui a eu cette vision. Rodéo pareil, il l’allie avec Noche. On lui fait totalement confiance, il sait dans quoi il s’aventure.
Ventes Rap : Pour faire référence à Enfant de la Hess et Fondateur d’Empire (E.H.F.E) on sent que tu es en train de créer un « empire » en t’entourant de personnes clés qui t’inspirent musicalement ou visuellement…
Geeeko : C’est chaud que tu connaisses, c’est pas tout le monde qui le retient. Frenetik, Chanceko, YG… On est tous des rookies pour l’instant, on doit encore prouver et on se regroupe pour se donner la force mutuellement et arriver au sommet. Ça fait partie de l’empire, c’est la détermination. Même si on n’est pas de la même ville tu vas trouver quelqu’un qui a la même mentalité que toi. C’est la musique qui nous a rassemblés.
Ventes Rap : Sur cet album, on ressent une facette beaucoup plus personnelle. C’est le cas ?
Geeeko : Ouais, c’est bien plus Geeeko. Il fallait que je délivre quelque chose, c’est bien de faire sauter les gens mais il faut aussi les toucher intérieurement. Dans le prochain projet il y aura peut-être plus d’ambiance ça dépend. Réel était plus dans un mode turn up avec des sons pour les concerts. Mais cette fois, vu qu’il n’y avait pas de concerts, j’ai pu mieux placer des phases ou exprimer des émotions plutôt que de les distiller un peu partout dans les sons ambiançants que j’ai l’habitude de faire.
Ventes Rap : Dans Mauvais élève il n’y a aucun back. C’est voulu ?
Geeeko : PH m’a dit qu’il n’y avait pas besoin. Les Américains font parfois ça aussi. C’était la première fois que je travaillais avec lui, j’ai directement constaté que c’était différent. J’ai voulu prendre mon téléphone pour écrire, il m’a fait comprendre que ce n’était pas comme ça ici, j’ai carrément dû prendre un calepin pour écrire dessus. C’était une autre manière de voir les choses, et je lui ai fait confiance sur ça. Au final c’était une putain d’expérience, il m’a fait voir la musique d’une autre manière.
Ventes Rap : L’utilisation de la guitare est assez récurrente dans tes prods, est-ce que c’est un instrument que tu affectionnes particulièrement ?
Geeeko : C’est vrai, mais ce n’est pas forcément voulu. Jaime bien le rendu de la guitare, mais en ce moment j’ai plus envie de faire du piano-voix pour donner un aspect plus mélancolique. j’ai rencontré des personnes qui faisaient passer des trucs incroyables avec un piano et ça m’a inspiré.
Ventes Rap : Donc tu comptes rester dans la lignée de ce projet, moins percutant et plus introspectif ?
Geeeko : Ça dépend ! Tu vois Habitué de Dosseh, c’est calme mais ça envoie. Ça dépend de quel turn up je vais faire. Le turn up où ça crie partout, ça va forcément continuer mais moins qu’avant. J’ai envie de faire un truc sophistiqué et esthétique. Mauvais élève, par exemple, c’est esthétique et tu peux sauter en concert.
Ventes Rap : Est-ce que tu t’intéresses un peu aux scènes émergentes des États-Unis ?
Geeeko : Des artistes en tous cas, oui. En ce moment, je suis sur un gars qui m’inspire beaucoup, Tobilou. Il prend énormément de risques, le rendu est carrément bizarre mais moi j’adhère. C’est comme RMR le mec cagoulé avec des kalashs qui chante. Les artistes qui assument à 100% leur musique, c’est ce que j’aime le plus.
Ventes Rap : Est-ce que la consécration ça serait de faire un concert en Afrique ?
Geeeko : Fort, la première étape serait la Côte d’Ivoire puis le Burkina et enfin le Rwanda, obligé. Même dans Réel , il y a des sonorités un peu afro, c’est un truc qui se fait inconsciemment vu que j’ai grandi là-bas. Même dans ma manière de parler parfois, je me mets un petit accent, ce n’est même pas pour me donner un style c’est juste naturel. Ça fait partie de moi, dans mes prochains projets je vais essayer d’encore plus montrer cette facette-là de moi, j’essaye d’abord que les gens accrochent au Geeeko de Bruxelles avant de vraiment leur faire découvrir Jonathan. Jonathan c’est le vrai moi, celui qui a vécu en Afrique et Geeeko c’est le gars de Bruxelles.
Ventes Rap : Ton manager est l’ancien manager de Stromae, peux-tu m’expliquer son rôle dans ta façon de concevoir la musique ?
Geeeko : Il m’aide sur tout, me parle des éditions par exemple… Il m’aide à comprendre les codes du milieu pour pas que je me fasse avoir plus tard. C’est vraiment un gars qui a envie que je réussisse, il me suit plus qu’en dehors de la musique. Il me suit dans la vraie vie il me conseille financièrement et sur d’autres choses. Il fait plus que son travail, autant lui que mon deuxième manager. Je suis bien entouré.