Originaires de Marseille, plus précisément du quartier Félix Pyat, les rappeurs de la Guirri Mafia nous dévoilent leur deuxième projet commun. Intitulé Clan Otomo en référence au film Outrage, dans lequel Takeshi Kitano nous plonge dans l’univers en pleine mutation des yakuzas. On y retrouve Jul, Naps, SCH, Soprano ou encore A6dii… une tracklist entièrement marseillaise, à l’image d’artistes qui ont fait de l’instinct humain la qualité première de leur musique. Pour autant, Clan Otomo surprend d’emblée par la diversité des couleurs, qui donne vie à un patchwork d’ambiances d’un sombre profond, parcouru ici et là d’éclaircies festives. De quo retenir l’attention de ceux des auditeurs qui avaient découvert le groupe marseillais après sa participation à la compilation Bande Organisée. L’album s’impose comme un mélange d’inspirations, qui renforcent la cohérence du groupe tout en permettant à ses membres d’affirmer des identités bien à part l’une de l’autre.
Ventes Rap : Quel titre avez-vous enregistré en premier ?
Guirri Mafia : Le son le plus vieux de l’album, on se disait que c’était impossible qu’il soit dedans. C’est Boulevard des allongés. Il est particulier. On l’a enregistré il y a trois ou quatre ans, on avait reçu des coups de fils d’un collègue sur la situation d’un autre collègue… On était obligé de le faire. Et on l’a fait sur le moment en gardant l’émotion. On a commencé à travailler sur l’album 2015, on faisait plein de morceaux mais on les jetait parce qu’on était exigeants. On a dû jeter l’équivalent de cinq projets facilement. Au fur et à mesure on changeait d’avis, les instrus vieillissaient…
Ventes Rap : Sur le Planète Rap de Soprano, vous avez dévoilé un titre intitulé Marie qui a rencontré un certain succès…
Guirri Mafia : Le morceau devait être sur l’album mais on s’est impatientés. Au final, on l’aimait tellement qu’on l’a balancé au Planète Rap de Soprano…
Ventes Rap : Pour parler de collaborations, on vous a aussi retrouvé en compagnie du Le Rat Luciano, de Fahar ou Stone Black sur la compilation 13 Organisé. Un moment marquant de l’année ?
Guirri Mafia : Carrément, surtout que 3ème œil, la Fonky Family, et Carré Rouge sont des influences pour nous. Pour des gens de notre génération, se retrouver dans un morceau aux côtés de ces artistes, c’est exceptionnel. C’est Marseille. Le Rat Luciano, ici, en plus c’est vraiment quelqu’un, c’est limite comparable à Zidane. C’est une personne humble et charismatique que tout le monde adore, donc on était d’autant plus fiers de poser sur une compilation avec lui.
Ventes Rap : En 2017, on pouvait vous retrouver sur la compilation Talents Fâchés 5 (Ikbal). Un an plus tard, on vous retrouve avec Rohff. Comment la connexion s’est faite ?
Guirri Mafia : La connexion elle s’est faite naturellement. Rohff c’est un gros guirri. Dès qu’il est sorti de prison en janvier 2020 il est directement descendu à Marseille pour clipper le morceau avec nous. C’était un gros rassemblement c’est limite si tout Marseille n’étais pas là. C’était une belle journée.
Ventes Rap : Rolexé est à la fois le premier extrait de l’album, et le dernier titre de la tracklist…
Guirri Mafia : One ne savait même pas que ça serait le dernier de la tracklist, ça s’est fait au feeling. C’est un son qui sonnait bien estival, on s’est dit qu’il fallait le clipper et l’envoyer. Il a vraiment une touche marseillaise, avec par exemple l’utilisation du « et mercé ». Pour nous, c’était normal de le sortir en premier, c’était une manière de faire plaisir au public.
Ventes Rap : Et pourtant, y compris sur les titres les plus colorés, on retrouve une écriture assez sombre !
Guirri Mafia : C’est ça, c’est pour ça qu’on reste guirri dans l’attitude. On va essayer de faire bouger les gens, qu’ils dansent… Tout en gardant cette empreinte qu’on ne peut pas enlever.
Ventes Rap : D’ailleurs, on sent la volonté de passer de l’un à l’autre très rapidement, comme des montagnes russes. C’est volontaire ?
Guirri Mafia : Ouais totalement, c’est fait exprès. Pour que chacun puisse choisir ce qu’il aime dans nos morceaux et que l’auditeur adhère à notre style. Comme ça l’album tourne. Tu peux mettre n’importe quel son au hasard, le prochain va te donner envie de continuer. C’est aussi les ambiances retranscrites du studio. Il y avait des jours on était festif, d’autres où on était vraiment sombres tu vois, du style Clan Otomo.
Ventes Rap : D’où vient ce nom de Clan Otokomo ?
Guirri Mafia : Je ne sais pas si tu as vu le film Outrage, c’est un film japonais et le boss dedans est joué par Takeshi Kitano. C’est le chef du clan Otomo. Et comme on nous faisait souvent la réflexion qu’on est comme un clan, une équipe, un gang. On a regardé ce film et ça nous a tapés à l’œil. On voyait les yakuzas, les actions dedans, la violence, ça nous a inspiré et ça nous a parlé. On s’est identifiés à ça.
Ventes Rap : Beaucoup de groupes de rap ont une sorte de schéma type, en fonction des affinités de chacun, mais j’ai pas l’impression que ce soit votre cas.
Guirri Mafia : Si on devait dire qu’on est dans ce schéma, ce serait le Loup (Malka) aux mélodies. Ça lui vient naturellement. Mais en réalité, la répartition se fait toute seule. Par exemple, si Gravou se sent bien de faire un refrain, il le fait et on le garde. Et c’est exactement pareil pour les autres membres du groupe, c’est selon l’humeur du moment. Il y a des sons où on a au moins cinq refrains facile quand on est bien inspiré. Et on choisit en fonction de celui qu’on aime le plus. Quand toute l’équipe valide, on garde le refrain. On essaye toujours de s’aider entre nous pour améliorer le refrain et garder notre empreinte. Pour les couplets, ça fonctionne un peu de la même manière.
Ventes Rap : Sauf erreur, vous n’êtes pas que quatre dans la Guirri Mafia. Est-ce que les autres membres vous aident à concevoir vos morceaux ?
Guirri Mafia : On a commencé à plusieurs et on n’est pas que quatre, il y a beaucoup de membre dans l’ombre aussi. On doit être une petite douzaine. On se regroupe souvent au studio. On a tous plus ou moins baigné dans la musique. Certains en ont fait une vocation, d’autres non. Il arrive qu’au studio un frère me dise « non, il faut pas écrire comme ça » ou me donne quelques conseils sur des phases, on travaille ensemble. Certains font même des textes mais ne les rappent pas.
Ventes Rap : Sur un autre sujet, on sent que vous avez cherché à étendre votre éventail de sonorités avec Clan Otomo.
Guirri Mafia : On fait de la musique depuis longtemps et on ne voulait pas se contenter d’un seul style musical, on voulait aussi faire plaisir à notre public en leur démontrant ce qu’on sait faire. Et puis c’est normal, au fur et à mesure des années on prend en maturité et dans notre façon de penser ainsi qu’en compréhension de la musique. On est plus les mêmes qu’au début et ça se ressent. On comprend bien mieux les placements, les mélodies, on apprend tous les jours. On a vécu pas mal d’aventures, on est bien plus aguerris qu’avant. Gravou il fait du son depuis 2005, Malka est arrivé un peu plus tard mais avait déjà commencé en solo. C’est un collègue qui nous a rassemblés.
Ventes Rap : Vous vous souvenez la première fois que vous avez enregistré en studio en tant que Guirri Mafia ?
Guirri Mafia : C’était en 2012 ou 2013, soit avec Faut des thunes, soit avec Guirri Mafia. On a mélangé le collectif et on fait ses sons, puis après il y a eu Cafouillage avec Jul et Elhams. On voulait juste rassembler tout le monde et faire un bon morceau, maintenant ça fait une belle boucle avec Jul qui pose sur notre album. On a toujours eu cet esprit de rassemblement où on voulait faire croquer les autres. C’est très important qu’on avance tous ensemble. On était les premiers petits jeunes à ramener Jul et les autres et se faire kiffer à rapper tous ensemble. On adore vraiment le rap, on est des passionnés sinon on aurait pu faire autre chose. Ça nous écarté de pas mal de choses négatives.
Ventes Rap : On vous sentait déjà déterminés depuis la sortie du son Ah oui oui oui en 2013…
Guirri Mafia : C’était notre premier clip. Il avait fait des dégâts. À noter aussi que c’était rare le million de vue à l’époque, 100 000 vues sur un clip c’était déjà quelque chose. Carrément, dans la rue, on croisait des gens qui nous criaient « ouais million de vue ! ». C’était rien pour nous, on calculait pas, on faisait notre vie. On a jamais changé de mentalité. Aujourd’hui tu vois des rappeurs qui font des millions des vues et qui pètent leur tête. Mais pas nous. Le son dégage une énergie incroyable, et avec le temps il ne vieillit pas en plus.
Ventes Rap : Comment se passe les placements des textes dans un groupe comme le vôtre ? Est ce que le format est toujours celui du 12 mesures ?
Guirri Mafia : Déjà on est quatre, donc le morceau ne pourra pas être trop long. On part d’une base à 12 mesures, mais si l’un de nous a 8 mesures et le suivant 16, ce n’est pas vraiment un problème, on laisse comme tel. Dès que c’est un bon cocktail, on envoie.
Ventes Rap : Vous avez fait pas mal de scène sur Marseille, malgré la situation est-ce que vous avez pensé certains d’entre eux pour la scène ?
Guirri Mafia : Ouais il y en a. Tu as Pilotes, Clan Otômo… On ne s’est pas dit qu’on allait spécialement les faire sur scène, mais quand tu crées un. morceau tu l’imagines forcément joué sur scène et ceux là, on sait que ça va être exceptionnel. Le morceau Saloperie ça va être quelque chose aussi, je le vois direct. Pour la scénographie ouais, on est sur scène depuis longtemps on passait dans les guinguettes à Marseille, dans les concerts des MGC, dans les concours, qu’on remportait d’ailleurs, on a tout fait. Donc la prestation scénique on sait comment faire. Dès le début on savait déjà comment travailler la chose, comment bouger, comment faire. On voulait se démarquer et en plus chacun a une attitude différente ça fait notre force aussi.
Ventes Rap : On sent justement que vos influences c’est en même temps votre force qui vous démarque, rien que pour vos inspirations qui doivent être différentes.
Guirri Mafia : C’est vrai, certains écoute Atlanta, d’autres le rap français. Moi (Gravou) j’étais plus à l’époque sur le rap français, Nessbeal, Salif, Don Choa, Ghetto fab, la Cliqua. Nous en fait on est l’époque des temps modernes. On est entre l’ancienne génération et la nouvelle. On est bien situé. Avec l’expérience qu’on n’a pas acquérir dans ce milieu-là, avec ce qu’on a pu écouter au fur et à mesure, on essaye d’adapter ça à notre sauce et futuriser tout ça. En gardant notre touche Guirri.