Le 28 Octobre 2016, l’un des rappeurs cagoulés les plus en vue de l’hexagone, alias Kalash Criminel, sortait son premier projet intitulé RAS. Ce dernier était qualifié d’EP dans un premier temps, pour devenir une mixtape dans un second, bref nous avons un peu de mal à nous y retrouver parmi tous ces termes, c’est pour cela qu’on le qualifiera de carte de visite. Kalash Crimi s’est démarqué par son style simple et efficace, mais avant toute chose, intéressons-nous à la génèse de ce projet avant de le décortiquer.
Trois ans auparavant, un autre rappeur des Rougemont en la personne de Kaaris avait fait parler de lui en sortant son premier album Or Noir, considéré par beaucoup comme un des derniers classiques du rap français. Outre l’impact de ce projet de par son style musical, il est intéressant de constater que par la suite, les rappeurs des Rougemont ont bénéficié d’un plus au niveau de l’exposition, ce qu’ils n’avaient jamais connu auparavant. On peut notamment penser à Ixzo et Solo le Mythe (et Bolo, à une époque, mais sa notoriété s’était surtout faite dans le milieu du rap underground et n’avait aucun rapport avec Kaaris).
Entre tout ce beau monde, il y avait une autre génération de rappeurs plus jeunes aux Rougemonts, dont Vinkoss, Kof-Kof, Docks et enfin le Hall 14. C’est à travers ce groupe que Kalash Criminel a fait ses premiers pas dans le rap. Quelques sons balancés par ci par là sur des faces B, histoire de mettre le pied à l’étrier… Ces sons étaient sortis à la même époque que la promotion du second album de Kaaris Le Bruit de mon âme. A l’occasion de cette sortie, K2A s’est vu accorder un planète rap, au cours duquel Kalash Criminel fera sa première apparition en freestyle.
Premier choc : voir un albinos cagoulé qui rappe ! Second choc, et allant au-delà du physique, un rappeur qui a une dalle impressionnante, comme s’il avait tout à prouver sur cette unique apparition ! Toutes proportions gardées, cela me fait penser aux freestyles Time Bomb où les rappeurs devaient absolument se mettre en avant durant ces exercices, à cause du peu d’apparitions qu’ils avaient à l’époque, en plus du fait qu’internet n’était pas aussi développé. Une fois cette analogie mise de côté, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entrée en matière de Kalash Criminel dans le monde du rap est plus que réussie. L’exposition de Kaaris a permis une fois de plus à un nouveau rappeur de se faire remarquer, montrant ainsi l’impact du K Double Rotor a à l’échelle locale.
Entre ce freestyle et la sortie de son premier projet, Kalash Criminel a accentué son style de brute cagoulée tout droit sorti de Sevran les R, à travers divers freestyles et collaborations (Sofiane, Ixzo, Kaaris), préférant se lancer en solo, plutôt que se lancer avec le Hall 14. Cela peut s’expliquer par son style atypique, et son surplus de personnalité en comparaison avec ses comparses du groupe de ses débuts. Le résultat : des millions de vue en pagaille sur tous ses clips qui ont amené à une signature chez Def Jam France, pour sortir sa carte de visite RAS, entrons en immersion dans ce projet comme l’avait fait De Villardière dans leur quartier.
Avant la sortie du projet, nous connaissions déjà 5 titres qui avaient été clippés, et c’est plutôt une bonne chose car l’univers visuel de Kalash Criminel apporte une véritable plus value à ses sons. A l’époque où un son se regarde, beaucoup restent bloqués sur le fait que Kalash a un style atypique et une identité visuelle, au lieu de se concentrer sur son rap. Le projet court présente également l’avantage de pouvoir faire vivre le projet sur la durée en le clippant entièrement. Sur la conception du projet en lui-même, j’aurais peut-être mis le fédérateur 10-12-14 Bureau plus haut dans la tracklist, mais ce n’est qu’un détail.
Rentrons dans l’univers de Kalash Crimi: l’identitécCongolaise est clairement revendiquée, en attestent les multiples références, très éclectiques d’ailleurs, passant de Yannick Bolasie, au génocide qui a actuellement lieu là bas, à la gastronomie locale. Dans un premier temps, ça présente l‘avantage de pas tomber dans la caricature du rappeur cagoulé, complètement tourmenté, et dans un second cela permet d’aporter une caractéristique pour l’identifier.
En dehors de ses origines, on retrouve les thématiques des rappeurs de quartier lambda, c’est-à-dire braquage, règlement de compte, bicrave, etc… En fait son rap est le reflet de son quartier, malheureusement connu pour ses faits divers et heureusement connu pour la qualité des rappeurs.
Son champ lexical de rappeur de quartier pourrait être considéré comme lassant au bout d’un moment mais Kalash Criminel a su développer une identité qui lui est propre avec sa cagoule, sa couleur de peau, et sa forte identité Congolaise.
Désormais, intéressons-nous au gros point noir de Kalash Criminel, son écriture… Voici pêle mêle quelques phases beaucoup trop faciles qu’on peut retrouver dans son projet:
- « Si t’es chaud tu finis glacé »
- « La violence gratuite peut coûter très cher »
- « On peut te refroidir même si t’es tous les jours dans le four »
- « Je suis un non fumeur qui peut te passer à tabac »
- « On va t’allumer pour t’éclairer »
Au moins, on peut se rassurer en se disant que les mauvaises phases de Kalash Criminel seraient d’excellentes phases pour Fababy. Blague à part, en dehors du fait que ce soit banal, les rimes deviennent trop téléphonées et le rendent trop prévisible. Cependant, bien qu’en faisant des rimes simples avec des adjectifs contraires, on ne perd pas en efficacité et ça me permet de faire une transition parfaite avec les gros points forts de Kalash Criminel.
Alonzo disait en interview que le plus compliqué était de faire des choses simples, en parlant de Jul, et avec Kalash Criminel, on reste dans ce registre. Malgré certaines punchlines qu’on pourrait trouver sur des pages Facebook avec des noms pompeux style « Les Meilleurs Punchlines du Rap Français », « Le Rap Français, Le Vrai » , Kalash Criminel réussira toujours à nous ambiancer avec sa prestance naturelle et surtout sa palette technique. Au niveau de l’intonation, de ses gimmicks et de ses placements, tout est bien exécuté et c’est même très impressionnant aux premières écoutes.
Cependant, au bout d’un moment on finit par se lasser car c’est constamment le même flow. Il aurait été appréciable que le rappeur cagoulé des Rougemonts prenne plus de risques à certains moments en termes de flows voire de productions. A l’écoute de la mixtape, j’ai vraiment eu l’impression que Kalash Criminel se reposait sur ses acquis afin de rendre un projet propre, trop propre.
On pourrait même croire qu’il tombe dans la facilité par peur de prendre des risques en innovant musicalement. En prenant l’exemple de ses refrains, toujours une phase répétée en boucle (refrain trap), qui peut être transposée d’un son à un autre. Alors, oui, c’est efficace mais c’est systématiquement la même chose. Ce qui peut lui être préjudiciable à terme, car Kalash Criminel a l’effet nouveauté avec lui, son univers atypique mais il peut très vite lasser s’il ne s’essaye pas à d’autre registre et n’évolue pas.
Lorsque je parlais de productions, je pensais notamment à Tu sais où nous trouver, me faisant vraiment penser à une production type beat très simpliste et minimaliste, qu’il plie parfaitement, mais je trouve que c’est à la portée de beaucoup de rappeurs (dotés d’une certaine aisance technique) de faire cela. En fait Kalash Criminel est un bon rappeur mais il a encore un cap à franchir sur tous les domaines suscités avant d’être parmi les meilleurs.
D’ailleurs, et à titre personnel, je trouve que sur les featurings avec Kaaris puis Sofiane, ces derniers étaient plus marquants (certes Kaaris a eu un refrain en plus) sur les couplets, montrant la différence entre des gens qui ont plus de bouteille que lui…
Ce qui permet d’enchaîner sur les featurings du projet, l’apparition de Douma est assez anecdotique (ni bon, ni mauvais), il faut savoir que Douma et Kalash Crimi sont cousins, ce qui explique peut-être sa présence. Il y a également Shamba avec le Hall 14… La production de ce son est excellente, c’est mon son préféré du projet, je ne m’attendais pas à ce qu’il choisisse une instrumentale de ce genre (surprenante même par rapport aux autres productions du projet) et le résultat est très concluant, chacun livrant un très bon couplet. Je préfère Kalash Criminel aux autres membres du Hall 14 sur ce son, par rapport à sa prestance et son charisme, ce qui explique, à mon sens, pourquoi c’est le premier du groupe à avoir « émergé » en solo.
Le format 10 titres est plutôt un bon choix car le projet est sympathique dans l’ensemble et glisse tout seul, rien de transcendant certes. Vous vouliez du Kalash Criminel pur et dur ? Vous serez servis ! Si je devais établir un parallèle avec un rappeur de sa génération, ce serait sans doute avec Ninho SDT, les deux ont sorti leur projet à une semaine d’intervalle, ont un style de rap très street, et se cherchent encore sur certains domaines bien qu’il y ait un potentiel indéniable chez ces rookies !