Pour le rappeur Bones du collectif TeamSESH, Elmo O’Connor de son vrai nom, les récents décès d’XXXTentacion ou Lil Peep sont un infanticide. Fort d’une folie créatrice et d’une productivité exceptionnelle sur ces dix dernières années (on comptabilise environ 80 projets de ses débuts à ce jour), il a été pionnier de la mouvance emo qu’allaient adopter certains artistes rap et qui, par extension, allait embraser une génération entière. Les productions au service d’ambiances tantôt dépressives, tantôts horrifiques, les boucles obscures de guitare, les mélodies désincarnées, les hurlements empruntés au Heavy Metal, l’imagerie VHS… Bones a été un véritable pionnier dans la synthèse de toutes ces composantes au travers de son oeuvre. Originaire de la cité des anges, c’est pourtant vers les ténèbres qu’il se tourne de projet en projet. Bien que très discret médiatiquement et dans ses sorties publiques, il est une figure incontournable du rap underground et un véritable roi de SoundCloud. Ce n’est pas pour rien que le célèbre Fred Durst, leader du culte groupe de Nu-Metal Limp Bizkit, l’a pris sous son aile et est devenu son manager. Sa soif de création presque maladive rend difficile la tâche de retenir un album en particulier, mais après mûre réflexion c’est sur SCUMBAG, son 27ème album sorti en 2013, que notre choix s’est porté.
SCUMBAG de Bones, la porte d’entrée du tournant emo du rap
Dans la Divine Comédie, légendaire poème de Dante Alighieri, le vestibule de l’enfer symbolise la première étape dans laquelle les âmes damnées sont plongées avant de rejoindre l’éternité de l’enfer. En transposant cette imagerie au rap, SCUMBAG est une porte d’entrée du rap vers des tendances emo empruntées à d’autres genres et des thématiques liées à la santé mentale. Si Bones semble avoir nagé aux confins des ténèbres lors de la conception de son projet, il en a assurément profité pour ouvrir la voie à d’autres artistes : sa voix grave raisonne comme le dernier souffle d’une vie pleine de mélancolie, d’angoisses, de peines amoureuses. Ces sentiments, il les partage sans filtre ni concessions sur des pistes instrumentales toutes plus sombres, poussiéreuses, bizarres les unes que les autres. Au-delà des échos qu’il suscite au moment de la sortie, Bones aura avec SCUMBAG une influence à la fois musicale et textuelle sur une génération entière d’emo-rappeurs : les $uicideBoy$, Lil Tracy mais aussi Lil Peep et XXXTentacion, cités précédemment. De surcroit, le single Dirt sera repris deux ans plus tard par A$AP Rocky à travers le titre Canal St., déclaration d’amour d’une tête d’affiche du rap américain pour la musique d’un des leaders de la scène underground.