« Il n’y a qu’un seul moyen pour atteindre l’unanimité et être intouchable : mourir. » C’est la conclusion à laquelle arrivait Shkyd dans un article consacré à l’exploitation post-mortem de l’oeuvre d’un artiste publié sur Yard le mois dernier. L’année 2018, malheureusement minée par les décès prématurés d’artistes talentueux, en a apporté la preuve définitive. Fait remarquable, le dernier album de Mac Miller Swimming a réalisé une meilleure performance commerciale après son décès qu’au moment de sa sortie. La même semaine, quatre autres de ses albums se sont classés dans les 50 projets les plus vendus du Billboard Hot 200. Pour autant, il ne convient pas de réduire l’intérêt et les motivations de l’ensemble des sorties post-mortem à leurs aspects financiers, elles peuvent également avoir une importance sentimentale forte pour les proches et le public des artistes en question. La frontière entre ces deux motivations est difficile à tracer, il est possible que parmi les acteurs impliqués dans la sortie d’un album ou d’un titre posthume, certains soient motivés par les gains potentiels alors même que d’autres n’y voient qu’une manière de clore un chapitre. Parfois même, ces deux idées peuvent cohabiter chez une seule et même personne… D’ailleurs, quand bien même l’unique motivation d’une telle sortie serait financière, cela ne la prive pas forcément de tout intérêt musical, en témoignera Diddy, qui avec Duets: The Final Chapter a signé l’album le plus ouvert de la carrière de Biggie Smalls incluant de surprenantes collaboration avec Korn et Bob Marley. Dernière sortie en date, celle de la collaboration entre XXXTentacion et Lil Peep sur Falling Down. Annoncé sur les réseaux sociaux des deux artistes par leurs mères, ce morceau a ceci de particulier qu’il avait été enregistré par XXXTentacion sur une production d’ILoveMakonnen après le décès de Lil Peep, qui l’avait fortement marqué et qui l’avait poussé à s’intéresser à son univers musical. En mars dernier, HITS Daily Double rapportait que Sony Music Entertainment avait acquis les droits sur la production musicale tardive de Lil Peep via son label Columbia Records. C’est effectivement sous licence exclusive Columbia qu’est sorti Falling Down, extrait probable de l’album posthume du rappeur emo qui devrait sortir dans les mois prochains d’après une source du magazine Variety. De son côté, XXXTentacion avait signé avant sa mort un contrat avec le label Empire pour la sortie de son troisième album, et avait enregistré suffisamment de contenu pour que la structure de Ghazi Shami envisage de le sortir en octobre prochain. Sur le plan éthique pour autant, la collaboration entre deux artistes décédés, qui intervient quelques semaines tout juste après l’utilisation par Drake de vocals de Michael Jackson sur Don’t Matter To Me, pose un certain nombre de questions. Là où le sample revient à utiliser l’oeuvre d’un artiste pour en créer une nouvelle, en intégrant au passage la portée de cette oeuvre originelle, la réutilisation posthume d’unreleased ne garantit ni la volonté initiale de l’artiste de sortir ces extraits, ni celle de les sortir sous la forme choisie après son décès. Point culminant de ces questionnements, Lil Peep et XXXTentacion ne s’étaient jamais rencontrés de leur vivant, une situation pour le moins paradoxale malgré les atomes crochus difficilement contestables de leurs visions artistiques respectives. Sans la volonté de l’artiste, ses unreleased ont tendance à devenir de simple outils musicaux déshumanisés entre les mains de réalisateurs qui n’ont pas forcément les mêmes cheminements de pensée que lui. Dans un article intitulé XXXTentacion & the Ethics of Posthumous Success in Hip-Hop, David Opie affirmait : « Although fans understandably continue to hunger for new material from their favorite stars, the end result is often akin to poking through someone’s diary or private emails. Not every song that’s recorded is intended for release, and to do so without the artist’s consent is ethically questionable to say the least. »