Pendant les années 2000, le rap n’était pas l’un des genres musicaux les plus en vue au Maroc. Sauf quelques rares têtes d’affiche, peu parvenaient à obtenir une notoriété. Cependant, en cette décénnie, nous avons pu assister à un renouvellement total des célébrités du rap marocain. Attardons-nous sur les chamboulements qu’a connu ce mouvement.
Un mouvement desservi par l’absence de relai médiatique
A la différence des Etats-Unis et de la France, le Maroc ne dispose pas de radios spécialisées en rap. La seule radio où les rappeurs peuvent exprimer leur talent, Hit Radio, est une sorte de NRJ local. En ce genre de circonstances, le discours critique, parfois violent ne parvient pas à trouver sa place sur les ondes hertziennes, à l’exceptions de certaines musiques plus consensuelles. Au début des années 2000, Les groupes H-Kayne et Fnaïre connaissent un certain succès, ainsi que le rappeur Don Bigg. H-Kayne est un groupe de rap issu de Meknès dont le rap est cru, proche de la rue, Fnaïre est un groupe originaire de Marrakech qui mêle le rap au R’n’B et aux musiques traditionnelles marocaines pour fournir une musique accessible à un plus grand public et enfin Don Bigg est un rappeur qui se distingue par une plume incisive et des textes politiquement engagés. La scène rap au Maroc n’était donc pas dans son meilleur état, sans oublier la forte propension de la population locale à accéder à la musique hors des circuits traditionnels (téléchargement illégal, achat de copies non officielles). Les perspectives d’avenir n’était donc pas brillantes…
La mouvance trap a mis en avant une nouvelle génération de rappeurs
Le rap marocain d’avant 2014, n’était pas le plus à la page. Les codes, aussi bien au niveau de l’image que de la musiques étaient datés, et ne suivaient pas l’évolution que le rap US connaissait. C’est pour cela que les auditeurs de rap au Maroc préféraient se tourner vers les Etats-Unis ou la France. Les compteurs de vues sur YouTube peinaient à décoller. C‘est alors que la mouvance trap arriva. La nouvelle génération a rapidement pris les devants. Parmi eux, nous pourrons citer Bizzmakers (dont nous parlerons plus en détail dans la suite de l’article), 7liwa Dizzy Dros ou encore Shayfeen.
- 7liwa: Si l’on devait trouver un équivalent à 7liwa sur la scène française ce serait sûrement SCH, tant musicalement (utilisation massive de l’autotune, timbre de voix caractéristique) que visuellement (cheveux longs, style vestimentaire se démarquant quitte à paraitre burlesque). Ce rappeur issu de Casablanca s’est fait remarquer il y’a 3 ans, générant un buzz solide qu’il a su entretenir.
- Dizzy Dros: Rappeur casablancais, il est également un des hommes forts de la nouvelle génération. Ses influences se situent plus du côté de New-York que d’Atlanta. C’est d’ailleurs un remix d’All The Way Up, culminant à plus de 23 millions de vues, qui l’aidera à poursuivre son ascension.
- Shayfeen: Duo originaire de Safi, composé de Small X et Shobee, a un style beaucoup plus proche de la trap brute. une forte productivité en 2016 avec notamment la sortie d’un EP leur a vite permis de se faire connaitre du public marocain et l’un des morceaux les plus connus du duo est OMG…
Quand les rappeurs marocains s’exportent dans l’hexagone…
Si la langue arabe est généralement celle que les rappeurs marocains préfèrent, il ne faut pas oublier que le Maroc est un pays francophone, et que certains artistes ont opté de poser leur flow avec cette langue. Il n’est donc pas incongru de voir certains rappeurs essayer de s’exporter hors des frontières du royaume chérifien.
Le collectif Bizzmakers, basé à Casablanca fut l’une des premières entités à entreprendre cette opération. Ce groupe, qui était alors composé de membres rappant en français et en arabe, a sorti en 2014 une mixtape gratuite (Le Bizzcuit). Ce projet, composé de plus de 50 titres, leur a permis de se faire remarquer par le label Néochrome, maison mère d’artistes comme Seth Gueko et Alkpote. Ils sortirent alors Le Double Z, projet disponible en digital et en streaming leur permettre de se faire connaitre du public français. West, l’un des membres du groupe décida de continuer sa carrière en solo, toujours chez Néochrome, en sortant une mixtape gratuite du nom d’Overdose. Le jeune rappeur a également fait la rencontre de différents poids lourds du rap français, dont Lacrim et Rim’K… 7liwa, contrairement à West, n’a pas tenté de s’implanter dans la scène française (le fait qu’il ne rappe qu’en arabe n’aidant pas) mais a été à plusieurs reprises sollicité par Lartiste, également d’origine marocaine.
Si les rappeurs marocains commencent à s’exporter, c’est également le cas des beatmakers. L’un des exemples les plus frappants est SouleymanBeats. Il a pu mettre le pied à l’étrier grâce à Booba, dont le morceau OKLM est produit par ses soins. Le succès de ce son lui a permis de s’installer plus durablement puis qu’il a produit par la suite pour Alonzo, Niro, SCH, Damso, Benash, PNL pour ne citer qu’eux. Hades a également su tirer son épingle du jeu. D’abord beatmaker pour la scène marocaine, essentiellement Bizzmakers, il s’est fait remarquer par Rim’K. C’est ainsi qu’il a produit quasi intégralement la Monster Tape, symbole du renouveau musical du rappeur du 113. Cette collaboration a été fructueuse, puisque Rim’K a décidé de réitérer l’expérience en laissant une grande partie des instrumentales de Fantôme à Hades. C’est notamment lui qui sera à l’origine du single qui a porté son album, Cellophané, qui a fait plus de 18 millions de vues. 13 Block, a par la suite fait appel à lui pour produire plusieurs morceaux et freestyles, dont Ralis Rapta sur Ultrap.
A l’image de l’Italie, le rap marocain était dans une impasse, ne parlant que très peu à la population locale, et ce n’est qu’après une révolution musicale qu’il a su relever la tête. Alors qu’avant les jeunes préfèraient écouter des rappeurs comme La Fouine et Booba, ils n’ont désormais pas à rougir de leurs porte-drapeaux…
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