Le groupe Numbers est composé de quatre membres: N.I.C (numéro 11), Miaouss (numéro 22), Fdolla (numéro 18) et Badri (numéro 1). Après avoir sorti sur Haute Culture leur première mixtape intitulée Numbers début 2016, les membres du groupe ont travaillé sur un projet de 7 titres intitulé Femmes et Ennemis, en collaboration avec le beatmaker Guilty (Katrina Squad), à qui on doit notamment une bonne partie des prods de SCH. Nous avons rencontré Miaouss dans un café de Noailles, quartier populaire de Marseille centre au sein duquel les membres du groupe ont grandi…
Dans le rap marseillais, depuis quasiment le début, il y a des phases où ça marche vraiment bien et des phases où ça marche beaucoup moins bien. Comment t’expliques ça ?
Je trouve que le rap suit beaucoup la mode, il y a des modes qui tiennent le coup et des modes qui tiennent moins le coup. C’est les tendances si tu veux, il y a un son qui va marcher un mois, après il y en a qui ne vont plus aimer le délire.
Depuis 2014 à peu près, le rap marseillais a une nouvelle identité avec des sons assez autotunés, comment est-ce que vous en tant que groupe vous vous situez par rapport à ça ?
J’aime bien ce qui se passe à Marseille en ce moment parce que ça ouvre des portes, ça ramène de la lumière à Marseille et c’est très bien. Après, au niveau des tendances, c’est beaucoup de goût et des couleurs. Au niveau de l’autotune, c’est le progrès, le rap devient plus de la musique qui peut passer partout alors qu’avant c’était un cercle fermé.
Et si tu devais donner sur l’ensemble de l’histoire de Marseille les rappeurs qui ont vraiment marqué le rap ?
Moi j’ai beaucoup suivi les anciens: IAM, la FF. Maintenant, il y a la nouvelle génération, avec Jul. Moi, si j’ai à me situer quelque part… Je suis pas quelqu’un qui suit les tendances. J’essaye de faire ce que j’aime, c’est l’essentiel.
Est-ce que tu penses que maintenant que le rap marseillais fonctionne bien en France, ça pourrait s’exporter à l’étranger vu que c’est des sons assez dansants?
Ca dépend des tendances, du goût, et au niveau de la mode. Après, je pense pas que des rappeurs marseillais vont cartonner aux States, parce qu’ils ont leurs propres codes là bas. Je pourrai pas te dire si un hit peut marcher autre part qu’en France, mais si j’ai mon mot à dire je ne pense pas, il y a des tueurs de partout… Quand t’écoutes les States c’est des monstres, quand t’écoutes les rappeurs allemands, c’est des monstres. Et au niveau de la langue, c’est chaud, je verrai pas un jeune des States écouter du rap marseillais.
A Marseille, t’es issu du quartier de Noailles au centre ville, c’est un quartier où pendant longtemps une association (le Millepattes) avait un studio où beaucoup de monde est passé: Keny Arkana, El Matador…
C’est ça ! Tous les rappeurs qui marchent en ce moment y sont passés. Il y a eu Ghetto Phénomène, il y a eu Jul… Quand j’étais petit, je me rappelle, c’était notre zone. Et le pire, c’est qu’on voyait pas que ça allait marcher comme ça, on faisait ça pour rigoler.
Est-ce que toute cette ambiance où pas mal de monde se croisait a créé une sorte de scène marseillais avec ses propres codes?
Je vais te dire un truc, le rap c’est un sport, et c’est pour ça que ça marche. J’ai remarqué que des mecs qui rappaient seuls n’ont pas progressé comme des mecs qui étaient en groupe, ou qui se mélangeaient beaucoup. Il y a toujours ce petit côté sportif qui fait que quand quand quelqu’un va arriver… Moi j’étais jeune, on faisait des rondes et on freestylait pendant des heures. Quand quelqu’un arrivait et faisait quelque chose de lourd, t’avais toujours ce truc, et tu te disais « demain, il faut que je revienne et que je fasse un truc encore plus lourd ». Je pense que c’est ça qui nous a fait avancer.
Tu parlais des groupes, comment tu peux expliquer le fait que les artistes marseillais percent d’abord avec leurs groupes, et après en solo ?
Si tu veux, je vais pas dire qu’on croit pas en notre musique, mais on fait ça pour rigoler. Quand j’étais petit, on se disait pas que ça allait prendre une telle ampleur. Quand tu commences, tu te casses pas la tête, tu te mets avec un groupe, tu suis le groupe… Après c’est au feeling, et quand ça commence à marcher c’est là que tu te dis « peut être que je vais aller en solo si je peux vraiment faire quelque chose, j’ai envie de faire vraiment ce que j’aime ». Des fois, quand t’es en groupe, tu peux pas vraiment t’exprimer comme tu veux.
Si tu fais une carrière solo, est-ce que tu vas garder ton nombre ?
Je serai toujours 22, ça va jamais changer ça !
L’association le Millepatte a fermé ses studios en 2014, est-ce que tu penses qu’aujourd’hui il n’y a pas assez d’infrastructures pour les jeunes ?
Franchement, j’en suis sûr ! Les petits veulent se mettre au rap, mais ils ont rien. Ils savent pas comment s’y prendre, ils savent pas comment poser leurs sons, ils ont aucun contact… Les associations comme ça, ça permettait déjà de voir un peu ce que c’est le monde du studio, les freestyles, l’effet de groupe. Maintenant, les petits jeunes ont limite honte de rapper, ils rappent dans leur chambre, et ils se dévoilent pas assez. Nous, il y avait toujours des grands: il y avait RPZ, il y avait Keny Arkana qui passait souvent. Maintenant, c’est plus ton quartier qui te pousse que les associations. Un rappeur qui va commencer le rap, c’est son quartier qui va le pousser en premier.
Vous en tous cas, depuis le projet Femme & Ennemis, j’ai l’impression que vos sons commencent à bien prendre !
Paris, j’aime bien parce qu’ils suivent tout ce qui se passe, et c’est ça qui est bien avec eux. Après, nous de toutes façons on bosse. Mon frérot est en prison le pauvre, et je continue.
De ton point de vue de rappeur marseillais, comment tu perçois le rap français dans son ensemble ?
Il y en a que j’aime bien, d’autres que j’aime pas trop. C’est beaucoup les tendances et les modes. C’est pas un problème, c’est bien, mais il y a plus de rappeurs qui se sont faits par la mode et la tendance que par rapport à ce qu’ils amènent. C’est pour ça que plein prennent le style marseillais, parce que c’est un style qui est ouvert.
En parlant de rap français, on a trouvé en écoutant votre projet qu’il y avait des influences communes avec d’autres rappeurs français qui n’habitent pas du tout à Marseille, par exemple Kekra.
C’est les influences. On écoute tous un peu ce qui se passe en dehors de la France.
C’est un peu ça qui vous fait ressortir à Marseille aussi ?
Comme je t’ai dit, le rap c’est un sport. Je vais écouter quelqu’un qui en jette. En tant qu’artiste, je vais pas m’amuser à faire ce qui est moins bon, mais plutôt ce qui est le meilleur. Et généralement ce qui tue, c’est ce qui se passe aux States. Il y en a qui vont aimer ce qui se passe ici, d’autres qui vont aimer ce qui se passe là bas, mais moi personnellement, avant que tout se passe, j’écoutais beaucoup les rappeurs kainris.
D’un autre côté, vous avez pas mal collaboré avec des tauliers du rap marseillais comme Alonzo et Le Rat Luciano, est-ce que c’est des expériences qui vont ont un peu apporté ?
Franchement, oui. J’ai bien aimé Alonzo, comment il pose. C’est des ficelles, mais j’ai bien aimé comment il bosse. Le Rat, il est vraiment à fond dans ce qu’il fait, il reste même pas dans le stud. Il sort, il rentre… Il est dans sa bulle, mais c’est un truc de fou. Pour te dire, c’était le dernier à poser, on devait fermer le studio, tu vois ? Sur un couplet, il est resté 6-7h, c’est énorme, pour un 12 mesures je crois. Un 12 mesures, si tu restes 6 heures dessus, c’est que vraiment t’es dedans.
Surtout que Le Rat, c’est quelqu’un qui a beaucoup accompagné les nouvelles générations. Il est jamais vraiment sorti du rap…
Il est jamais vraiment sorti, et pour Le Rat, il faut que ça soit parfait. Si c’est pas parfait, c’est mort. Et justement, toutes ces nouvelles modes, ces tendances, ça te perd des fois. Tu veux ramener ton truc, et à côté tu vois des mecs qui font des 100 millions de vues… Je dis pas que c’est de la merde, mais c’est pour ça que c’est devenu une mode le rap, en ce moment c’est que de la mode.
On a l’impression que t’es limite nostalgique d’une certaine époque…
Ouais, parec que moi quand je me suis lancé dans le rap j’écoutais des vraies choses. Je dis pas que c’est de la merde ce qui se fait, mais la plume c’est pas la même maintenant. Moi, j’ai grandit avec la FF, IAM, Salif… J’ai grandi avec des noms, maintenant j’aime bien ce qui se fait parce que les portes sont plus ouvertes avec YouTube et tout ça.
Est-ce que tu serais prêt à collaborer avec des artistes qui ne sont pas de Marseille ? Parce que vous avez une image un peu ancrée marseillaise…
Si on n’a pas collaboré, c’est juste qu’on veut pas chercher les gens, c’est tout. Alonzo, Le Rat, ce qui est bien avec ces gars là c’est qu’ils suivent ce qui se passe ici, et quand ils voient qu’il y a quelque chose… Franchement, ils sont ouverts. Alonzo, il est venu, dans le clip il était là, il a suivi le truc. C’est énorme, il n’y a pas beaucoup de gens qui donnent leur image comme ça. On ne va pas chercher les gens, c’est même pas question qu’on n’aime pas les autres rappeurs, c’est juste qu’un mec que tu connais pas tu vas pas le voir comme ça. Nous, ce qui est bon et ce qui est mauvais c’est qu’on est tous de notre côté ici à Marseille. On reste ici, on voit dégun, on ne se mélange pas.
En même temps, c’est ça qui fait que c’est une scène qui a une particularité.
Il y a une unité parce que c’est une petite ville, c’est grand mais il n’y a pas un million de studios. Moi, je vais à Beat Bounce, je vais voir l’Algérino, Alonzo, Jul. Tu poses là bas, tu vois tout le monde. Il y a toujours le truc entre artistes de se mélanger un peu quand même. On est chacun de notre côté, sans plus, et ça se passe bien je trouve.
On peut attendre quoi pour le suite pour toi ?
Je suis sur un projet solo. Je suis en studio, je bosse. Je veux faire un gros big up à N.I.C et à Badri, numéro 1. Mes deux copéquipiers, ils sont en prison. Bader, c’est mon frère, et NIC c’est le sang.