Une dizaine de mois ; c’est le temps qu’il a fallu à Gianni pour s’imposer comme l’un des rappeurs les plus intéressants et prometteurs de l’échiquier du rap français. L’engouement croissant chaque jour autour de lui, il le doit bien entendu à son talent et à sa productivité exceptionnelle, mais aussi à l’équipe de son label BlueSky. Cette dernière fait preuve d’une rare audace et d’une inventivité impressionnante dans les stratégies de communication de l’artiste avec pour conséquence un renforcement d’une certaine mythologie autour de ce dernier. Depuis 2017, le rappeur, originaire de Romainville (93) connaît une ascension très intéressante. Ainsi, imagerie originale et les mélodies détonantes qu’il propose sont certaines des clés de son succès, au même titre que son écriture : profonde, mélancolique et à coeur ouvert, celle-ci ne laisse pas indifférent. Cela contraste avec le fait que le rappeur soit paradoxalement discret auprès des médias. Il a tout de même accepté de nous donner un entretien axé autour de son dernier projet; XXIII : Bilan de vie, sorti le 17 avril dernier, dans un contexte inédit de confinement affectant l’ensemble de l’industrie musicale…
REVRSE : Ta nouvelle mixtape sort dans ce contexte exceptionnel de confinement. Dans quelle mesure cela a changé vos plans, à toi et ton équipe ? Avez-vous envisagé décaler la sortie ?
Gianni : Oui, plusieurs choses qui ont dû être décalées, surtout les shootings, les tournages de clips et freestyles pour accompagner la sortie. Mais rien de tout ça n’est perdu. Nous étions sûrs de cette date-là et on a préféré ne pas décaler la sortie.
REVRSE : Tu te livres énormément sur chaque projet. Est-ce que tu maintiens ce lien fort avec la rue qui caractérisait tes débuts, ou est-ce que tu puises dans ton passé pour « transformer la violence en poèmes » ?
Gianni : La rue, on y est toujours, donc ça restera mon inspiration première. C’est le milieu où je vis, où j’ai grandi. Tu ne quittes pas la rue du jour au lendemain. C’est quand même l’endroit où t’as tout tes repères, tous tes souvenirs et où tu t’es construit. Mais aujourd’hui, grâce à la musique je vis d’autre chose, loin de la rue et donc des problèmes [ndt. nom du titre dont est extraite la citation].
REVRSE : Tu as invité le phénomène de Houston, Don Toliver, pour ta première collaboration. Vous avez eu l’occasion de vous croiser ?
Gianni : Pour mon premier featuring, j’ai invité Don Toliver sur mon projet, oui. L’idée est venue de mon label BlueSky qui avait un contact avec son management, puis la connexion s’est faite. J’avais entendu ce qu’il faisait et j’ai accroché donc je me suis dit que s’il y avait l’opportunité de faire un bon titre, il fallait la saisir. En revanche, on a enregistré chacun de notre côté, on n’a pas eu l’occasion de se rencontrer.
REVRSE : C’est impressionnant parce qu’il y a une vraie alchimie sur le morceau, on dirait presque que vous l’avez écrit ensemble !
Gianni : Je lui ai envoyé le morceau avec les paroles et je pense qu’il a direct capté la vibe du titre. Il a su s’adapter à mon univers tout en gardant sa touche donc ça a créé ce morceau. Je trouve que c’est à la fois un très bon titre et une première collaboration réussie.
REVRSE : Ton premier featuring avec une figure montante de la scène rap américaine, c’est destiné à fixer un standard pour ta carrière ?
Gianni : Franchement, ça n’a pas été calculé. L’occasion s’est présentée, j’aimais bien ce qu’il fait et réciproquement. On a donc fait le morceau. Je ne marche pas spécialement au calcul mais plus au feeling. Si l’occasion se présente, la collaboration est possible.
REVRSE : Tant qu’on en parle, qu’est-ce que tu écoutes d’autres aux États-Unis ?
Gianni : J’écoute beaucoup Future, Gunna et Travis Scott de temps en temps. Sinon, je n’écoute pas beaucoup de rap américain, je suis quand même plus focalisé sur le rap français.
REVRSE : Tu arrives vraiment à créer des mélodies inattendues sur des productions qui se prêteraient, au premier abord, à un rendu plus brut. Ça te vient d’influences hors-rap ?
Gianni : À part le rap, j’écoute de la musique de chez moi mais c’est tout. Après je pense que le fait d’avoir été bercé dans la musique congolaise me permet d’être plus à l’aise avec les mélodies en fait, la musique congolaise est spécialisée dans ce registre.
REVRSE : Le travail sur ton image ne s’arrête pas aux clips, je pense notamment à la promotion de Géhenne auprès des influenceurs qui se sont vus gratifier d’un kit pour cocktail molotov ou à celle de de Les règles via WhatsApp. D’où te vient cet intérêt pour la communication innovante ?
Gianni : C’est un travail d’équipe, je pense que le label BlueSky m’accompagne bien dans l’aboutissement de mes idées. Sur ça, j’ai vraiment carte blanche et ils me permettent d’exprimer au mieux l’image de moi que j’ai envie de donner. Je ne souhaite pas faire les choses comme les autres, donc sur chaque sortie de clip, d’album ou autre, mon équipe et moi arrivons toujours à proposer quelque chose de diffèrent : au delà de la musique on souhaite que l’auditeur vive une expérience unique. Tout ce que fais, je le fais en équipe. Le label BlueSky est derrière moi sur tout ce qui touche à ma musique et à mon image. Le fait d’être bien entouré me permet de bien bosser et pouvoir toujours proposer quelque chose de neuf et de différent. Mon équipe a conscience que ma carrière évolue et ils coordonnent le tout pour que cette évolution soit constante sur tous les aspects, dont l’image.
REVRSE : D’ailleurs, tu n’as toujours pas sorti d’interview vidéo ! C’est aussi une volonté de ta part ?
Gianni : Je n’ai pas encore fait d’interview vidéo, mais je pense que ça devrait arriver. J’attends juste le bon moment, pour l’instant je pense que mes textes contiennent toutes mes réponses aux éventuelles questions que les gens pourraient se poser.
REVRSE : Il y a un gros turn-over du côté des compositeurs avec lesquels tu travailles. C’est un moyen de t’imposer une évolution artistique permanente ?
Gianni : Oui, j’ai besoin que ma musique se renouvelle aussi. Après j’ai de certaines affinités artistiques avec des compositeurs qui tu vois revenir souvent comme Nils, Boumidjal X et Holomobb, DramaState, ou JemiBlack. C’est tout aussi important de créer une connexion avec un compositeur qui comprend où tu veux aller, que de savoir renouveler sa musique avec des compositeurs différents.
REVRSE : Est-ce que ce travail sur l’image, les textes et la musique est conciliable avec ton rythme de sorties ?
Gianni : Je bosse pas mal en studio, j’ai toujours pas mal de sons de côté. J’essaie vraiment d’être le plus libre possible dans ma création artistique. Je prends le temps de faire mes sons pour que le résultat soit abouti. Je souhaite y mettre le plus de sincérité possible donc si ça touche, c’est que j’ai réussi ce que je voulais.
REVRSE : C’est un rythme qui est délibéré ou qui correspond à ta productivité ?
Gianni : On tient juste un rythme pour marquer une présence et une récurrence dans un marché qui est inondé de musique. Si t’es pas actif on ne te voit pas.
REVRSE : Est-ce que le prochain projet viendra aussi vite que celui-ci ?
Gianni : Pour l’instant, on est encore au studio. On n’a pas encore réfléchi à quel format on sortira pour la suite : EP, mixtape ou album. Mais on continue d’enregistrer.
REVRSE : Dans une précédente interview, tu disais que ta musique avait un rôle d’exutoire, mais au fil des projets elle prend une tournure de plus en plus triste, je pense notamment à Si je m’en vais…
Gianni : Je ne dirais pas que je suis plus triste qu’avant, au contraire. Je pense juste que les expériences vécues doivent être racontées pour que les gens captent pourquoi j’en suis la aujourd’hui. Et clairement c’est un chemin pas très joyeux qui nous a emmené ici. Le titre Si je m’en vais est l’un des titres les plus anciens que j’ai enregistré sur la mixtape XXIII. Je pense juste que la production de DJ Taylor m’inspirait cette émotion. Du coup, je me suis à écrire à cœur ouvert comme d’habitude.
REVRSE : Tu ne fais très peu voire pas du tout de scène. C’est quelque chose que tu ne t’es pas encore senti de faire, ou qui ne t’intéresse simplement pas ?
Gianni : Si, c’est quelque chose qu’on avait prévu sur ce projet-là mais à cause du confinement, on a annulé tout ça. Mais la scène est vraiment un truc qui me tient à cœur. La rencontre avec le public, c’est important.