Depuis l’avènement des réseaux sociaux, des plateformes de streaming et plus globalement d’Internet, les métiers de directeur artistique et de scout ont été complètement redéfinis par la quantité de plus en plus importante de données disponibles. L’image d’Épinal du scout qui repère un rappeur au fin fond d’une MJC est désormais révolue, et ce type de signatures ne représente qu’une infime minorité. De plus en plus, le métier d’A&R requiert la compréhension d’un nombre élevé d’indicateurs provenant de sources variées.
La plateforme Chartmetric a embrassé ce changement et s’est donnée pour mission d’aider les équipes des labels à prendre les meilleures décisions grâce à l’analyse d’un ensemble des données. Chartmetric permet de filtrer 80 millions de morceaux en utilisant 20 différentes métriques parmi 11 plateformes digitales différentes. L’application permet de comparer des genres, des audiences, des streams Spotify, des vues YouTube, des créations de vidéo sur TikTok ou encore le nombre de Shazams. La possibilité de combiner les filtres permet un aiguillage très précis concernant la détection des nouveaux talents. Le label peut désormais, par exemple, cibler des profils touchants une démographie particulière en terme d’âges, de genres ou encore de localisation.
Nous avons interrogé Marc-André Niang, A&R Research Analyst chez Warner Music France, ainsi que Gwen Briant, fondateur de la structure 360 degrés Triple-Double, sur leur utilisation de la data dans leurs métiers respectifs.
La data, une aide à la détection d’artistes
Avec Triple-Double, Gwen Briant peut occuper des rôles sur l’ensemble des activités d’un artiste, qu’il s’agisse de la production, du live ou encore du merchandising.
Chaque donnée est importante pour estimer le potentiel d’un artiste à performer à tous les niveaux : « Les données m’aident à comprendre si un artiste a réellement de l’engagement, et s’il n’est pas qu’un buzz passager. Par exemple, j’ai tendance à me méfier du buzz d’un morceau sur TikTok car ce sont en général des chansons qui ont une durée de vie de 2-3 ans maximum. J’ai eu le cas récemment d’une artiste qui avait eu une grosse tendance sur TikTok. On a beaucoup investi en marketing, ce qui a permis de doubler le volume de streams journalier. Cependant, dès que la campagne marketing s’est arrêtée, le volume de streams a baissé. »
Pour Marc-André Niang, « Il est essentiel de prendre en compte tous les signaux pertinents. Cependant, il est insuffisant de se fier uniquement à un simple engouement médiatique viral autour d’un titre. C’est une approche court-termiste ! Un label accompagne une carrière, ainsi avant de s’engager avec un artiste, il est crucial d’avoir un projet artistique clairement défini sur le moyen et long terme. » Gwen Briant, lui, privilégie le volume d’écoutes quotidiennes sur Spotify. « Lorsque je signe un artiste en développement, j’acquiers également son catalogue passé. Cette donnée du nombre de streams Spotify / jour va me permettre de calculer le risque en cas de signature, et quel investissement je peux raisonnablement mettre sur le projet musical. »
Travailler le catalogue
Au-delà de la détection d’artistes, les données sont utilisées pour optimiser le travail des labels sur les catalogues d’artistes. Les trends virales, dont la puissance s’est décuplée durant la crise Covid, redéfinissent le paysage de l’industrie musicale en gommant la distinction traditionnelle entre Front et Back Catalogue (sorties de plus de 18 mois)… À tel point que la maison de disques BMG annonçait en avril renoncer à la notion de Back Catalogue !
Les causes d’un pic d’écoutes peuvent être multiples : en premier lieu les trends TikTok, mais aussi Snapchat, Instagram, Twitter… « En quelques clics, tu comprends la source principale des écoutes, et tu peux rapidement faire des liens de cause à effet qui permettront de mieux orienter l’investissement marketing sur les titres », confie Gwen Briant.
Au-delà des streams, plusieurs données permettent d’évaluer les succès d’un artiste : « L’engagement Instagram demeure un critère intéressant pour voir si le public suit un artiste en dehors de la plateforme de streaming. Les vues Youtube étaient également un indicateur pertinent, jusqu’à ce qu’AdWords (ndlr : publicités comptabilisées comme des vues) fausse le jeu. Aujourd’hui on va plutôt se concentrer sur les commentaires et les likes, qui reflètent mieux l’engagement du public pour les clips de l’artiste. »
Une aide… Mais jamais l’unique critère
« Trop de données tue la donnée, » précise Gwen Briant. « La musique reste subjective et l’appréciation d’un morceau varie entre les personnes. La data nourrit mieux les relations entre les artistes et les labels, permet d’assainir le rapport de force, mais ne remplacera jamais la relation humaine qui existe dans le travail quotidien entre ces deux parties. »
Si les outils tels que Chartmetric s’imposent comme des outils incontournables au sein des labels, ils ne révèlent leur plein potentiel qu’aux mains de professionnels capables de croiser données et considérations artistiques. Plus que jamais, les données révèlent au grand jour des esthétiques musicales jusqu’alors cloisonnées dans des scènes de niche ; cependant certains potentiels ne se révèlent qu’après un véritable travail de fond.
Marc-André Niang confirme : « La clé pour différencier un pic de popularité éphémère d’un véritable engouement réside non seulement dans l’analyse de données tangibles, mais également dans la compréhension de l’environnement non quantifiable. Les statistiques jouent un rôle essentiel, mais elles doivent être appréhendées dans leur contexte. C’est pourquoi il est primordial d’avoir au sein des labels des data analystes capables de décrypter à la fois les métriques, comprendre les tendances digitales et les implications artistiques. En somme, “la data est le roi et le contexte en est la reine”. »
C’est une des raisons pour lesquelles il est nécessaire à la fois de conserver un aspect humain, mais aussi de pousser l’explication de la donnée. C’est un souhait de Gwen Briant : « Ce qui pourrait être intéressant, c’est si ceux qui créent la donnée l’expliquaient mieux, de façon à ce que l’industrie et le public ne commencent pas à surestimer ou sous-estimer le succès d’un artiste sur la simple base de données qu’ils ne comprennent pas entièrement. »
Pour plus d’informations : rendez-vous sur le site de Chartmetric