Le 3 avril 2024, le média Bloomberg annonçait dans un article que Spotify prévoyait une nouvelle augmentation de ses tarifs. En adoptant une hausse d’un dollar pour l’abonnement classique (le faisant passer de 9,99$ à 10,99$), la plateforme de streaming pouvait laisser penser à l’ensemble des auteurs-compositeurs et éditeurs que cela serait suivi par une hausse de leurs revenus. Un sujet déjà prépondérant pour les majors et les plateformes de streaming, qui se traduit par des mesures concrètes comme l’adoption de la rémunération « artist centric » en tant que modèle économique, mettant en avant les artistes professionnels.
Contrairement aux attentes des auteurs-compositeurs, cette augmentation du prix de l’abonnement Spotify ne servira pas à mieux rémunérer les artistes, au contraire. En effet, la plateforme demande désormais à réduire leur part dans la rémunération. La raison à cela : l’ajout de 15 heures de livres audio par mois, qui force désormais la plateforme à rémunérer aussi les auteurs et éditeurs des livres.
Réduire la part des compositeurs pour rémunérer les livres audio
En intégrant l’écoute de livres audio au sein de son service depuis octobre, Spotify souhaite se positionner comme un rival crédible à Audible (plateforme numéro 1 sur ce secteur et qui appartient à Amazon). Les 15h d’écoutes de livres audio désormais incluses dans l’abonnement premium poussent le service suédois à demander un tarif « forfaitaire » réduit pour l’ensemble des auteurs-compositeurs sur les écoutes premium. Cette mesure est justifiée par le géant suédois en invoquant le fait de désormais payer des licences pour les livres et la musique au même prix.
Billboard a établi un calcul pour déterminer comment les revenus des services de Spotify, les paiements aux labels, les taux de redevances sur les performances et d’autres facteurs qui ont un impact sur les revenus mécaniques augmenteront chaque mois tout au long de 2024.
Ces éléments sont fournis par le « Mechanical Licensing Collective », une organisation à but non lucratif créée en vertu de la loi sur la modernisation de la musique de 2018. Le calcul de Billboard établit une perte de près de 150 millions de $ en redevances, pour les auteurs-compositeurs aux États-Unis, et ce rien que pour la première année de la mesure.
La colère des auteurs-compositeurs et éditeurs
En reclassant son offre premium en « bundle », le DSP musical s’est attiré les foudres des principaux concernés. L’AIMP (Association des éditeurs de musique indépendants) dénonce une « attitude sournoise » et regrette un manque de transparence vis-à-vis des abonnés Spotify, n’ayant pas été consulté et se retrouvant ainsi dans l’obligation d’accepter cette nouvelle offre. Dans un communiqué, elle déclare : « Nous sommes déçus d’apprendre que Spotify estime qu’il devrait moins payer les auteurs-compositeurs pour les streams, en jumelant son service préexistant aux livres audio pour les abonnés premium, alors même qu’ils n’ont pas eu la possibilité de se désabonner. ».
La plateforme a alors annoncé la création d’une nouvelle formule premium excluant les livres audio de l’abonnement. En restant sur le tarif actuel, elle continuera de verser des redevances plus élevées aux éditeurs et aux auteurs-compositeurs. Une alternative qui ne satisfait que moyennement l’AIMP : « Au moins, nous espérons que Spotify alertera correctement ses abonnés du changement et informera les abonnés qu’ils peuvent passer de leur abonnement premium actuel au nouveau niveau de base.» Un son de cloche partagé par les autres associations d’éditeurs comme la NMPA (National Music Publishers Association) ou les associations d’auteurs-compositeurs comme la NSAI (Nashville Songwriters Association International). Cette dernière accable à son tour Spotify en déclarant : « Cette tentative de réduire les paiements de redevances à d’auteurs-compositeurs déjà sous pression relève de la pire mauvaise foi et d’une perversion du règlement du Copyright Royalty Board {…} Déclarer des bénéfices records, tout en réduisant les redevances des auteurs-compositeurs, alors que le fondateur de la société a encaissé des millions en actions prouve un mépris avide, offensant et insensible envers les auteurs-compositeurs. ».
Une évolution de l’offre Spotify à venir en Europe et en France ?
Bien qu’uniquement effective sur le marché américain pour l’heure, cette reclassification de l’offre de Spotify pourrait avoir des effets au niveau mondial. Plusieurs pays en Europe comme le Royaume-Uni et l’Irlande disposent déjà de la possibilité d’écouter des livres audio depuis le service Premium, au même titre que l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour le continent Océanique. Selon Roberto Neri, PDG de l’Académie britannique des auteurs-compositeurs, la réussite éventuelle de ce projet sur le sol états-unien déterminera la teneur des négociations à venir avec l’Europe et les autres continents où le service de streaming est présent. En cas de réussite aux États-Unis, un effet domino pourrait se mettre en place.
Du côté français, Spotify avait déjà annoncé augmenter les tarifs d’abonnement en mars 2024, en réponse à l’adoption de la « taxe streaming » (qui n’est pourtant pas effective pour le moment), faisant du marché français celui où les forfaits sont désormais les plus chers au niveau de toute l’Union Européenne. La possibilité d’écouter des livres audio sur l’application n’étant pas disponible sur le territoire national, la France est pour l’heure épargnée. Cependant, il est envisageable que cette situation évolue dans les mois à venir en raison de l’essor de ce mode de consommation. Entre 2019 et 2022, les ventes de livres audio avaient cru de 11%, portant le ratio d’audio-lecteur à 1 français sur 5. Une tendance qui pourrait inciter Spotify à se développer sur notre marché.