Originaire de Sarrebourg et désormais localisé à Orly, 7 Jaws a dévoilé le 7 mai dernier son premier album solo, Je vois les couleurs, chez Parlophone (Warner). Un an après la sortie de l’EP RAGE, intégralement produit par Seezy, les deux complices refont alliance sur ce nouvel opus où l’on sent 7 Jaws plus introspectif et détendu que jamais. On peut notamment y retrouver des collaborations avec trois artistes : Vald, Captaine Roshi et Bigflo. À cheval entre ambiances festives et sonorités plus tristes, l’album a très justement été nommé pour mettre en avant le mélange de couleurs dont il découle. Entre les souvenirs du passé et l’envie de se projeter vers l’avant, le rappeur nous présente un album sincère et organique qui laisse transparaitre l’état d’esprit qui a préside à sa création… Rencontre.
Ventes Rap : Est-ce que tu reçois encore des demandes de la part de tes fans pour refaire un son comme 3h30 ?
7 Jaws : Tous les jours, c’est ma malédiction (rires). Dans un sens, c’est bien parce que c’était le premier son dont j’avais moi-même composé l’instrumentale. Il faut croire qu’il a marqué des gens, et j’en suis fier.
Ventes Rap : Y a-t-il certains de tes morceaux que tu commences à moins aimer avec le temps, sans forcément les regretter ?
7 Jaws : Forcément. Ça arrive généralement sur les titres d’anciens projets. Le processus de production d’album est parfois long, il y a donc des moments où j’ai très tôt envie de passer à autre chose. En revanche, c’est pas le cas de Je vois les couleurs, peut-être parce qu’il y a plus de titres. C’est vrai que par le passé, mes formats étaient plus courts.
Ventes Rap : Si j’ai bien compris, l’introduction de l’album, Peaky Blinder, est le dernier titre que tu as enregistré, et l’outro Là bas est à l’inverse le premier titre a avoir été enregistré…
7 Jaws : Effectivement, durant la première session avec Seezy, on avait fait L’instant d’après et Là bas. Peaky Blinder a bien été fait en dernier. C’est drôle parce que je m’étais jamais fait la réflexion.
Ventes Rap : En parlant de Peaky Blinder, c’est un morceau sur lequel tu tu te réponds à toi-même. J’ai l’impression que ce schéma de question-réponse revient tout au long de l’album, par exemple avec Le chercheur d’or.
7 Jaws : Exactement. Pour le morceau Le chercheur d’or, j’ai essayé de faire un son type storytelling qui se base sur quelque chose que j’ai ressenti. Il fait partie des quelques titres de l’album où j’ai essayé d’adopter un ton assez personnel de manière détournée, pour atteindre un public plus large. J’ai préféré éviter l’utilisation de la première personne dans ce morceau alors que je parle d’un sentiment qui m’est vraiment propre.
Ventes Rap : Sur ton précédent projet RAGE, on pouvait distinguer une montée crescendo des sonorités, tandis que celui-ci laisse place à deux narratifs : un premier lié à l’enfance et à ton passé, puis un discours porté vers l’avenir (à partir de la collaboration avec Bigflo). Est-ce qu’il a été conçu dans cet esprit ?
7 Jaws : Tu sais quoi, c’est même pas fait exprès et c’est plutôt pas mal comme analyse. Je pourrais me servir de ça dans d’autres interviews (rires). Il y a des choses que je dois régler avec mon passé, et je sens que je suis en train d’avancer là-dessus. Comme je le dit dans Par le vent, « j’ai rencontré les démons du passé, j’ai de moins en moins peur et ils le sentent ». J’ai vraiment envie d’aller de l’avant et de devenir la personne que je souhaite être. Je suis assez content car sur l’album on peut entrevoir une véritable photo de l’état d’esprit dans lequel j’étais et dans lequel je suis toujours en ce moment. Lorsque je l’écoute, je n’ai pas de regret sur le choix des titres et des ambiances. C’est pourtant pas évident sur un format long…
Ventes Rap : Tu es passé par pas mal de phases au niveau vocal. Tu as commencé en criant beaucoup sur Nautilus avant de t’essayer au chant sur RAGE. Finalement je trouve que c’est sur Je vois les couleurs que tu maîtrises le mieux ta voix de chanteur.
7 Jaws : Clairement. Il n’y a pas de secret, c’est avec la pratique qu’on commence à maîtriser de mieux en mieux sa voix. Pour faire une métaphore, c’est comme quelqu’un qui souhaiterait dessiner une chose précise qu’il visualise dans son esprit. Au début, ça va pas ressembler à grand-chose et c’est en travaillant durement qu’il va réussir à gagner en précision. C’est un peu pareil pour moi au niveau des sonorités. Je me sens plus à l’aise quand je chante. C’est important pour moi, parce que quand j’écoute un titre, je ne dois pas avoir l’impression de ne pas avoir réussi ce que je cherchais à atteindre. Lorsque je le fais écouter à quelqu’un, je dois être en mesure de l’assumer à 100%.
Ventes Rap : Est-ce que ça t’arrives d’avoir le sentiment que le public ne ressent pas la portée émotionnelle d’un de tes titres ?
7 Jaws : Ça m’est déjà arrivé, mais ça ne me touche plus autant qu’avant. Je prenais la musique très personnellement, comme si mes morceaux étaient une discussion en face-à-face. Quand les morceaux n’étaient pas vraiment écoutés, ça me donnait l’impression de parler dans le vent. Désormais, j’ai compris que les auditeurs ne sont pas là pour analyser. Je préfère prendre l’aspect où la musique m’aide à extérioriser pour moi-même, et non pour les gens. Et s’ils se reconnaissent dedans, c’est gagnant-gagnant. Il faut trouver un équilibre où les morceaux que je crée me font du bien et en même temps peuvent transmettre des émotions aux auditeurs. Ça passe notamment par les mélodies, les formulations…
Ventes Rap : Pourtant, c’est souvent les titres les plus personnels qui transmettent le plus d’émotions, non ?
7 Jaws : Exact. Personnels certes, mais tournées de manière à ce que les gens puissent s’y identifier. C’est dur de trouver un son très personnel qui parle à tout le monde… Finalement, entre ce que je ressens et ce que toi tu vas ressentir, ce n’est pas la même perspective.
Ventes Rap : Au niveau de ton amélioration sur le chant et ta voix, c’est dû à la prise de cours de chant ou plutôt à des reprises de In the end de Linkin Park dans les karaokés au Japon ?
7 Jaws : C’est exactement ça, ce sont les karaokés qui m’ont tout appris (rires). En soit, je pense que c’est uniquement le fait de se lâcher, de ne pas avoir honte. Ça passe par des heures au studio où, au fil du temps, tu es de plus en plus à l’aise. Si on remarque bien, la seule chose qui bloque est la honte. Si tu souhaites chanter, il faut chanter le plus sincèrement et détendu possible.
Ventes Rap : Peux-tu me déclarer ce fameux secret avec Seezy ? Lors du décollage de ton ancien projet dans l’espace, tu ne voulais pas le révéler avant d’avoir décroché le disque d’or…
7 Jaws : Pour que je puisse te révéler, il va falloir que tu fasses à fond ma promo sur Twitter afin que l’on devienne disque d’or (rires). C’est un secret de ouf, il est hyper marrant pour moi. Quand je pense à cette histoire, je pleure de rire. Mais je tiens parole : au moment du disque d’or, je révèlerai ce secret.
Ventes Rap : Justement, par rapport à cette promo d’envoi dans l’espace, je m’étais imaginé pour ce projet que tu l’envoie non pas dans l’espace mais dans les abysses…
7 Jaws : C’est incroyable, merde. C’est vrai qu’il n’est pas trop tard, mais il faut trouver des mecs pour ça… T’as raison, c’est une putain d’idée mais le projet sort très bientôt. Comment on fait ? (rires)
Ventes Rap : J’ai d’ailleurs appris que tu t’essayais à l’écriture d’un manga ?
7 Jaws : Je suis en train de rechercher des scénarios pour l’instant. Il n’y a rien de concret, mais j’aimerais bien évidemment faire un manga un jour, ce serait un accomplissement. Je n’ai pas la prétention de dire que je suis scénariste. Je ne sais d’ailleurs pas dessiner. Si j’avais un rôle à jouer, ce serait d’aider le scénariste avec des idées. J’ai deux idées : la première serait un scénario adulte et recherché tandis que la deuxième serait un manga humoristique, très drôle selon moi mais ça n’engage que moi…
Ventes Rap : Avec ton équipe de réalisateurs, Bleu Désert, tu avais déclaré que tu voulais intégrer des VHS de toi étant petit, peux-tu m’en parler ?
7 Jaws : Ça sera pour le clip de Enfance. On a trouvé cette idée ensemble. C’était assez logique au vu du titre et de ce qu’on raconte dedans. Ma mère a eu la très bonne idée de filmer plein de moments quand j’étais petit et de parfois me laisser la caméra afin que je puisse jouer. Nous allons donc nous en servir pour ce clip qui, je pense, va être très bon .
Ventes Rap : As-tu finalement réussi à sampler l’intro de Fade to black de Metallica ?
7 Jaws : Non, j’aimerais beaucoup mais je pense que je n’y arriverai jamais. Cette intro est trop belle, c’est d’ailleurs un des morceaux qui me procure le plus d’émotions. J’ai presque peut de gâcher l’oeuvre en essayant de lui apporter ma touche.
Ventes Rap : Sur Planète Rap, on t’a entendu répéter le gimmick « Subliminal le 20 mai »… Une grosse référence à la Sexion d’Assaut ?
7 Jaws : À fond, je me suis pris à mort la Sexion. Parfois, je me réveille en sursaut et j’entends « Subliminal le 20 mai » (rires). Ça m’a clairement matrixé, que ça soit Gims, Black M ou encore Lefa qui a été pendant un bon moment mon rappeur préféré, sans oublier Barack Adama évidemment. Je m’étais également pris l’arrivée de L’Entourage. C’était le début des rappeurs qui marchaient sur Internet. J’ai d’abord commencé par Guizmo avant de découvrir le reste du groupe. C’est un pote qui m’a envoyé un message en me disant : « regarde ce rappeur, il n’est pas encore signé, il ne passe pas en radio ». Il y avait ce côté un peu underground, ce renouveau où les gens commençaient à péter sur des freestyles YouTube. J’ai également eu ma grosse période Scred Connexion.
Ventes Rap : T’es-tu promis que durant ton premier Planète Rap, tu ferais un remix de la Scred Connexion ?
7 Jaws : Oui, c’était obligé. Je me suis tellement buté à leurs morceaux que je me devais de faire ça. Ils m’ont d’ailleurs envoyé un message pour cette reprise, c’était un peu comme un accomplissement. J’ai également fait une reprise de Rim’k, Je m’adapte, avec Igor L.D.T.
Ventes Rap : Que tu avais d’ailleurs découvert via un Planète Rap de Guizmo si je ne me trompe pas ?
7 Jaws : Exactement, et qui maintenant est devenu un reuf. J’ai également fait 4 minutes sur Demain c’est loin, j’aurais aimé faire plus mais j’ai appris un peu trop tard la date de mon Planète Rap du coup je n’ai pas eu le temps de tout bien organiser. En tout cas, j’avais envie de faire un Planète Rap remplis de freestyles boom bap. Puisqu’à la base je viens du boom bap, mon passage sur Skyrock m’imposait forcément de kicker.
Ventes Rap : Comment ressens-tu l’arrêt des concerts, toi qui es justement très porté sur la scène ?
7 Jaws : C’est chiant mais la situation sanitaire l’impose, et je me dis que ça va bientôt rouvrir. Je rêve de faire pas mal de sons en concert, donc entre-temps je fais comme la plupart des autres artistes, j’essaye de ne pas me morfondre. Ce qui me manque le plus, c’est de voir les gens qui m’écoutent, de les rencontrer et de parler avec eux. Je passe toujours beaucoup de temps à la sortie du concert pour rencontrer mon public. C’est une des meilleures facettes de ce métier.
Ventes Rap : Comment ça se passe au niveau de l’enregistrement de tes textes ?
7 Jaws : Par le passé, j’écoutais la prod sans rien écrire, je passais des heures chez moi à écouter et dès lors que l’inspiration venait alors à ce moment j’écrivais. Pour ce projet, on a bossé de façon différente : je n’écris plus chez moi. Je vais directement au studio et je fais tout sur place.
Ventes Rap : Penses-tu que l’aspect très sincère et introspectif l’album est justement lié au fait que tu reprends moins tes textes ? On ressent un côté très organique dans ta musique.
7 Jaws : Oui, ça a forcément ce côté un peu imparfait. Mais j’aime l’imperfection. Ça me fait plaisir que tu ressentes ça puisque c’est exactement ce que j’ai cherché à obtenir. Maintenant, quand je suis en studio, on me met une instrumentale et je travaille les mélodies en premier lieu. Avant, je ne faisais pas de toplines. Ça dépend des morceaux bien évidemment, pour les sons rap il n’y a pas besoin de topline car tout se fait de manière spontanée. Pour te dire, sur ce projet, il y a un bon nombre de morceaux pour lesquels on a composé avec des musiciens professionnels. Par exemple, sur TchililiI, il y avait un guitariste avec nous au studio. Dans ma tête, j’étais Michael Jackson (rires). Je me disais : ça y est, on y est. Je suis au studio, il y a des gars trop talentueux qui composent en direct avec moi et c’est magnifique. On a fait ça pour tous les morceaux où il y a une guitare d’ailleurs, sauf Sale état où c’est une guitare en format MIDI. La basse dans Tchilili est d’ailleurs une véritable guitare-basse.
Ventes Rap : C’est marrant car L’instant d’après est l’un des titres les plus anciens du projet, mais il sonne malgré tout très récent avec ce refrain !
7 Jaws : Pour ce qui est de L’instant d’après, on l’a composé durant la toute première session d’enregistrement pour l’album avec Seezy. On essayait beaucoup de sonorités. Pour te dire, durant cet enregistrement, mon ancien projet RAGE n’était même pas encore sorti.
Ventes Rap : Ça veut dire que tu étais déjà sur l’expérimentation du chant aussi poussé à l’époque de RAGE ? Que nous réserve-tu donc pour l’avenir ?
7 Jaws : (rires) Si tu savais, je suis actuellement en pleine expérimentation mais si je me laisse emporter sur ça, on va aller dans tous les sens. Je peux uniquement te dire que j’annonce de très bonnes choses pour l’avenir. Mais pour l’instant, il y a ce magnifique projet dont je suis fier : Je vois les couleurs !
Illustration : David Delaplace, courtoisie de MPC/Parlophone