Lors d’une interview pour le média Say Cheese en avril, le rappeur de Détroit Sada Baby, s’attire les foudres d’une partie du public en déclarant qu’il ne considère pas Eminem comme faisant partie du top 5 des rappeurs de sa ville. Un point de vue hautement impopulaire, d’autant que certains classeraient volontiers Slim Shady parmi les cinq meilleurs rappeurs de l’histoire, toutes villes confondues ! Cependant, cette déclaration est à mettre en perspective avec l’histoire de la ville. Sada Baby précise bien qu’il ne le considère pas dans la liste de « [son] Détroit ». En effet, si Eminem a marqué de son empreinte le rap internationalement, son impact dans sa propre ville, aujourd’hui, semble négligeable. Dans le même temps, Détroit s’affirme pourtant plus que jamais comme un vivier de talents bruts. Retour sur trois artistes, de trois générations, qui font de la Motor City l’une des scènes rap les plus importantes et effervescentes de 2019…
Payroll Giovanni, le boss de la ville
Leader du groupe Doughboyz Cashout, Payroll Giovanni est l’un des meilleurs représentants du street rap de Détroit. Fortement influencés par le crew Street Lord’z du regretté Blade Icewood, les Doughboyz Cashout ont su moderniser cette formule de rap de rue crû et sans concession. Leurs faits d’armes sont rentrés dans l’histoire du genre au travers de la série de mixtapes We Run the City. Mais ce qui fait l’intérêt de la discographie de Payroll Giovanni, ce sont avant tout ses influences West Coast G-Funk, une preuve de plus que des vases communicants se sont établis d’une part et d’autre des Etats-Unis. Le rappeur est une sorte de fusion réussie entre Blade Icewood et E-40 ; un artiste capable donner à ses morceaux des impressions de freestyles sans fin tout en ajoutant un certain groove à la langue… Une sorte de pont humain liant le Midwest à la West. Pour preuve, son association avec le producteur Cardo et les mixtapes Big Bossin, sorties en 2017 et 2018. Payroll en 2019, c’est aussi deux mixtapes solos aux allures de pures démonstrations de force : January 30th et No Validation Necessary.
Sada Baby, l’arrogante star de Détroit
Derrière ses dreads et son imposante barbe, Sada Baby est de ceux dont la présence se remarque. Ce charisme naturel se transmet au micro au travers des deux principaux traits qui caractérisent sa musique : la capacité de rapper au kilomètre et celle de créer des mélodies captivantes. Le visage grimaçant et les épaules se disloquant de son corps à chaque pas de danse, Sada Baby inquiète autant qu’il fascine, fait rire autant qu’il effraie. Il incarne à la perfection une sorte de personnage de cartoon plus grand que nature caractérisé par des textes, parfois violents à l’absurde, et des changements de flows agressifs. Cette folie ponctuée d’ad-libs salvateurs (« HUH ! ») pouvant rappeler les grandes heures de Gucci Mane lui aura permis de sortir deux des meilleurs projets de l’année, Bartier Bounty et la Whoop Tape.
42 Dugg, le rookie à ne pas manquer
Co-signé par Yo Gotti et Lil Baby, 42 Dugg est l’un des talents à suivre absolument outre-Atlantique. Si Payroll Giovanni représente les anciens toujours en place et Sada Baby les rappeurs du moment, 42 Dugg pointe résolument du doigt vers le futur. Il commence à rapper à l’âge de 20 ans pour tromper l’ennui en prison alors qu’il termine une peine entamée à l’âge de 15 ans pour des raisons inconnues. De cette période, il en gardera une rage juvénile qu’il vient recracher au micro… Mais aussi des regrets qu’il exprimera dans l’un de ses premiers morceaux à succès, Mama I’m Sorry. Dans la lignée mélodique d’un Babyface Ray, 42 reste les pieds bien attachés aux rues de sa ville et lui offre certains des meilleurs street anthems de cette année sur son dernier projet Young and Turnt. Si le tag de Helluva Beats, super-producteur de Détroit, rappelle le sifflement d’un obus tiré au début de chaque track, le rappeur zigzague entre les chutes de balles avec aisance. Parmi les invités, on peut également noter l’infatigable Peewee Longway et l’une des figures les plus populaires de Détroit, Tee Grizzley. Preuve s’il en fallait que 42 Dugg est l’un de ces petits qui a tout pour faire partie des grands.