De passage sur l’émission Big Boy TV à l’occasion de la sortie de son nouvel album TM104: The Legend of The Snowman, Jeezy s’est exprimé au sujet de l’évolution de la trap et en particulier sur le rôle de 6ix9ine : « S’il avait été suffisamment intelligent, il apparaitrait déjà au cinéma en ce moment. Il est évident que c’est un acteur avant tout. Un acteur peut émuler n’importe quoi. Il a observé la manière dont les gens devenaient populaires dans la musique et se l’est approprié, quand on y pense c’est un véritable génie du marketing mais ça n’en fait pas une personne authentique pour autant. » 6ix9ine, un génie du marketing ? Ce qui est certain, c’est que le rappeur a proprement monopolisé l’attention des médias et du public durant les douze mois qui séparaient la sortie de son banger Gummo de celle de son album Dummy Boy. En attente de son jugement prévu pour janvier 2020, 6ix9ine continue de déchaîner les passions et de régulièrement faire la une des médias spécialisés et généralistes…
Se différencier de la concurrence, 6ix9ine et le marketing de rupture
Les amateurs assidus des aventures du plus fruité des rappeurs américains n’auront pas manqué de remarquer que bon nombre des clips de ce dernier étaient publiés sur la chaîne YouTube de FCK THEM, un label rap indépendant basé à Bratislava. En 2014, les premiers clips de 6ix9ine sont loin de déchaîner les foules, mais rencontrent progressivement un succès modeste auprès des amateurs d’emo-rap et de mumble. Difficile en effet de se démarquer de ses concurrents dans un marché qui reprend doucement sa croissance depuis quelques années et qui se trouve saturé par une nouvelle génération aux dents longues. Dans ce contexte, Daniel Hernandez de son vrai nom recourt au marketing de rupture en déplaçant son terrain d’action dans un environnement offrant une marge de manoeuvre plus confortable. En observant les statistiques de sa chaîne YouTube, il constate avec étonnement qu’un bon nombre d’entre elles proviennent de Slovaquie. La raison ? Un partage sur la chaîne Facebook de Dalyb, l’un des membres du collectif local Haha Crew avec lequel il collaborera quelques mois plus tard sur le titre Rollin Stones. Une connexion qui le poussera à quitter New-York pour la première fois de sa vie pour partir à la rencontre de Michal Novotný et de son label FCK THEM. Ensemble, ils établissent une stratégie intitulée « from Europe back to America » consistant à créer un engouement autour de sa personne en Europe de l’est, de récolter des fonds grâce à ses performances live avant de les réinvestir dans sa carrière outre-Manche…
Devenir incontournable sur les réseaux, 6ix9ine et le marketing viral
En juillet 2015, 6ix9ine pose les fondations de son personnage dans le clip de ScumBag : un univers dystopique ultraviolent, des inserts d’animés japonais, un accoutrement exubérant… Fortement influencé par la culture de l’image sur internet, il se crée un alter ego cartoonesque susceptible de manquer l’esprit des auditeurs et de le faire ressortir de la masse. Ce développement atteint son paroxysme dans Get The Strap, son featuring avec 50 Cent dans lequel il se projette dans la peau du Joker, le super-vilain charismatique de Gotham City (DC Comics). L’aspect décalé de 6ix9ine et de sa chevelure multicolore contraste fortement avec la brutalité de ses textes et ses apparitions constantes dans les faits divers. Sur les réseaux sociaux, le rappeur exploite le burlesque de son personnage et les procédés du marketing viral pour atteindre un public aussi large que possible. De sa relation père-fils avec un 50 Cent plus heureux que jamais de s’enfoncer dans la provocation à la fameuse vidéo tournée au Mexique dans laquelle il court, nu, en brandissant un fusil d’assaut AK-47, chacune de ses apparitions sur les réseaux sociaux est calculée pour susciter de l’engagement c’est à dire pour pousser le consommateur à devenir un agent de communication. Quelques années plus tard, Lil Nas X emploiera des procédés pas si éloignés de ceux de 6ix9ine pour s’accaparer le sommet des charts internationaux avec son hit Old Town Road, des mises en scène sur les réseaux sociaux à l’exploitation des codes de la meme culture…
Un artiste dans les faits divers, 6ix9ine et l’entertainment marketing
Le 22 juillet 2018, 6ix9ine est kidnappé, dépouillé et passé à tabac par trois hommes armés alors qu’il passait par Brooklyn en rentrant du tournage du clip de son single Fefe. Anthony Ellison, le suspect présumé, affirme que le rappeur a organisé son propre enlèvement en vue d’assurer la promotion de son album. Une manière comme une autre de se disculper ? Quoi qu’il en soit, les faits divers occupent une place primordiale dans les schémas de communication du rappeur, pour une excellente raison : il prend rapidement conscience que les artistes dont on écoute la musique sont ceux qui font parler d’eux en-dehors de leur musique. Traditionnellement, l’entertainment marketing est utilisé pour assurer la promotion d’un produit ou d’une marque en utilisant des canaux générant un engouement fort. C’est notamment le cas des partenariats avec des célébrités, en particulier des acteurs et artistes, mais aussi des placements de produits, du sponsoring d’évènements médiatisés… 6ix9ine, qui s’est déjà créé un personnage à fort potentiel viral, va utiliser un mécanisme similaire et s’offrir une couverture médiatique permanente au travers du beef interminable qui l’oppose à Trippie Redd, de son implication dans des guerres de gangs et de ses menaces à l’égard du rappeur de Chicago Chief Keef et de son équipe. Un véritable feuilleton policier dont le public se régale des mois durant, jusqu’à l’arrestation le 18 novembre 2018 du rappeur et de ses associés. Ironie du sort, ce sont ses rapports conflictuels avec la justice qui finiront par mettre fin à sa carrière de manière anticipée…