Si les albums communs ont existé de tout temps dans le rap, la venue au monde de What A Time To Be Alive en 2015, mixtape signée par deux des rappeurs les plus bankable de leur ère (Drake et Future) et résultant du mythique Watch The Throne de Jay-Z et Kanye West, a semble-t-il donné un nouveau souffle à ce format. En effet, depuis cette échéance, les albums communs pullulent, témoignage d’un rap américain complètement décomplexé dans lequel la concurrence est bien plus saine et autorise sans tabou ce genre de pratiques.
➡️ Metro Boomin, le champion incontesté des albums communs
En outre, au-delà des annonces d’albums communs des artistes (on rappelle qu’un NBA YoungBoy x Lil Uzi Vert est dans les tuyaux), la demande émane des fans même qui eux aussi se prennent à rêver, à souhaiter ardemment la formation de tandems inédits. Les rappeurs, eux, jouent de cette tendance nouvelle qui attise tous les désirs : Drake ou encore Kanye West laissent planer le doute quant à d’éventuelles collaborations futures. Mais derrière ces immenses stars aux positions timorées, d’autres rappeurs passent à l’action. Au-delà de Gucci Mane qui régale depuis les années 2010 en ayant collaboré avec Future, Young Thug, Lil Uzi Vert, Peewee Longway, Chief Keef ou Young Dolph entre autres, on peut citer Super Slimey de Future et Young Thug ou encore, dans un autre registre, Merry Christmas Lil Mama de Chance The Rapper et Jeremih.
Toutefois, dans ce format, un homme qui ne rappe pas s’est imposé au rang de roi. Metro Boomin, producteur omnipotent d’Atlanta, a signé quelques-uns des plus gros projets collaboratifs de ces deux dernières années. Après avoir réussi l’improbable tour de force de donner du relief et de mettre en exergue le talent de 21 Savage dont tout le monde doutait encore ; après avoir été aux commandes du premier long projet de Nav, la dernière pépite de XO, le label de The Weeknd ; enfin, après avoir été engagé par une des plus grandes légendes de sa ville, Gucci Mane, pour un Droptopwop extrêmement séduisant, il est passé à la vitesse supérieure pour Halloween en s’armant non pas d’un mais de deux Georgiens : 21 Savage et Offset.
➡️ Deux tueurs au micro réunis pour une illustration parfaite de la collaboration
En effet, ce 31 octobre dernier a été l’illustration parfaite de cette nouvelle propension à collaborer. Coup sur coup, les ovnis Lil Wop et Trippie Redd puis les floridiens Kodak Black et Plies ont marqué au fer rouge ce jour lugubre. Toutefois, c’est une autre collaboration qui a captivé la majorité de l’auditoire rap. L’impresario Metro a accueilli dans son cirque des enfers l’habitué 21 Savage et le non moins habitué Offset pour un dix-titres surprise, annoncé seulement quelques heures avant sa sortie, Without Warning, au nom très équivoque (littéralement « Sans Prévenir »). Sur cet album, chacun de ces artistes incarne une tête du cerbère crachant un feu noir et démoniaque esquissé par l’album. Les deux rappeurs, tapis dans l’ombre musicale de Metro Boomin, se dressent en tueurs monstrueux tout droit sorti des plus sanglants slasher movies.
➡️ Un projet porté par un 21 Savage sadique et un Offset à la technique sans failles
21 Savage est de loin le plus sadique des deux. Son timbre de voix atrocement limé, unique et terrifiant à la fois, fait encore plus froid dans le dos couplé à l’univers lugubre posé par Metro Boomin. Déjà, Savage Mode avait été le témoin de l’éclosion de ce qui est devenu la facette principale de 21 Savage : un boucher chérissant sa machette qu’il prend un malin plaisir à laisser traîner sur le sol lorsqu’il fond sur sa victime. Without Warning exploite cette sinistre veine à fond : ses flows lents, traînant sur les productions, l’esquissent pareil à un sombre psychopathe issu des ghettos de la zone 6, masqué et calibré sous le t-shirt trop large et maculé de sang. Les expressions de sa monstruosité sont éparses et très nombreuses mais, au-delà des flows, il a des lignes tout simplement surnaturelles. Au hasard, dans Rap Saved Me, il juge capital, au point d’en faire son refrain, de préciser que le Smith & Wesson coincé dans sa ceinture est inoxydable (« Smith & Wesson, and it’s stainless »). Son souci du détail est assez flippant. Plus loin dans le disque, sur My Choppa Hate N*ggas, il personnifie son arme au détriment de toute autre forme d’humanité en l’érigeant en chef spirituel du KKK dans un refrain ténébreux.
Quant à Offset, il brille par sa technique sans faille, à cela rien de nouveau. L’album est criblé de ses couplets époustouflants, façonnés par une maîtrise du triplet flow sans faille. Alors que 21 Savage sème l’angoisse et l’effroi rien qu’en débarquant sur le beat, Offset, lui, sans payer de mine, est client de la torture vicieuse, sauvage, brutale, incisive. Au premier abord pas tout à fait calibré pour l’univers musical concocté par Metro Boomin lent et pesant, il a su y impulser un rythme effréné, une sorte de course à la mort qui accroît le suspense et donne lieu à des morceaux solos fous tels que le groovy Ric Flair Drip, une danse macabre rendant hommage au plus excentrique et au plus grand champion de l’histoire du catch, ou encore sur son solo Nightmares émergeant d’une fascinante et monstrueusement folle transition après le solo de 21.
Ensemble, ils forment une paire aussi polyvalente que complémentaire. 21 est le psychopathe fou, raisonnant selon sa logique totalement déviante, le tueur à gages ayant choisi son métier par passion des tripes et de l’argent tandis que Offset torture sans pitié les cibles de leurs atroces agissements avant de les dépouiller et d’empocher leur salaire, la conscience tranquille et le cœur léger. Les deux rappeurs sanguinaires et méphistophéliques couplés au monde sonore poisseux, crasseux et atrocement morbide de Metro Boomin donnent lieu à la probable meilleure bande-son de slasher movie jamais composée. Si on regrette que le producteur n’ait pas croisé la route de Wes Craven ou de John Carpenter, le trio qu’il forme avec 21 Savage et Offset jongle avec l’horreur à en faire pâlir Michael Myers, Jason Vorrhees et Freddy Krueger.