Présent médiatiquement dans le rap français depuis 2014, Take A Mic a fait ses armes dans cette industrie, en démontrant son potentiel de kickeur, tout en étalant sa polyvalence artistique. En parallèle, il est compliqué de parler du rappeur originaire d’Orly sans évoquer sa productivité. En effet, Take A Mic a toujours mis un point d’honneur à sortir le plus de projets possibles, afin de tenter de nouvelles expériences, et surtout montrer sa progression d’année en année. C’est dans cette mentalité que le rappeur du 94 a abordé l’année 2017 en sortant Bipolaire, très bien reçu par la critique, et Boîte Noire, qui l’a été un peu moins. La raison ? Trois mois d’écart entre les deux projets. Ainsi, Take A Mic a logiquement décidé d’adopter une autre stratégie après la sortie de Boîte Noire en commençant sa série de freestyles Strict Minimum, mettant en avant ses aptitudes de freestyleur, mais cela lui a surtout permis de se faire remarquer par un public de plus grand ampleur. Sa prestation dans la première saison de Rentre Dans Le Cercle a renforcé cette tendance, et 6 mois plus tard, Take A Mic a jugé bon de sortir un nouveau projet intitulé Avant Gardiste. Nous sommes donc partis à sa rencontre afin de parler de ce nouvel opus, le succès des Strict Minimum, la réception mitigée de Boîte Noire et ses divers états d’esprits d’artistes.
HHR : On se retrouve pour la sortie de Avant Gardiste qui est disponible depuis le 29 Juin, avant tout es-tu déjà satisfait des retours du précédent projet Boîte Noire?
Take A Mic : Pas vraiment, Boîte Noire est sorti trop peu de temps après Bipolaire, certains sons ont eu des retours positifs, d’autres négatifs, les avis étaient assez partagé. Si je devais analyser rétrospectivement la sortie de Boîte Noire, et son contexte, c’était peut-être pas la bonne stratégie d’enchaîner aussi rapidement (ndlr : trois mois se sont enchaînés entre la sortie des deux projets), mais on a continué de travailler, on a rien lâcher, au contraire.
HHR : Justement, les avis négatifs évoqués t’ont été bénéfiques par la suite?
TAM : C’est important aussi les avis négatifs, ma productivité s’explique parce que chaque morceau m’aide à m’améliorer sur le prochain. Lorsque je reçois une critique sur un morceau, je vais faire en sorte qu’il n’y’ai plus ou moins de critique à faire sur le suivant. Ce que je n’aime pas, c’est la critique bête et méchante, sans aucune réflexion, je m’attarde même pas à répondre à ce genre de chose.
HHR : T’as pris conscience de tous ces paramètres, ainsi comment tu te sens au moment de la sortie de ton nouveau projet ?
TAM : J’ai fait de la bonne musique je suis d’ores et déjà satisfait de Avant Gardiste. C’est un projet sur lequel je me suis beaucoup investi, ce qui implique beaucoup de travail, comme d’habitude. Il y a une autre constante pour Avant Gardiste, c’est qu’il a été fait à l’instinct, avec des prises de risques mais je suis vraiment confiant. Même pour Boîte Noire je l’étais, après tout ne s’est pas passé comme nous le souhaitions.
HHR : Parallèlement, on peut avoir l’impression de ne jamais t’avoir autant vu auparavant, entre Rentre Dans Le Cercle, les freestyles Strict Minimum, ta communication sur réseaux sociaux, ainsi est-ce que l’échec de Boîte Noire a pu t’apporter un coup de boost?
TAM : Je vois pas vraiment ça comme un coup de boost, parce qu’au final un projet qui fonctionne moins bien ne t’aide pas en termes d’exposition. Boîte Noire m’a surtout apporté de la motivation supplémentaire. C’est un processus qui arrive dans la carrière d’un artiste ou la vie d’une personne quand on entreprend des choses, parfois ça marche pas, faut relever la tête, travailler deux fois plus.
HHR : En parlant de Rentre Dans Le Cercle, t’as forcément dû être satisfait des réactions dithyrambiques sur ta performance, c’est toi qui a eu l’idée de l’ensemble du concept?
TAM : Bien sûr, j’ai tout planifié, l’extrait, la tenue, venir avec mon chien tout seul, j’étais confiant avant d’arriver et tout s’est passé comme prévu. Ce que les gens ne savent pas, c’est que j’avais un bouchon à chaque oreille quand j’ai posé, je n’entendais pas l’instru, je posais uniquement sur les kicks.
HHR : On va désormais aborder le projet Avant Gardiste, peux-tu nous expliquer la cover et sa signification?
TAM : Avant tout, elle s’est faite en 48 heures, de base je voulais organiser un faux défilé de mode mais en termes de budget, c’était pas possible. J’étais dos au mur, en termes de temps, du coup il me restait peu de temps, j’ai fait de façon simple et efficace avec un shooting. Ainsi la cover et le livret ont été faits dans la foulée, en 24 heures. Je voulais mettre en avant le côté mode, tout en imageant mon parcours qui évolue étape par étape à l’image de la cover.
HHR : En parlant de mode, cela ne t’est jamais venu à l’esprit de tenter quelque chose de vraiment marquant visuellement, à la limite de l’excès, afin justement d’être avant gardiste?
TAM : J’ai tout le temps des idées, avant gardiste c’est pas seulement moi, cela parle des gens qui peuvent aller dans l’excès et ne sont pas toujours compris ou du moins pas tout de suite. Cela nous est déjà arrivé à tous d’avoir une idée dans la tête mais personne n’est chaud pour suivre et puis au final c’est quelqu’un de plus exposé qui a la même idée, en tire profit et l’exploite parfaitement. On va pas se mentir, quand cela arrive, tu sens que t’as pris une carotte.
HHR : Pour en revenir au projet, il y avait une époque où tu posais surtout sur des Face B de Rap US, maintenant tu travailles davantage avec des gros producteurs français, est-ce que c’est également parce que tes influences ont changé ?
TAM : Déjà mais c’est surtout parce que j’aime le challenge et j’ai pas envie de rester sur mes acquis. Twinsmatic, par exemple, ils ont un univers très cloud, très aéré, au départ c’était un défi de poser sur ce genre d’instru. Niveau écriture, j’ai un peu plus de mal à aller chercher de nouveaux thèmes, en revanche j’essaye de toujours varier les prods, histoire d’avoir pas mal de couleurs différents au sein d’un projet. Je me vois plus comme un artiste qu’un rappeur maintenant, dans le sens où je sais faire autre chose que du rap.
HHR : Mais finalement, travailler avec les beatmakers les plus prisés du rap français, c’est pas si avant gardiste que cela, finalement?
TAM : Pour moi si ! Je ne reçois pas pas les mêmes productions que les autres, et du coup je sélectionne pas les mêmes que les autres. Ce que je leur demande est avant tout de ne pas avoir de productions qui pourraient être envoyées à d’autres artistes. Les beatmakers sélectionnés sont très bons, ils sont au niveau de ce qui se fait ailleurs et je leur demande des choses différentes par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de faire. Ils sortent de leur zone de confort avec moi.
HHR : Sinon, tu suis ce qui se fait en Rap US actuellement ?
TAM : Pas trop, récemment j’ai bien aimé Trippie Red, 6ix9ine j’ai aimé uniquement Gummo et en rap français y’a eu Ninho… J’ai vraiment très peu de temps pour écouter du rap car je suis concentré sur ma propre musique. Quand un clip sort je clique mais écouter un projet entier j’ai du mal maintenant, et je le fais très rarement.
HHR : Plus tôt, on parlait de transition pour toi, de changement d’instru. N’as-tu pas peur que la polyvalence soit à la fois ta meilleure qualité et ton meilleur défaut ?
TAM : Franchement, c’est une question que je me pose souvent. J’avais vu une interview d’Alonzo qui disait que ça avait pété pour lui à partir du moment où il a commencé à « frapper sur le même arbre ». Personnellement, je tente plusieurs styles et cela va permettre au public de m’aiguiller sur ce qu’ils aiment chez moi. Quand je fais des freestyles Strict Minimum, c’est ce que j’apprécie le plus artistiquement. Je n’aime pas rester dans ma zone de confort, si demain un morceau pète les gens diront que je suis trop chaud mais en vrai j’aurais juste pris un peu plus de risques, et puis cela fait partie de mon délire avant gardiste en prenant des risques. Regarde, aujourd’hui on a un Dosseh qui a visé un public un peu plus large avec Habitué et visiblement ça fonctionne pour lui!
HHR : Quand tu parles de marketing et tentatives échouées, cela peut faire penser à la stratégie de Blessure d’Amour quand tu avais simulé un piratage sur twitter par ton ex…
TAM : Là aussi, j’étais avant-gardiste. Par la suite, combien ont essayé de le refaire ? certains ne m’ont pas pris au sérieux car je n’ai pas l’exposition de certains autres. On ne m’a pas pris au sérieux mais au final j’ai fait des millions de vues. Je suis l’un des premiers rappeurs français à être passé dans Vogue, à être sponsorisé, apparaître dans un jeu vidéo. Si cela avait été d’autres artistes, on en aurait parlé 3-4 ans mais c’est pas rien, je continue de bosser et cela finira bien par prendre.
HHR : Il y avait un objectif commercial précis en première semaine ?
TAM : Oui, mais je ne le dirai pas parce qu’on ne pourra pas dire « Ah Take A Mic il s’est planté » !