Depuis le 30 novembre, Headshot est disponible chez tous les bons disquaires, les plateformes de téléchargement légal et même en format K7 sur le site de Misere Record. Oscillant entre la mixtape et la compilation, et introduit par une avalanche de clips, cet ovni réunit les plus grands noms de la scène rap underground actuelle, tels que Lacraps, Mani Deïz ou encore les membres du Gouffre, des tauliers comme Joe Lucazz, Sheryo et Sëar-lui-même, mais aussi des nouveaux couteaux comme Ismaël Lesage, Ritzo, Cenza et bien d’autres encore. Pour Hip-Hop Reverse, cette sortie était l’occasion d’aller à la rencontre des deux cerveaux derrière le projet, à savoir le graphiste Slob et le producteur Misere Record, afin d’en apprendre davantage sur leurs parcours respectifs et revenir avec eux sur la genèse de la compilation.
Revrse: Est ce que vous pourriez vous présenter rapidement pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Misere Record: Alors à la base je suis natif du Havre. C’est là- bas que j’ai vraiment commencé à rapper en 2002, j’avais à peine 15 piges. J’ai toujours été un passionné de son. Déjà à l’époque je me débrouillais pour avoir de quoi enregistrer, faire des boucles, etc… Mais en fait, j’crois que ça a commencé même bien avant : je me souviens quand j’avais à peine 12 ans, mon père pour noël m’avait acheté un synthé et l’album Résurrection de KDD. C’est à ce moment là que j’suis tombé dans le rap à toute patate. Les prods, à la base je m’y suis peu à peu mis pour pouvoir poser sur mes propres sons. À partir du moment où je me suis mis à produire, j’ai toujours tourné a un régime minimum d’une prod par jour. Avec le temps, j’ai réalisé que écrire, rapper, mixer, faire ses prods, tu peux le faire mais pas aussi bien que si tu choisissais un seul domaine. Aussi estimant que j’avais dit tout ce que j’avais à dire, et ayant fait pas mal de projets et de scènes, j’ai réalisé que le rap ne m’apportait plus grand chose. En 2014 J’ai donc décidé de garder uniquement la double casquette de beatmaker et d’ingénieur du son. J’ai investi pas mal d’argent dans mon matériel parce que je voulais vraiment travailler avec le top du top. J’ai investi dans une paire de monitoring (ndlr: enceintes très utilisées en studio d’enregistrement pour le mixage) à plus de 4000 euros la paire. J’ai dû tester au moins 15 samplers en 4 ans. De cette façon j’ai pu vraiment pousser mon délire d’expérimentation sonore au maximum dans mes recherches de grain et de texture pour les drums notamment. Voulant vraiment me professionnaliser dans mon activité j’y passe minimum 8 heures par jour. Du coup, j’ai finalement gardé le blaze Misere Record qui était à la base une sorte de label dans lequel il y avait les artistes avec qui je bossais. Même si j’ai finalement tracé ma route en solo, le nom est resté. Niveau projets, j’ai sorti Le rap indé ouvre sa gueule en 2016 avec les membres du Gouffre, Nasme et plusieurs autres MCs. Et en 2018 j’ai sorti Press Play, une compilation d’inédits réalisée en 1 mois avec la participation d’Aki La Machine, Nozey, Sëar-lui-même, Tony Toxik de l’Uzine et bien d’autres encore.
Slob: J’ai 33 ans, originaire de Caen, graphiste depuis environ 13 ans. J’ai toujours aimé dessiné et je me suis intéressé au numérique quand j’étais ado. Avec les moyens que j’avais, j’ai commencé à faire mes trucs, surtout des logos, et petit à petit j’ai fait mon trou. J’ai eu le contact de Demi-portion par l’intermédiaire d’un pote et je l’ai contacté pour lui faire une cover. Ensuite j’ai continué ma route avec un groupe de Normandie qui s’appelait 14-Basse et par la suite j’ai commencé à travailler avec des gens de Paris notamment Cristo et AB.S. C’est d’ailleurs Cristo qui m’a fait rencontrer Mani Deïz qui était vraiment dans son coin à l’époque. Il m’avait dit « Je viens de rencontrer un putain de beatmaker, il faut absolument qu’on fasse un truc ensemble ». De leur rencontre est né Kids of Crackling (ndlr: collectif de 6 beatmakers composé de Mani Deïz, Fef’, Rakma, Cristo, Metronom et Nizi) et j’ai fait leur logo. C’est ce qui m’a permis de rencontrer Mani Deïz dans la foulée et on s’est super bien entendu. Il a démarré un premier projet solo et c’est de là que tout à vraiment commencé au niveau de ma productivité dans mes activités de graphiste dans le Hip-Hop. À partir de là, j’étais à environ deux covers par mois à peu prés. J’ai fait pas mal de choses notamment quasiment l’intégralité des covers de Mani Deïz.
Après pour te parler des pochettes marquantes qui ont plu aux gens il y a eu Ritzo avec Point zéro, Paco et Mani Deïz avec Pacman, Ismaël Lesage avec Le Bestiaire, Paco avec Baraka Feat, Lacraps avec Machine à écrire, Lacraps et Mani Deïz avec 42 grammes. Il y a eu aussi Martyrs Modernes aussi avec Pejmaxx, Ol Zico, Néfaste et Mani Deïz. C’est l’une de mes préférées. En parallèle à mes activités de graphiste j’ai commencé à taffer la vidéo autour de 2008-2009. Cela a mis un peu de temps à démarrer parce que je faisais ça en autodidacte et que je découvrais progressivement le truc. Je m’y suis de plus en plus intéressé et puis maintenant je commence à être à l’aise avec ces outils et j’essaye d’avoir un œil le plus affûté et précis possible sur ce que j’aimerais amener en vidéo. C’est quelque chose que j’aimerais développer beaucoup plus dans les années à venir, et pas seulement dans le rap.
Revrse: Comment s’est faite votre connexion et comment est née l’idée de réaliser un projet ensemble ?
Slob: J’ai rencontré Misere Record en 2016, il m’avait sollicité pour son projet Le rap indé ouvre sa gueule. À l’époque je lui avais juste fait une cover et le courant est bien passé entre nous. Suite à ça, il a sorti un deuxième projet Press Play sur lequel j’ai aussi fait la cover. C’est à partir de là qu’on a décidé de démarrer la compilation Headshot. À la base c’est lui qui a eu l’idée qu’on réalise une compile ensemble et qu’on s’occupe de la direction artistique tous les deux. Moi je lui ait dit que ça tombait super bien parce que c’était vraiment le moment où j’avais envie de sortir un projet musical concret et de le diriger.
Misere Record: Pour ma connexion avec Slob, je ne sais plus vraiment qui m’avait conseillé son taf. Je l’avais contacté par le biais de Facebook pour la cover de mon projet Le rap indé ouvre sa gueule, et de fil en aiguilles, au travers des conversation via Facebook et de quelques rencontres, on est devenu des super potos. Ayant des goûts qui se rapprochent pas mal niveau du son et ayant chacun l’idée de mettre en place un projet de compilation les choses se sont faites d’elles-mêmes.
Revrse: Qu’est ce que vous vouliez amener avec ce projet ?
Slob: Le délire qu’on a voulu vraiment apporter est une couleur Boom-Bap sans que ce soit ni à l’ancienne, ni ultra moderne. On a vraiment voulu mettre une couleur qui soit à la fois mélancolique et sombre mais aussi très patate. Vraiment le but c’était de se faire plaisir et de sortir la mixtape qu’on aurait voulu sortir à l’époque. C’est vraiment cet esprit mixtape qu’on a voulu amener sur ce projet pour que ce ne soit pas juste une compile bateau.
C’est quelque chose qui a de l’importance pour nous et qui a une signification pour l’underground parce qu’on pas ramené n’importe qui. On considère que tous les rappeurs qui sont présent sur cette compile sont vraiment des invités de qualités. Ils ont tous fourni du bon taf.
Revrse: Comment avez vous trouvé le nom et le concept de la compilation ?
Slob: On a pris pas mal de temps pour trouver le nom. On avait plusieurs idées en tête au niveau du titre notamment euh…non ça je ne peux pas le dire (rires). Bref on voulait quelque chose d’impactant et je pense qu’on ne s’est pas trop loupé.
Revrse: Comment s’est fait le choix des artistes présents sur la compile ?
Slob: On a voulu vraiment inviter les gens qu’on appréciait artistiquement. En plus il se trouve que pas mal d’entre eux sont des gens qu’on connaissait déjà et avec qui humainement on s’entend super bien. Il y a vraiment beaucoup d’entourage proche sur la compile comme Sheryo, Mani Deïz, Ismaël Lesage, Lacraps, Le Gouffre, Dino, etc…Et au final on est très contents du résultat.
Revrse : Comment s’est passé la répartition des tâches pour le projet ?
Misere Record : De mon coté je me suis occupé de faire tout ce qui concerne le son, c’est-à-dire les prods, le mixage et le mastering. Slob lui s’est chargé de faire tout ce qui était relatif à l’image : la cover et les clips.
Revrse: Slob est ce que tu peux nous parler un peu du visuel de Headshot ?
Slob: Par rapport au coté visuel, tant au niveau de la cover que des clips, c’est aussi le coté mixtape que je voulais mettre en avant. Moi j’étais en kiff total devant pas mal de visuels des mixtapes aux alentours des années 2000 que ça soit celles qui sortaient aux US ou celles qui sortaient en France. Les covers des mixtapes de JR Ewing par exemple, qui étaient des trucs insolents, street et crapuleux à souhait, c’étaient des visuels très simples mais avec beaucoup de subtilités et qui avait beaucoup d’impact. C’est donc ce coté mixtape des années 2000 qu’on voulait apporter musicalement et visuellement sur cette compilation. La cover peut représenter plusieurs choses: chacun peut la lire à sa façon et de différentes manières. Mais sinon concrètement on y voit un mec qui s’est pris une bastos en pleine tête. Ce type ça peut être plusieurs personnes : un programmateur radio, un ingénieur du son…Ça peut aussi être l’auditeur dans sa chambre à l’écoute de l’album. C’est vraiment pour jouer sur la symbolique: le fait que tu sois sonné par les sons équivaut à te prendre une balle en pleine tête. Visuellement un peu de violence ça ne fait jamais de mal.
Revrse: Misere Record quelle est ta méthode de travail et quelles sont tes influences ?
Misere Record: Pour l’inspiration, j’essaie de ne pas suivre ce qui se fait et de marcher à l’instinct selon les samples que j’ai en main au moment où je suis en train de travailler une prod. Là par exemple pour Headshot j’ai réalisé plus de 300 prods. Un tiers d’entre elles ont été réalisées avec la SP-12 (ndlr : sampler notamment utilisé par Paul C, De La Soul ou encore Public Enemy sur Fear of Black Planet). J’ai surtout utilisé la SP-12 pour faire les drums et parfois pour le sample aussi. Après j’ai appris de pas mal de monde que j’ai rencontré. Notamment en 2004 j’ai fait un atelier chez Din Records et Proof m’a appris pas mal de petits détails. D’ailleurs s’il devait y avoir un beatmaker en particulier qui m’a influencé, je dirai que c’est lui, jusqu’à ce qu’il s’oriente vers la trap. Ce n’est pas que je sois anti-trap mais je trouvais qu’il avait vraiment créé son univers propre à l’époque.
Reverse: Quels sont vos futurs projets ?
Misere Records: J’ai taffé un peu sur le prochain album de Davodka, j’ai produit le tiers des sons de 88, le nouveau projet de Tony Toxik de l’Uzine, j’ai bossé sur un projet commun avec Nozey et je vais bientôt remettre le couvert pour une nouvelle compilation dans le même esprit que Headshot.
Slob: Concernant mes futurs projets, je compte prendre un peu de distance avec le rap, ce qui ne veut pas dire que je vais m’éclipser et disparaître du jour au lendemain, au contraire. Déjà j’aime bosser avec des gens pour lesquels j’ai un intérêt artistique comme c’est par exemple le cas avec Ismaël Lesage qui va bientôt sortir son nouveau projet L’épouvantail. J’ai été contacté par plusieurs labels récemment donc je ne sais pas de quoi demain sera fait. Mais aussi à coté de ça, j’ai toujours des activités dans le visuel et dans la vidéo. Je ne compte pas faire que du rap, j’ai d’ailleurs réalisé un court métrage récemment dans le cadre d’un festival. J’ai plusieurs projets en tête que ce soit dans le graphisme, la photo, des projets d’expos, des projets vidéos, éventuellement des projets de court-métrage aussi. Donc il y a beaucoup de choses qui se chamboulent dans ma tête actuellement mais c’est tant mieux et je pense que la suite n’en sera que meilleure. Ce n’est que le début.