En début d’année, Sam’s faisait son grand retour avec Deux Ex Machina, un projet sombre marqué par les stigmates de sa carrière et porté par une illustration choc de Fifou. On pouvait y retrouver des collaborations avec des artistes comme Naza, Brav, Nemir, Demi Portion et Anna Kova ainsi que des compositions de hitmakers comme Noxious et Biggie Jo. Un entourage solide pour un retour aux augure bien des projets du côté du rappeur originaire de Bordeaux. Après une quinzaine d’années de carrière dans la musique, entre un passage sur la compilation Hostile 2006 et un premier album intitulé Dieu est grand en 2015, Sam’s a posé des assises solides pour les temps à venir. Plongé dans une époque où les artistes urbains se voient offrir des parcours alternatifs dans de nouveaux univers créatifs, de la mode au théâtre, Sam’s se sent plus que jamais à sa place. Depuis sa participation à la web-série En attendant demain il y a dix ans de cela, le rappeur a tenu à mener de front des carrières distinctes dans le monde du cinéma et dans celui de la musique. Au cours d’une interview exclusive, Sam’s s’est confié sur les évolutions les plus récentes de ce parcours hors du commun…
REVRSE : Dans un premier temps, peux-tu me parler des retours de Deus Ex Machina après quelques années de carrière en dents de scie ?
Sam’s : Avant ce projet, je sortais quelques clips, quelques morceaux, et quelques featurings. C’est vrai que le public me voyait un peu moins car j’étais pris dans d’autres activités, entre les tournées, l’écriture pour d’autres artistes, et le studio. J’étais dans un process où je savais à quelle heure je rentrais mais pas à quelle heure je finissais. A force, sur la création artistique, j’essayais d’être dans l’évolution, tester de nouvelles choses, de nouveaux délires. Ce qui était cool sur les retours c’est personne ne me disait « c’est bizarre que tu tentes tel style ». Finalement j’étais content car ça m’a permis d’être totalement décomplexé dans ma manière de faire des morceaux et de ne pas être intégré dans une case.
REVRSE : Durant ce laps de temps où tu te testais en studio, j’imagine que beaucoup de morceaux ont été enregistrés, comment s’est opérée la sélection ?
Sam’s : Ce qui est marrant avec ce tri, c’est qu’il y a des morceaux enregistrés très récemment et d’autres qui ont plus de deux ans. Par exemple, le morceau avec Naza a été enregistré il y a plus de deux ans. D’ailleurs c’était important que Naza soit sur le projet, humainement et artistiquement, le personnage est un génie.
REVRSE : Tu évoquais ton rôle d’auteur pour d’autres artistes, est-ce que tu sens le besoin de te mettre en retrait lorsque tu exerces cette fonction ?
Sam’s : Quand t’es auteur pour d’autres artistes, ce que les gens ne savent pas, c’est que tu n’écris pas ce que t’aurais pu écrire pour toi. Quand tu écris pour quelqu’un, il faut toujours prendre en compte la capacité d’interprétation de l’artiste pour lequel tu écris. Il faut voir que cette partie implique beaucoup de travail, c’est usant et tu donnes beaucoup de toi-même. Forcément, le temps donné aux autres est du temps que tu n’accordes pas à tes propres projets. Pour moi, ça me permet de sortir de ma zone de confort, et d’élargir ma palette artistique. Malheureusement, en France, c’est encore tabou et ça rend ce travail ingrat. Ce qui est marrant, c’est que les gens de la pop n’ont aucun mal à dire qu’untel leur a écrit un texte.
REVRSE : Dans le même temps, tu t’es aventuré dans le monde du cinéma… C’était important d’aller explorer d’autres univers artistiques ?
Sam’s : J’ai toujours été entre plusieurs trucs, même à l’époque où on me connaissait un peu plus pour le rap. J’étais toujours dans des vidéos, des court-métrages, et j’ai toujours été entre ces deux milieux. Ce n’était pas forcément une question d’équilibre, je voulais avancer dans ces deux voies, et le timing fait que récemment, j’ai eu beaucoup plus de projets à accomplir dans le cinéma. Quand je fais quelque chose, je le fais à 100%. Puis quand je vois que La vie scolaire est à plus d’1,3 millions d’entrées, je me dis que j’ai bien fait d’accepter ce rôle.
REVRSE : D’ailleurs, c’est un rôle assez contrasté qui t’a été confié. Ça change des personnages très clichés qu’on a tendance à coller aux rappeurs…
Sam’s : Ce qui était cool, avec Grand Corps Malade et Mehdi Idir, c’est qu’on s’était déjà rencontrés sur le tournage du film Patient. Quand ils m’ont proposé ce rôle dans La vie scolaire, j’ai vu ça positivement. En fait, j’ai eu l’impression d’être considéré et qu’on ne me donnait pas un rôle pour un rappeur ou pour un renoi. Avant ça, j’avais tourné dans quelques films et séries mais je n’ai jamais voulu mettre en avant mon étiquette de rappeur dans le monde du cinéma, et pareil pour le rap, en ne mettant pas vraiment en avant mon étiquette d’acteur. Je souhaitais avoir une crédibilité à la fois dans le rap et dans le cinéma.
REVRSE : L’un de tes gros projets à venir est la série Validé de Franck Gastambide produite par Canal +. Quel rôle t’a été confié ?
Sam’s : J’ai un des rôles principaux et je suis également coordinateur artistique sur la série. Si tu veux, coordinateur artistique implique de devoir gérer tout ce qui est relatif à la musique, donc ramener les invités, créer la musique pour les épisodes, les personnages et contacter les bons compositeurs. En fait, je me suis occupé de tout ce qui était inhérent à la musique dans cette série.
REVRSE : Sans rentrer dans les détails, j’imagine que tu as cherché à mettre en avant une palette de styles et de générations de rap français dans ce projet ?
Sam’s : Avec Screetch de Daymolition, nous avons fait la démarche d’aller voir tout le monde, de leur présenter le projet et leur dire clairement, « vous acceptez ou vous n’acceptez pas ». C’était un moyen pour les gens du rap de rentrer dans le milieu audiovisuel, et c’était important. Franck a été bienveillant car il n’a pas voulu stigmatiser le milieu du rap, lui donne sa vision et sa réalité de l’industrie. C’est le seul réalisateur du cinéma français qui tient à mettre des rappeurs en avant ou de la bande-son rap dans ses films. Ce qui est bien, c’est qu’il fait des films populaires, pouvant plaire à tout le monde, avec des bandes-originales de qualité.
REVRSE : D’ailleurs de qui venait l’idée de départ de la série ?
Sam’s : Elle venait de Franck, c’est sur le tournage du film La surface de réparation qu’il me l’a expliquée. A cette époque Franck avait seulement l’idée que ce serait une série centrée sur le rap et produite par Canal +. La difficulté rencontrée était de trouver un rappeur qui savait jouer, avec un minimum d’expérience. Il ne voulait pas prendre un acteur à qui on apprendrait à rapper car cela aurait manqué de vérité. Ensuite, comme on avait joué ensemble, Franck me disait que c’était une évidence que j’apparaisse dans la série. Quand il a une idée en tête, il va jusqu’au bout et c’est impressionnant.
REVRSE : Le tournage s’est déroulé sur combien de temps ?
Sam’s : Finalement ça été trois mois de tournage mais quasiment deux ans de préparation. Il y a tout un processus car une série ne se tourne pas pareil qu’un film. Dans une série, tu tournes 10 épisodes, qui font 30 minutes, donc tu tournes l’équivalent de trois films. Ce qui nécessite une grosse préparation en amont, avec des budgets qui ne sont pas les mêmes que pour des films, étant donné que c’est la télévision. C’est un travail H24, il n’y a pas de samedi et de dimanche.
REVRSE : Sur ce point, t’as dû retrouver un rythme proche du monde de la musique, non ? D’ailleurs, est-ce que tu as remarqué d’autres similitudes en termes d’organisation du travail ?
Sam’s : C’est encore pire lorsqu’il s’agit d’une série qui traite du rap. Entre les guests qui viennent, et qui s’enchaînent, la politique mise en place pour faire comprendre que c’est un projet fédérateur, faire venir à l’heure les artistes parce que tout est chronométré quand tu réalises un tournage pour le cinéma… Tu fais un concert ou une séance studio, t’arrives un peu en retard mais c’est pas bien grave. Dans un tournage, t’as 70 à 110 personnes sur le plateau qui sont toutes rémunérées à la journée au pro rata du temps passé sur place. Donc si t’arrives en retard, tout le monde est en retard et c’est des journées à 100, 200, 300 000 euros. Derrière, il y a un directeur de production qui dit qu’un budget était réservé pour telle séquence et que c’est mort si quelqu’un ne vient pas, ça te met une grosse pression et t’en fais des nuits blanches.
REVRSE : Le rôle que t’as occupé sur le tournage du film s’apparente un peu à de la production, c’est une activité qui pourrait t’intéresser ?
Sam’s : Actuellement, non, car je suis sur trop de projets. Plus tard, pourquoi pas, mais je serai le genre de producteur à monter une équipe avant tout et ensuite passer à la production. Parfois on crache sur les producteurs, mais c’est un métier super chaud, tu donnes ta vie et ton argent. Surtout si tu produis un mec qui va péter ou pas et te crachera ensuite à la gueule. Après, un équilibre s’instaure car le producteur prend ses billes à la fin, mais c’est compliqué pour un artiste de ne pas avoir l’impression de se faire exploiter.
REVRSE : Sur la musique, tu prévois quoi dans les mois à venir ?
Sam’s : Je m’occupe de la bande-originale de la série déjà, et en même temps je prépare mes projets. Ce qui est bien avec la série, c’est que j’aurai l’exposition profitable pour pouvoir sortir ce que je veux. Je le disais même avant, le bémol dans ma carrière était l’exposition que j’avais, qui n’était pas forcément adaptée au travail que j’avais fourni sur de nombreux projets. C’est une question d’alignement des planètes. Désormais, je peux avoir les armes pour être écouté par un maximum de personnes.
REVRSE : Jusqu’à maintenant, tu n’as jamais eu l’impression d’être passé à côté de certaines choses dans ta carrière ?
Sam’s : Non parce que je sais qu’à une certaine période, c’était pas possible d’avoir cette exposition. Parfois dans la vie, certaines choses n’arrivent pas mais pour des bonnes raisons. Admettons que j’aurais eu une plus grande exposition, j’aurais été vu comme un rappeur avec une marque trop importante pour m’occuper d’un projet comme Validé. Tout arrive à point nommé quand tu travailles sans te prendre la tête. Parfois, c’était un choix de ne pas rentrer dans certaines choses afin que je puisse me regarder dans une glace. Après, chacun voit midi à sa porte, je ne juge personne. Je sais qu’avec le recul, des rappeurs sont rentrés dans des choses que je refusais et finalement ça a été des étoiles filantes.
REVRSE : Mine de rien, t’as réussi à traverser les époques…
Sam’s : Au final, je suis encore là, j’existe. Il n’y a rien de pire que d’avoir un succès qui finit par te bloquer, on te considère plus parce que tu ne peux plus faire ta musique sans pression et tu te retrouves à faire des choses qui ne te correspondent pas. Tu deviens esclave alors que c’était une passion.