A seulement 21 ans, Rico Nasty a déjà été mise à rude épreuve par la vie. Son environnement familial compliqué engendre nombre de déménagement dont Maria-Cecilia Simone Kelly de son vrai nom est la première victime. Jeune fille excentrique, ovni aux yeux des autres, elle se réfugie dans la musique, particulièrement dans le rap où elle se réalise dès le lycée en publiant son premier projet Summer’s Eve à seulement 17 ans. S’il est imparfait, il témoigne d’un esprit créatif qui ne demande qu’à être développé. Malheureusement, le destin ne l’épargne pas : son petit-ami de l’époque, Brandon, succombe d’une crise d’asthme alors qu’il est sous codéine et laisse Maria-Cecilia seule avec l’enfant qu’elle porte. Contrainte de mettre sa jeune carrière entre parenthèses, elle effectue un retour fracassant en 2016, portée par les conseils de Lil Yachty. Aujourd’hui en major, Rico Nasty récolte enfin les lauriers de son dur labeur. Elle a concrétisé cette signature par un projet nommé Nasty dans lequel elle dévoile au monde son registre musical très large illustré par ses personnalités variées. A l’occasion d’une date parisienne mouvementée durant laquelle la rappeuse de Maryland est venue défendre cette mixtape, nous l’avons rencontré dans ses loges où son air faussement naïf a laissé place à une jeune femme que la vie a fait mûrir de force.
Reverse : Salut Rico Nasty. On est ravis de t’avoir ici à Paris. Si tu es ici, ça veut dire que les choses se passent bien pour toi. C’est ta première fois à Paris ?
Rico Nasty : C’est ma deuxième fois mais c’est la première fois que je suis là pour ma musique donc c’est la plus importante. La première fois, c’était du tourisme.
Reverse : Est-ce que Paris était ce que tu attendais ?
Rico Nasty : En fait, j’ai oublié la différence majeure entre Londres et Paris. Mais quand je suis venu ici, je me suis souvenu que Londres c’était cool parce qu’on était près de la City. A Paris, il y a toujours quelque chose à faire peu importe l’heure, c’est super.
Reverse : Qu’est-ce que tu attends de ton concert ce soir ?
Rico Nasty : Je veux qu’il danse, j’espère qu’ils ne vont pas me fixer.
Reverse : Tu es nerveuse, anxieuse ?
Rico Nasty : Je suis un peu nerveuse parce que l’anglais n’est pas votre première langue. Je me demande à quel point mon public ici connaît mes morceaux. J’ai hâte de voir ça.
Reverse : Je t’ai découvert en 2016, lorsque tu as sorti avec Lil Yachty un remix de ton morceau Hey Arnold. Il venait alors de sortir deux super projets, Lil Boat et Summer Songs 2 et était vraiment le rappeur du moment chez toi. En quoi ce morceau a boosté ta notoriété ?
Rico Nasty : Ce morceau était gros pour là d’où je viens. Je suis de la scène DMV (District, Maryland, Virginie), plus précisément de Maryland. A ce moment, il n’y avait pas beaucoup de gens qui étaient dans la nouveauté. Lil Yachty, lui, était si novateur, si différent de tous les autres. Notre communauté n’avait jamais vu quelque chose comme ça, ils n’avaient jamais vu un gars comme Yachty alors je me suis dit que collaborer avec lui pourrait être intéressant parce que j’ai un goût prononcé pour le bizarre. Après avoir fait ce morceau j’ai eu l’impression d’avoir gagné le respect pour lequel je travaillais : avant ça, j’ai eu d’autres gros titres comme Hey Arnold, iCarly mais avec Hey Arnold (Remix) le public me prenait plus au sérieux puisque Lil Yachty était déjà un artiste établi.
Reverse : Est-ce qu’il a été une inspiration pour toi ?
Rico Nasty : Je ne le considère pas comme une inspiration mais plutôt comme quelqu’un qui m’a montré que je pouvais réaliser mes rêves. Il m’a ramené sur scène une fois – à cette époque je ne rappais pas sérieusement – et je me souviens qu’après ça il m’a dit : « Tu rappais quand je t’ai rencontrée et tu étais douée. Je ne sais pas pourquoi tu as arrêté mais il faut que tu reprennes, tu peux le faire je te le promets. » J’ai écouté son conseil et voilà où j’en suis aujourd’hui. Il a été très important et je ne pourrai pas l’oublier.
Reverse : En parlant de Lil Yachty, comme lui, tu entretiens différentes personnalités. Alors qu’il a Lil Yachty et Lil Boat, toi, en plus de Rico Nasty, il y a Tacobella, une chanteuse qui semble très simplette, très naïve, très girly, et Trap Lavigne, une véritable enragée qui rappe avec haine et détermination.
Rico Nasty : Trap Lavigne est en fait juste Rico. Je préfère Trap Lavigne à Tacobella mais je ne savais pas que les gens étaient prêts pour Trap Lavigne. Je ne savais pas s’ils étaient prêts pour ce développement dans mes chansons. Je l’ai donc en quelque sorte masqué avec Tacobella en essayant d’être une femme normale stéréotypée, une femme qui chante naïvement sur l’amour. C’est tellement ironique que ce soient ces morceaux que les gens n’aiment pas le plus… Heureusement ils vont voir plus de Trap Lavigne.
Reverse : Est-ce que Tacobella matérialise ce que les gens attendent de toi musicalement, en plus exacerbé ?
Rico Nasty : Je ne voudrais pas penser ça d’elle. Moi, je ne suis pas comme ça. Tacobella est ici dans le but de comprendre mes fans parce que certains d’entre eux ne sont pas comme je suis, certains sont plus doux que d’autres. Tu peux voir à leur manière d’agir qu’ils sont des gentils. Au moment où je me suis rendue compte que j’étais capable d’amener ces deux publics différents dans une seule pièce je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour eux. Tacobella est pour les filles qui ne veulent pas être à fond tout le temps. Il y a des moments où tu veux juste te poser, même si ce n’est pas dans ta nature. Tacobella incarne ça. Mais je n’aime pas penser d’elle qu’elle est une parodie, la connotation semble négative. Enfin, peut-être qu’elle en est une…
Reverse : J’ai l’impression que tout ceci est très freudien. Je m’explique, Tacobella est comme ton surmoi, te rappelant ce que les gens attendent de toi, alors que Trap Lavigne serait ton ça, elle matérialise tes désirs et ce que tu es vraiment.
Rico Nasty : Carrément ! Parfois quand je vais au studio, je commence à faire de la musique qui sonne comme celle d’un mec, qui cogne fort. Puis, j’ai Tacobella dans le fond de ma tête qui me dit que je devrais être plus mélodique. A chaque fois, je me demande pourquoi elle s’obstine à me susurrer ses idées tout le temps mais quand je l’écoute, mes morceaux sont plus entraînants.
Reverse : En plus de tes personnalités, tu as un côté excentrique. Tu l’étais déjà avant de faire de la musique ?
Rico Nasty : Je pense que j’étais excentrique avant la musique mais je n’avais pas d’argent pour me réaliser. Tu peux être aussi étrange que tu veux mais tant que tu n’auras pas d’argent tu ne pourras pas vraiment aller au bout de toutes tes idées. Je portais un uniforme à l’école mais je me faisais remarquer parmi tout le monde. J’ai toujours été chelou… Je me faisais toujours remarquer. J’allais dans une école de Blancs et mes cheveux étaient vraiment longs, très ondulés alors je les lissais le plus possible. Mais quand j’ai commencé à aller dans une école de Noirs j’ai vu toutes ces filles qui changeaient de coiffure tous les jours. Elles avaient des tresses, des pin-curls… je ne savais pas que je pouvais faire tout ça à mes cheveux. Une fois que j’ai appris à les faire, ça m’a rendu vraiment excentrique.
Reverse : J’aimerais parler un peu de ton dernier projet, Nasty, sorti en juin dernier. Il est sorti sur Atlantic Records, label sur lequel tu as signé cette année. En quoi cette signature a pu changer la manière dont tu as bossé ton projet ? Est-ce qu’elle est synonyme d’un nouveau cap que tu as passé ?
Rico Nasty : Au début je travaillais plus vite que maintenant, je voulais juste faire des chansons et les sortir. J’ai commencé à faire attention à ce que je sortais en signant en major : quand tu vas dans les locaux d’Atlantic, tu vois les photos de leurs plus grands artistes partout. Je veux figurer parmi eux. Si ça signifie que je dois prendre deux ou trois jours pour faire un titre mais que lorsqu’il sort, il soit mémorable, ça me va parfaitement. Puis, grâce au label, j’ai gens brutalement honnêtes autour de toi qui me disent quand ce n’est pas bon, quand j’ai besoin de retravailler un morceau voire de le recommencer. J’ai l’impression que les artistes sont si sensibles qu’ils n’aiment pas que les gens leur disent que leur musique est mauvaise.
Reverse : Tout au long de l’album, j’ai surtout été frappé par la présence de Kenny Beats qui produit pas moins de six titres. Il a produit ton plus gros morceau à ce jour, Smack A Bitch. A-t-il eu un rôle dans la direction artistique de ton projet ?
Rico Nasty : J’aime dire qu’il a un plus gros rôle Kenny n’est pas un producteur lambda. Je veux vraiment que tu comprennes ça, il n’est pas qu’un producteur. Ce mec s’assoit avec moi et va m’aider à être meilleure en cabine, à améliorer ma manière de poser. Tu peux avoir les meilleures punchlines jamais entendues mais si tes flows et tes intonations ne sont pas assez accrocheurs pour que quelqu’un se mette à chantonner quelques lignes automatiquement, ça veut dire qu’il faut que tu retournes travailler. Quand je suis allé en studio avec lui et que j’ai fait Bitch I’m Nasty puis Smack A Bitch, chaque fois que je sortais de la cabine il me disait d’y retourner et d’en mettre encore plus : cet acharnement a donné des titres comme Rage. Il n’est pas qu’un producteur pour moi. Il ne se contente pas de te donner un beat, il le prend avec tout ce que tu mets dessus et il ajoute ses trucs pour que ça sonne mieux.
Reverse : D’ailleurs, j’imagine que tu as vu passer son tweet dans lequel il dit qu’il bosse uniquement avec des artistes dont il est fan.
Rico Nasty : Quand j’ai rencontré Kenny je ne savais pas s’il était fan de ma musique ou simplement de mon éthique de travail. Sugar Trap 2 était mais nulle part tu ne pouvais y entendre des morceaux comme ceux que j’ai fait avec lui donc je ne sais pas s’il était fan de ma musique quand il l’a écoutée pour la première fois. Je pense que Kenny a entendu ce que je faisais et qu’il s’est dit que ce serait mieux si je posais différemment. Il s’est dit qu’il pourrait m’emmener quelque part. Aujourd’hui, c’est un de mes plus gros fans.
Reverse : On dirait que tu as travaillé ce projet comme une carte de visite. Etait-ce ton intention ?
Rico Nasty : Parfaitement, le but était de présenter au public mes différentes personnalités, de montrer ma palette et surtout de prouver que je ne suis pas foncièrement méchante. Lorsque qu’on écoute Nasty on peut se dire que je dois être méchante alors que non. J’apprends aux filles à avoir confiance en elles et je suis contente que les gens voient mes différentes personnalités dessus parce que pendant mes concert, j’observe le public et je vois cette fille qui est une Tacobella, celle qui est une Trap Lavigne et celle qui est une Rico.
Reverse : Maintenant que tu t’es présentée au grand public, qu’est-ce qu’il peut attendre de Rico Nasty pour les mois et les années à venir.
Rico Nasty : Je sortirai peut-être une réédition avant la fin de l’année parce que quand j’ai sorti Nasty, même si le public a compris mes intentions, j’ai l’impression qu’il attendait une autre musique. Parfois, je doute… c’est la première fois que je dis ça en interview : quand j’ai signé en major, je suis devenue très nerveuse alors que je ne le suis jamais d’habitude. J’ai commencé à me remettre en question, à me dire que je ne devais pas être autant moi-même moi parce que je veux être mainstream, je veux être la plus grande artiste possible. J’ai essayé d’être plus simple en laissant s’exprimer Tacobella mais la plupart de mes fans ne veulent pas ça, ils préfèrent que je sois vraie. Je prévois donc une réédition avec tous ces morceaux sans concessions pour lesquels je suis connue.
Reverse : Tu fais également partie de la scène DMV, tout comme Pusha T, Logic, GoldLink, Lil Dude, Lil Tracy, Q Da Fool… Cette scène paraît plus prospère que jamais. Qu’est-ce que tu en penses ?
Rico Nasty : Je pense que Q Da Fool et moi sommes les personnes les plus influentes de la scène DMV sur ces cinq dernières années. Je pense que le son de Q est unique mais j’ai l’impression que moi, en tant que femme, ça a ramené pas mal de monde ensemble puisque ce n’est plus une compétition au moment où jens suis arrivée. Venir d’un endroit comme DMV c’est pas une compétition de celui qui sera le plus badass mais qui pourra amuser le plus ? qui fera la musique la plus fun ? Quand j’ai commencé à faire ça tout le monde voulait s’amuser et tout le monde voulait faire de la musique et s/o à Big Flock – il est en prison en ce moment – libérez Big Flock parce qu’il a été très influent sur toute la scène DMC et quand il est entré en taule ça a été dur pour beaucoup de gamins parce que j’ai été à beaucoup de concerts au lycée… Ça bouffe les gens de voir quelqu’un qu’ils admirent ne pas être à la maison, être en concert nulle part.