Pour la deuxième année consécutive, Jul a été désigné par le classement Spotify comme l’artiste le plus écouté en France. Avec plus de 700 000 albums vendus en 2017, il figure parmi les figures incontournables de la musique française. La recette ? Le savant mélange d’une surproductivité forçant le respect et d’une authenticité rare dans les milieux artistiques. Cependant, alors que Jul et son succès commercial stupéfiant ont envahi les médias et les conversations, de nombreux auditeurs ont occulté la critique presque unanime de son premier album Dans ma paranoïa, disponible depuis 4 ans jour pour jour.
➡ L’avant-Paranoïa : un travail acharné et le rôle de l’entourage du rappeur
Au travers de différentes interviews, Jul a souvent insisté sur le fait qu’avant et après son explosion, rien n’avait changé, aussi bien dans ses habitudes quotidiennes que dans sa façon de faire de la musique. En effet, avant la sortie de ce projet, le rappeur marseillais officiait déjà depuis quelques années, à une échelle plus confidentielle. De son vrai nom Julien Marie, l’artiste n’avait pas hésité à quitter les bancs de l’école pour se consacrer pleinement à sa passion pour la musique. De ses propres mots, les conditions d’enregistrement et de réalisation étaient minimales mais suffisaient pour produire du son, ce qui était l’essentiel dans la quête artistique de Jul. Ce dernier n’avait pas pensé aux conséquences de l’arrêt de son cursus scolaire car il souhaitement purement et simplement vivre sa passion, s’imposant une rigueur militaire en faisant du son toute la journée, sans forcément penser que cela finirait par prendre, bien qu’en l’espérant. Ainsi, la surproductivité de Jul tant louée actuellement ne date pas d’hier, et cette période prouve que son travail si professionnel mené en amont a été un élément essentiel dans sa conquête du grand public.
Marseille est une ville particulière dans le rap français, et d’autant plus pour les artistes locaux. Ces derniers doivent d’abord convaincre le public phocéen, qui est très exigeant selon les rappeurs. Sans sortir de projet, Jul faisait du bruit à l’échelle locale en proposant une musique très hybride, influencée de plusieurs styles musicaux (aussi proche de la musique électronique que de la variété) tout en n’hésitant pas à mettre des couches d’autotune par dessus, créant un style unique dans le rap français. Cependant, il faut aussi nuancer cet aspect, Jul n’hésitait pas à montrer qu’il était un kickeur, au travers de freestyles vidéos dans lesquels ses compétences pures et dures de rappeur étaient mises en exergue. Logiquement, Jul faisait son bruit à Marseille de par le côté atypique de sa musique, qui était plus ou moins déserte à l’époque, en dehors de certains rappeurs faisant un certain bruit dans le milieu du rap français sans qu’ils puissent être considérés comme des têtes d’affiche pour autant. En somme, une place était à prendre dans le rap Marseillais.
Il serait également impossible de parler de son parcours pré-Paranoïa, sans évoquer le label Liga One et son défunt manager Charly, le premier à croire en Jul malgré l’incompréhension de personnes au moment des tout premiers pas rapologiques de ce dernier. Liga One était une structure rap très bien implantée à Marseille, et bien que l’histoire se soit mal finie, elle a contribué au bouche à oreille local concernant l’expansion de Jul sur ses terres natales. L’artiste Marseillais débutait dans le rap et par la force des choses, de nombreux paramètres (impression du textile, négociation en distribution) ne pouvaient pas être gérés par un nouvel entrant dans ce milieu, qui devait essentiellement se concentrer sur sa musique. Avec cet appui local de poids, Jul avait les armes nécessaires pour conquérir le rap Marseillais, en totale indépendance. Choix qui s’avèrera payant puisque le rappeur connaitra un succès incroyable, et fera même accepter aux radios de le passer en rotation sans être signé en maison de disque pour autant !
➡ Un choc musical et un impact commercial totalement inattendu
Afin de promotionner son premier album, Jul avait décidé d’exploiter Sors le cross volé à la fin de l’année 2013. Le morceau a beaucoup fait parler à cause de son refrain sur lequel on entend le rappeur chanter : « Te déshabille pas, je vais te violer ». Pour pour un morceau destiné à le révéler à l’échelle nationale, cette phase n’était pas forcément optimale dans le développement d’une image positive, mais cela n’était qu’un problème parmi tant d’autres pour le rappeur Marseillais. En effet, ce dernier a rapidement fait l’objet de moqueries sur Internet sur son style vestimentaire ou son utilisation d’autotune. Toutefois, dans ce morceau où le logiciel correcteur de voix est justement outrancièrement employé au refrain, Jul démontre qu’il sait maîtriser une production en rampant à voix nue, mais également en abordant les thématiques de la vie de quartier quartier diverses et variées. Ainsi, ce morceau spécial avait créé beaucoup d’incompréhension au moment de sa sortie mais ce n’était rien comparé à Dans ma paranoïa.
Ce troisième extrait du projet est celui qui a changé la carrière de Jul. L’utilisation de l’autotune est à son paroxysme de la première à la dernière note, ce logiciel qui initialement ne devait pas s’entendre car censé corriger les fausses notes est finalement devenu une marque de fabrique pour le rappeur. Les morceaux complètement autotunés existaient déjà en France chez certains rappeurs sous-exposés (Mala, Green Money et d’autres) mais auprès du grand public, cela constituait une nouveauté. Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock, n’a pas hésité à rentrer le titre en playlist, faisant donc découvrir le phénomène par l’intermédiaire de la radio nationale urbaine numéro 1 en France, il était difficile de faire mieux. Bien évidemment toutes les couches de la sphère rap étaient surprises par la forme de Dans ma paranoïa, surtout les puristes mais aussi des auditeurs plus traditionnels qui étaient surpris d’entendre tant d’autotune, sur une instrumentale dont la sonorité décontenançait logiquement le public. Encore une fois, malgré la salve de commentaires négatifs, Jul traçait son chemin sans faire attention aux critiques et force est de constater que le morceau avait trouvé son public. Sur l’écriture du morceau peut-être simpliste, l’artiste Marseillais avait réussi à toucher les auditeurs avec des phrases retranscrivant des émotions que tout être humain a pu connaître. En mêlant simplicité et émotionnel, Jul avait déjà trouvé les premiers ingrédients de sa formule magique, à l’origine de son succès commercial et de sa stature actuelle.
Le projet ne se résume pas uniquement à ces deux extraits, mais afin de le vendre Jul n’avait pas hésité à sélectionner des morceaux clefs, et cela s’est avéré payant puisqu’en première semaine près de 7.000 exemplaires de sa première galette s’étaient écoulés. Cela constituait un bon démarrage, car en début d’année 2014, le spectre de la crise du disque continuait de sévir et le streaming n’était pas encore pris en compte, ajoutons à cela qu’il s’agissait d’un premier projet avec un style inédit pour le rap français. Le rap Marseillais était considéré en état de mort clinique, Jul avait réussi à le réanimer, en attestent les nombreux rappeurs s’étant essayés sur les terrains musicaux amenés par l’OVNI. La nouvelle école du rap Marseillais est considérée comme dansante et décomplexée, tout en conservant un ADN rue. Ces éléments ont été amenés par le rappeur phocéen, qui n’osera jamais s’en vanter, bien trop humble, mais qui peut toutefois s’en féliciter.
➡ Un album novateur dans les sonorités et la manière d’aborder les thématiques
De nombreuses facettes se dégagent de ce projet, aussi bien capable d’assurer sur des singles en traitant des thèmes en rapport avec l’amour (Tu la love) que de représenter le quartier (Sors le cross volé). Le rappeur Marseillais sait pertinemment qu’il amène son propre délire dans le rap français, et que la balle est désormais entre les mains du public. Toutefois à l’écoute du projet Jul montre qu’il n’est pas forcément rassuré quant à la réception par le public, notamment lorsqu’il espère que « cette fois sera la bonne » sur Mon son vient d’ailleurs. Sur ce morceau, toute la folie artistique de Jul est exposée, le rappeur n’ayant absolument pas hésité à sampler le refrain du morceau Freed From Desire de Gala, un tube des années 1990 que ses parents ont probablement dû écouter. Jul ne s’est jamais caché des influences musicales diverses absorbées grâce à sa mère, et cette production du morceau venant clôturer l’album est une référence directe à sa famille, qui propose en même temps un condensé de son univers en un peu moins de 4 minutes, mais surtout de son état d’esprit au moment de la sortie du projet.
Quant au choix des featurings, encore une fois l’esprit familial de Jul est ressorti puisqu’il s’est entouré de Kalif Hardcore sur deux morceaux dans deux styles bien différents, sur lesquels les deux membres de Liga One de l’époque s’adaptaient parfaitement et n’hésitaient pas à montrer leur complicité musicale. Au-delà de l’aspect musical, il faut souligner le flair de Kalif Hardcore qui apporte un coup de main à la réalisation aux projets de rap Marseillais figurant parmi les plus gros succès de la ville. A cette époque, c’était Jul, en 2018, c’est Naps, en atteste sa participation sur le premier extrait du prochain album de ce dernier. Il y a également Kamikaz, qui permet d’apporter une touche de rap plus hardcore, entre deux morceaux dont les thématiques sont bien plus ouvertes, sur Tu la loves et C’est trop. Jul prouve que le tracklisting est également réfléchi et qu’il est très loin d’être fait à l’instinct, sans réflexion particulière. Il n’est pas possible de dire que l’instrumentale du featuring avec Kamikaz est plus ouverte musicalement car c’est tout simplement faux, mais la musique de Jul est par essence très ouverte, et c’est ce qui fait l’une des particularités de cet artiste unique dans le paysage msucial français.
Soso Maness a également répondu présent à l’appel de Jul, sur le morceau Jeune de cité où les deux protagonistes délivrent leur quotidien de quartier marseillais, lorsqu’ils étaient plus jeunes. Sur une production actuelle pour l’époque, se rapprochant davantage de la trap, Soso et Jul essaient de faire passer des émotions à travers une thématique commune leur étant propre. Paradoxalement, ces deux artistes n’hésitent pas à aller expérimenter des sonorités musicales très particulières, mais sur celui-ci le choix a été fait de rapper sur une production assez classique pour l’époque, bien que le rendu soit très efficace. Précisons que Jul dédicace régulièrement le quartier de Fond Vert, dont Soso Maness est originaire, en espérant que cette collaboration ne réunissant qu’eux sur un même morceau ne sera pas la dernière. Le rapport de Jul à la drogue est particulier et rappelle celui d’autres artistes de Marseille, entre exutoire et source d’inspiration. Deux aspects sont liés au succès de cet album : la sincérité, très proche de celle du Rat Luciano, une influence directe pour Jul, mais également l’âge de sa cible. En effet, le rappeur Marseillais n’hésite pas à aborder des thèmes propres aux adolescents qui sont la tranche d’âge consommant le plus de musique pour se contruire. Ainsi, Jul endosse un rôle de grand frère (plus proche de l’âge adulte que de l’adolescence) à travers les thèmes abordés, mais surtout en n’hésitant pas à donner des conseils parfois ou à faire preuve de morale afin d’apaiser des tensions. Jul est un narrateur omniscient sur ce projet puisqu’il est à la fois concerné par les thématiques suscitées, tout en faisant preuve de bienveillance.
➡ Un choc musical et un impact commercial totalement inattendu
Jul est à l’origine du renouveau du rap Marseillais, il n’a décomplexé par le choix de ses sonorités ou la façon d’utiliser l’autotune à outrance. Si la forme est souvent liée, les autres artistes Marseillais abordent leurs propres thématiques sur leurs projets respectifs, et surtout leurs voix sont toutes très différentes par nature et ce détail simple rend la musique de chacun différente. Son influence ne s’est pas arrêtée à Marseille puisque très vite sa musique s’est répandue dans toute la France a a donné naissance à une formule magique pour créer des hits. Jul a parfaitement géré les critiques sur l’album en ne les écoutant pas, en suivant sa ligne de conduite et en sortant le plus de projets possibles de façon très régulière. Force est de constater que sa détermination a payé, puisque Dans ma paranoïa a été certifié disque d’or, et est désormais disque de platine, mais surtout parce que Jul est devenu l’une des personnalités incontournables de la musique française en 2018.
A mon sens, ce projet est l’un des meilleurs de Jul car les 17 titres sont éclectiques et très peu se ressemblent entre eux, ce qui pourrait être une critique formulée à ses projets suivants. Sur Dans ma Paranoïa, le tracklisting est également très réfléchi, et de ce projet se dégage une impression de maîtrise et de travail. Jul a été attentif pour ses premiers pas dans le rap français, il ne s’est pas loupé puisqu’il a envahi la France avec ses singles pour ensuite réaliser des scores de ventes tous plus impressionnants les uns que les autres de projet en projet. La suite de l’année 2014 a été meublée par la sortie de deux nouveaux projets, Lacrizomik et Je trouve pas le sommeil. Ces deux projets tirés de deux registres différents ne ressemblent pas à Dans ma Paranoïa, car le premier est une mixtape et le second ressemblera davantage aux projets qui verront le jour par la suite. Dans ma paranoïa n’est pas forcément le projet de Jul s’étant le mieux vendu mais il restera dans les mémoires car sans lui, l’OVNI n’aurait jamais vu le jour.