Le 13 mars 2019, DJ Weedim poste une photo sur les réseaux qui excite une bonne partie des auditeurs de rap français et pour cause, elle préfigure une collaboration qui s’annonce d’ores et déjà légendaire entre l’empereur de la crasserie Alkpote et le Roi Heenok. Un featuring improbable mais parfaitement logique entre deux rappeurs qui ont plus en commun qu’un simple titre de noblesse en pseudonyme. Les deux sont connus comme des personnages atypiques du rap francophone, mais là où Alkpote est depuis plusieurs années maintenant adoubé, à juste titre, comme l’un des rimeurs les plus prodigieux ayant pris un micro, la musique du Roi est décriée et finalement peu connue. Seules ses incroyables vidéos semblent être restées dans les esprits des auditeurs qui sont rares à avoir pris sa carrière artistique au sérieux. L’histoire avançant, son impact et son statut méritent pourtant d’être réévalués et c’est pourquoi nous allons tenter ici d’expliquer pourquoi nous avons tous eu tort. Réhabilitons le Roi !
➡️ Mises en scène et théorie du complot, le Roi Heenok enfant d’internet avant l’heure
Le buzz des vidéos du Roi Heenok commence dès 2004 par le biais de son site internet. C’est un an seulement après la création de MySpace et trois ans avant que Crank That de Soulja Boy, l’un des premiers gros phénomènes rap d’internet, n’explose. Son personnage fait rire, il divise, indigne ou fascine mais les faits sont là, Heenok est précurseur dans la façon de se mettre en scène en ligne, bien avant l’explosion des réseaux sociaux. Il fait partie des premiers rappeurs dont le personnage intéresse plus que la musique. Pourtant, sa musique est un digne prolongement de ses vidéos. Namedroppings improbables allant de Nicolas Sarkozy à Eddie Murphy en passant par Jacques Chirac, punchlines sorties du ciel et style ultra nonchalant, le rappeur Québécois étonne, fait rire et désarçonne.
Freeze Corleone le salue régulièrement à travers ses sons, particulièrement sur son dernier projet. Et encore une fois, si on s’en tient purement aux thématiques, la filiation entre les deux est évidente. Avec des univers bourrés en références, tous deux semblent être des enfants du rap et d’internet de deux générations différentes. Théories du complot, fascinations pour l’élite mondiale et consommation abusive de drogue, les parallèles sont évidents. A noter cependant que musicalement, Freeze est plus proche de Chief Keef que du Roi qui lui se réclame ouvertement de l’école de Prodigy…
➡️ Gansta rappeur par excellence et défenseur exubérant de la langue française
Gangsta rappeur par excellence, ce style exubérant et volontairement outrancier a du mal à se faire une place en France auprès d’un grand public, pour preuve la débrouillardise dont doit faire preuve l’excellent collectif Ghetto Fabulous Gang afin de diffuser sa musique. Le Roi Heenok salue d’ailleurs Alpha 5.20 sur son morceau Illuminati Musique comme un rappeur qu’il respecte et avec qui il partage de nombreuses influences. Heenok peut également se targuer d’avoir à son actif des featurings de renom tels que Raekwon du Wu-Tang ou Godfather Pt III d’Infamous Mobb. Des connexions qu’il devrait à son passé au sein du quartier de Queensbridge à New-York.
Quoi qu’il en soit, ces noms sont suffisamment prestigieux pour imposer le respect, d’autant qu’un simple chèque n’aurait probablement pas suffit à les convaincre. Grand défenseur de la langue française et souhaitant traduire tous les termes anglais utilisés couramment par ses collègues (« mixtape » devient « CD mixé », « bling bling » — « brille brille »), le Roi souhaite dès le départ faire du rap à l’identité fortement marquée et s’émanciper de l’influence américaine. Sa position est que par ce moyen seulement, sans oublier les origines du genre, la France parviendra à se positionner à l’international comme une scène à part entière à l’égal des Etats-Unis et non simplement comme des petits frères envieux.
➡️ Une personnalité unique finalement adoptée par un public français plus ouvert ?
Au-delà des traductions souvent farfelues qui participeront à son phénomène, ce positionnement vis-à-vis de la langue et de l’émancipation de la culture américaine, hérité du combat des québécois pour la conservation de leur spécificité culturelle au sein d’un Canada très largement anglophone, s’avère être une posture relativement intéressante et inédite. Le Roi Heenok continuera de cracher ce feu avec la langue qu’il chérit et qu’il estime lui appartenir de droit, par respect pour ses ancêtres Haïtiens qui ont subit l’occupation coloniale Française. Univers riche et hyper identifiable, personnalité dépassant le cadre de la musique et punchlines lunaires, il semble avoir tout pour réussir dans un rap game qui accepte aujourd’hui aussi bien des personnalités loufoques comme Alkpote que des rappeurs très moyen et/ou parodiques mais dont la personnalité fascine (6ix9ine ou Lorenzo).
Le problème est que son rap manque d’une véritable direction artistique et de productions de meilleure qualité. Entourons le Roi d’une véritable équipe qui saurait tirer la sève de son « rap mongol »… Le divertissement à son meilleur que le public français de 2019 est prêt à accepter, sans pour autant dénaturer ce qui fait son essence. Sa folie doit être contrôlée sans être bridée, tant sur YouTube qu’au format album. Longue vie au Roi !