Après le succès commercial de son dernier album, Views, qui s’est vendu à 1 millions d’exemplaires en première semaine, Drake revient un an plus tard avec son projet More Life. Initialement prévu pour décembre 2016, Drake en tournée mondiale à ce moment-là, ne cesse de jouer avec les nerfs de ses fans en repoussant la date de sortie. C’est le 18 mars 2017 dans la soirée du samedi que le 6 God nous balance son album sur toutes les plateformes majeures pour la diffusion et l’achat. Il est peut-être une pop star qui vend des albums comme des petits pains, mais ce qu’on peut confirmer c’est que ses projets sont tout aussi bon voir même meilleur.
Des sonorités dancehall et afrobeat
Bien que Views ait rencontré un énorme succès au niveau des ventes, les critiques n’étaient pas aussi enthousiastes… C’est vrai qu’à mon humble avis, c’était plus un album chill qu’un album qui envoie comme on a l’habitude avec Drake, l’album est bon mais pas excellent comme attendu. Ceci étant dit, il reste largement meilleur que ceux de vos rappeurs préférés, notamment celui de Philly qui rage sur le succès de ses potes depuis la découverte de ses ébats avec la soi-disant « queen of rap », qui n’écrit pas ses textes, et avec qui il n’est même plus d’ailleurs… En 2016 Drake a pivoté dans des sonorités dancehall et afrobeat avec Controlla et One Dance, et cet intérêt pour ce type de prod n’était pas passager pour Drizzy bien au contraire. Il conserve ces mêmes sonorités, qui nous propulsent directement en plein milieu du mois de Juillet sous le soleil, margarita à la main, avec Passionfruit, Get It Together, Madiba Riddim et Blem. Ses influences s’étendent à présent à la diaspora africaine, Drake a une oreille musicale extraordinaire dans le choix de ses prods, et en fait sa véritable force avec son acolyte de toujours Noah 40 Shebib. More Life nous envoie directement en immersion dans l’univers de Drake, un voyage qu’on ne refuse pas.
More Life, un choix stratégique
Drake semble se rendre compte qu’il stagne au niveau de ses albums, bien que le succès soit au rendez-vous à chaque sortie, il souhaite envoyer quelque chose de nouveau et différent à son public. C’est pour cela que ce fin stratège va avoir l’idée d’une playlist, ce qui à l’ère du streaming est une idée ingénieuse. Loin d’un grand album sérieux ou d’un ensemble de bangers mixtapes, Drake semble vouloir mettre une autre forme à ce projet en conservant le fond artistique qui fait de lui ce qu’il est. Drake suggère un changement esthétique de l’album avec en couverture une photo de son père lui-même musicien qui a inspiré le rappeur dans sa carrière, et également un changement de format qui donne naissance à une playlist de 22 morceaux structuré de façon narrative.
Moi aussi je suis une grande fan de Drake un peu aveugle lorsqu’il s’agit d’admettre quelque chose de négatif sur le rappeur, mais lui-même s’explique sur le sujet dans le dernier morceau de l’album Do not disturb où il dit « J’étais un jeune homme en colère pendant que j’écrivais Views, j’ai vu une partie de moi que je ne connaissais même pas ». On peut également retrouver sur le morceau Can’t have everything un enregistrement audio de sa mère qui le met en garde contre la dépression et l’anxiété. Il se remet en quelque sorte en question dans More Life sur sa vie de manière générale mais aussi sur son art, il reconnait que ce n’est pas son attitude qui fait de lui le rappeur à succès qu’il est et que cela porterait même préjudice à ses œuvres. Son oreille musicale, ses goûts sophistiqués et ses compétences artistique sont aujourd’hui les éléments clés de son succès. More Life est une playlist beaucoup plus complète avec plus d’invités, plus de genres, plus de producteurs, plus d’énergie, plus de confiance, plus de vie comme son nom l’indique. On sent un Drake beaucoup plus à l’aise que sur Views, un Drake plus détendu et c’est ce qu’on aime chez lui cet état d’esprit et cette sensibilité qui fait de lui un rappeur hors-normes.
La place importante des collaborations
Ces 22 morceaux sous format narrative nous rappellent les différentes étapes que Drake a connu dans son développement artistique. C’est en quelques sorte une évolution logique que Drake nous offre, il ne se cherche plus artistiquement bien au contraire il a plus tendance à s’affirmer dans cet album qui explore les différentes cultures et évolutions du hip-hop. Il laisse même les invités de l’album prendre beaucoup de place en s’imprégnant de leurs styles et les laissant s’imposer. On retrouve une interlude de Skepta qui est une chanson de force brute aux sonorités grime made in UK, on retrouve également un duo avec Kanye West et un Drake qui s’imprègne de l’univers de Yeezus au niveau de la prod ou même du flow, on dirait un son de Kanye featuring Drake. Young Thug lui présent sur deux morceaux nous apporte une touche mystique comme à son habitude, Travis Scott et Quavo apportent également leurs signatures sur le morceaux Portland où Drake invoque une zone de confusion où l’argot arabe et caribéen entrent en collision. En bref, il y a beaucoup d’énergies concurrentes et c’est ce qui donne au projet toute sa forme de « playlist ». More Life impressionne dans sa détente musicale et dans les différentes voies du hip-hop explorés, de l’afro à la grime en passant par la trap, un mélange juteux qui donne tout son sens au projet. Drake ne fait pas la musique pour se perdre dans un public mais pour que le public se perde dans ses sentiments.
Une identité pluraliste et contradictoire
Bien qu’il laisse beaucoup de place à ses invités Drake est bien sûr présent sur son projet et met sa sauce là où l’assaisonnement est nécessaire. On retrouve un Drake toujours déçu par les femmes et les hommes, un Drake légèrement paranoïaque qui insiste sur le fait qu’il ne dort jamais sur ses deux oreilles depuis sa domination du rap game ces dernières années: « les gens vous préfèrent quand vous travaillez pour quelque chose, pas quand vous l’avez ». Il montre à la fois son côté sensible mais emprunte également un côté street en citant par exemple son garde du corps Baka qui fait l’outro de Free Smoke ; qui pour rappel fut accusé de trafic d’êtres humains et a été condamné pour violences domestique. C’est ça le personnage Drake, ce rappeur à la relation confuse avec « les codes » du hip-hop ce qui le rend original et exceptionnel, qu’on l’aime ou non. Il connait sa personne et sa valeur dans le rap game. « Ils ne savent pas qu’ils doivent être plus rapides que moi pour m’avoir, personne ne l’a fait avec succès ». More Life débute sur Free Smoke de manière calculée, pour créer une piqure de rappel et affirmer sa position dominante dans le projet mais surtout dans le rap game. Il s’adresse à son ennemi Meek Mill en insistant sur le fait qu’il a tué sa propre carrière en l’attaquant, « comment laissez-vous l’enfant se battre avec des rumeurs de ghoswritters pour devenir lui-même un fantôme ». Drake se sent comme intouchable dans l’industrie, car tous ceux qui ont tenté de le détrôner n’ont guère réussi, n’en déplaise à ses haters. Il est l’un des meilleurs de sa génération, avec un public fidèle qui ne cesse d’augmenter en nombres. More life est un projet savoureux pour ses fans, qui corrige l’album Views et également un rappel pour ses haters de sa force et son talent qui sont indéniables.
Mes coups de cœurs
- Free Smoke (prod. Boy-1da)
C’est le morceau qui lance le départ, alors qu’on a l’habitude de rentrer doucement sur un projet là c’est le cas contraire Drake commence fort. Il introduit Free Smoke avec un sample d’un groupe australien Hiatus Kaiyote et un extrait de son speech aux American music Awards. Ce morceau nous rappel le Drake de ses débuts, il nous parle de sa vie passée, des moments difficiles qu’il a rencontré pour payer ses factures, pour manger, pour réussir… Bref, une sorte de Started from the bottom dans un tout autre ton. Il fait exactement ce qu’on attend de lui et prouve qu’il n’a pas atteint ce nivea pour se reposer, et encore moins pour laisser sa place. Il clarifie la situation en rappelant qui porte la couronne dans cette relation entre le public et le MC. Il nous parle de son fake friend number one Meek Mill mais également de la bombe J.Lo: « J’ai texte J.Lo bourré, ancien numéro donc sans réponse », ce qui confirme que leur romance a pris fin aussi rapidement qu’elle a commencé.
- Passionfuit (prod. Nana Rogues)
Ce son arrive juste à temps, au moment où on commence à ranger au fond de nos placards les grosses doudounes, écharpes et bonnets. C’est le style de son que tu mets en voiture en te disant que l’été approche, c’est le futur single de Drake d’ailleurs. C’est un son détente à l’atmosphère joyeuse, contrairement aux autres musiques lentes de Drake qui donnent habituellement un ton plus triste où tu te vois envoyer un « tu me manque » à ton ex. C’est une chanson qui rentre facilement en tête et qu’il n’est pas difficile d’apprécier. C’est la chanson la plus pop de l’album, ce qui n’est pas dérangeant vu qu’on aime ce côté de Drizzy aussi.
- Portland feat Quavo & Travis scott (prod. Cubeatz & Murda)
On va commencer par applaudir la prod qui est juste extraordinaire ce fond de flûte des andes minimaliste donne tout son sens à la musique. Une flute qui commence à être à la mode dans le rap et qu’on retrouve sur Mask Off de Future ou Tunnel Vision de Kodak black. Quoi de mieux que de solliciter les deux talents les plus recherchés, Quavo et Travis Scott, afin de collaborer sur ce morceau et de surfer sur la vague? Portland ressemble à une extension de l’album sous-estimé Birds in the Trap sing Mcknight. Quavo apporte son flow distinctif qui s’accorde parfaitement au chant de Travis. Certains disent que sur ce morceau Drake lance un pique à Chris Brown: « je ne pourrais jamais avoir d’enfants et être encore en train de faire n’importe quoi » ou même un pique à Jay-Z, en référence aux rumeurs d’adultère qui ont conduit Béyoncé à faire son album Lemonade. Je ne saurais vous dire vers qui se dirige cette punch, ceci étant dit ce son est excellent et est bel et bien un banger…
- Can’t have everything (prod par Jazzfeezy et steve samson)
Je crois que c’est l’un des meilleurs morceaux de l’album, où Drake reconnait qu’il a des ennemis et se fou de savoir s’ils aiment ou non sa musique. Il mentionne le fait qu’il ne peut pas tout avoir mais veut tout posséder, et bien qu’il soit à la meilleure période de sa carrière, c’est-à-dire au sommet, Drake est un éternel insatisfait. Toutes les saisons de l’année sont des saisons de Draken qu’on le veuille ou non. En quelque sorte il a tout pour lui mais ne semble pas être satisfait et veut plus toujours et encore plus. Il parle également de ce côté arrogant de lui qui lui manque, et fini le morceau sur un audio de sa mère qui le met en garde face à la vie et à quel point avoir trop d’attentes peut parfois nous descendre sans raisons. C’est un morceau complet, que ce soit au niveau des lyrics ou de la prod. Merci Drake !
More Life a été conçu pour être long et remplacer toutes vos playlists en apportant des sonorités différentes sur un même projet avec certainement vos artistes préférés du moment. Ce projet corrige l’album précédent Views ce qui prouve une nouvelle fois que Drake au-delà de son côté artistique comprend bien le marché de la musique et sait comment rattraper les coups. Je tiens tout de même à préciser que Views n’était pas un album déplorable bien au contraire mais pas au niveau des attentes, et c’est un album qui n’a pas su s’affirmer sur la longévité. Drake fidèle à lui-même dépasse une nouvelle fois les limites des codes du hip-hop en nous offrant un petit bijou. Certes More Life n’est certainement pas son meilleur album mais une fois de plus Drake nous offre un projet de qualité qui nous propulse dans son univers. Pendant que ses fans et les critiques ne cessent de se battre pour s’avoir s’il est oui ou non l’un des plus grands MCs de sa génération, Drake prouve encore une fois sa valeur et son talent artistique. Soyez prêts car Drake ne dort jamais ou très peu, et à déjà prévu de sortir son cinquième album en 2018, rien nous dit qu’il ne prévoit pas une ou deux mixtapes entre temps.