13h45. La journée a déjà commencé depuis un moment, je n’ai pas l’impression d’avoir fait une grasse matinée et pourtant il m’est impossible de me rappeler ce que j’ai fait en me levant. Sans plus attendre, je m’habille proprement. Me voilà prêt à rejoindre ce studio situé entre le 3ème et le 4ème arrondissement. Sur la route j’entends une musique jouée par un sans-abri … Enfin j’imagine que c’en est un, étant donné que les rues parisiennes grouillent de ce genre de personnes.
Je n’arrive pas à déterminer de quel instrument il s’agit, j’ai pourtant l’oreille musicale, je ne comprends pas. Voilà 5 minutes que je suis figé dans cette ruelle à tenter de décrypter les sons qui se dégagent de cette mélodie. Il faut dire que mes sens en prennent un coup, entre cette odeur de cuisine orientale et cette musique, je ne sais plus où donner de la tête. « Concentre toi négro » je me murmure… D’ailleurs mon odorat m’a pas mal aidé à trouver de quels instruments il s’agissait, c’est un luth accompagné de quelques instruments à percussions!
Je comprends mieux pourquoi je n’arrivais pas à comprendre les paroles, ça m’a tout l’air d’une musique sémitique. Ça se fait plus trop il me semble. Enfin bref, je perds du temps, il est déjà 15h30 et j’ai l’impression de ne rien avoir fait de la journée. Je continue mon chemin vers le studio, il me semblait moins éloigné la dernière fois … Plus j’avance, plus la musique se fait entendre. J’ai compris après avoir marché quelques mètres de plus qu’elle n’était pas jouée par un sans-abri, mais par un groupe qu’on pouvait apercevoir à travers la vitrine d’un restaurant.
Je crois même que c’est de là que venait l’odeur. Après l’ouïe et l’odorat, c’est à ma vue d’en prendre un coup… La cuisine du restaurant était visible et séparée de la salle à manger par un simple bar en bois, surmonté d’un plan de travail en marbre. On y apercevait cette femme bronzée en tablier, pétrissant sa pâte à mains nues. Elle y mettait à la fois de la force et du cœur, ça se voyait et c’était surement pour ça que le restaurant était plein à craquer.
« Chez Sandy », je note le nom et l’adresse du restaurant dans les notes de mon iPhone, je reviendrai surement dans la semaine. « Et merde, déjà 16h25, ça ferme dans deux heures et demi »… J’vais allumer mon iPod, ça m’évitera d’être distrait à nouveau. Je me demande ce que se disent ces gens qui me dévisagent. C’est sûr que y’a pas des masses de renois ici. D’ailleurs le seul négro que j’ai vu dans le quartier avait une dégaine bizarre, il me semble même qu’il était maquillé.
J’ai pas vraiment cherché à comprendre et de toute façon plus rien ne me choque depuis que j’ai vu des mecs se fouetter sur des chars. Et puis ces gens qui me regardent mal devraient contempler le paysage, c’est rare de voir des rues aussi propres et aussi bien fleuries sur Paname. « Hier encore, j’avais 20 ans […] »… Il était vraiment doué y’a pas à dire, j’pourrais écouter cette playlist d’Azna’ pendant des heures sans m’en lasser… Et puis ça m’éviterait d’écouter ces vendus qui ne rappent plus que pour l’oseille.
Y’en a que je ne peux vraiment pas blairer, mais j’vais éviter d’y penser, j’ai décidé de changer. Et puis si je ne me dépêche pas, Y va encore m’harceler par SMS, il est sur les nerfs en ce moment en plus. J’avance puis je guette cette fleur qui pousse seule à côté d’un banc. Je m’en approche doucement et l’arrache, j’en ai jamais vu de comme ça. Je me sens fragile là, j’suis là à regarder des fleurs alors qu’on m’observe… Bon je la sens et j’la jette puis j’reprends la route vers le studio. Elle sent vraiment bon cette fleur…
Mon téléphone sonne, je l’attrape. Il est midi et je n’ai toujours pas commencé la chronique que je dois rendre demain, Tarek va me prendre la tête, je le sens. Je mets l’album de Despo en pause, il a tourné toute la nuit. Tu m’étonnes que je fasse des rêves chelous… Et puis faut dire que depuis lundi j’ai le cerveau qui fume à cause de cet album. Je m’attendais plus à un album dans le genre de Convictions suicidaires, je m’attendais à du Despo quoi. Enfin bref, faut que je me mette au boulot!
« Je suis parano […] »
Voilà plusieurs semaines que Despo Rutti, le grand rappeur originaire de Seine-Saint-Denis, fait parler de lui sur la toile. Après avoir posté quelques vidéos plus ou moins inattendues sur les différents réseaux sociaux, un membre de sa famille a partagé un communiqué attestant que le grand Despo traversait en fait une mauvaise période. Mais après avoir écouté le bijou qu’est Majster, je me suis posé cette question : Despo Rutti est-il réellement devenu fou ?
C’est clairement im-pos-sible ! Je ne m’attendais pas à un album autant travaillé de la part de Despo. Seul un homme saint d’esprit peut être capable de réaliser une telle merveille. Je n’ai jamais été un grand fan du rap de notre ami à la kippa, bien que j’ai été marqué à plusieurs reprises par sa plume de qualité. Mais là je dois avouer que je suis tombé sous le charme de cette « fleur magique » qu’est Majster.
Malgré ça, un petit bémol : l’artiste est obsédé par le conspirationnisme (conspirazionnisme ?), ce qui rend certains sons de l’album difficiles à écouter et réécouter car ils deviennent trop « lourds ». Despo aurait pu se contenter de faire dans la dénonciation sans avoir besoin d’entrer dans le délire de la théorie du complot, ou encore de mener sa propre croisade…
Du Despo, mais pas que!
Comme quoi, ne pas être dans la tendance ne signifie pas forcément être dans la bonne direction. Notre MC l’a bien compris (voir la chronique d’Or Game de Joz). Lors de la première écoute complète de Majster, la première chose que j’ai pu observer était le fait que Despo se soit enfin décidé à nous apporter quelque chose de nouveau. Il innove tout d’abord par le choix de ses prods devenues moins agressives que celles qu’il utilisait auparavant, bien avant même son premier album.
Et pour accompagner ces prods calmes et douces, il n’hésite pas à les agrémenter de chant comme on peut l’entendre dans Sandy Lafa. Encore plus étonnant : l’utilisation de l’autotune. Tout un son de Despo en ajustant sa voix à l’autotune, qui y aurait cru avant Faites pleuvoir ? Enfin bref, il a tenté de nouvelles choses et pour moi c’est plutôt réussi. Beaucoup trop de MCs n’osent pas s’essayer aux nouvelles tendances par peur de déplaire à leur public ou tout simplement parce qu’ils n’en sont pas capables. Le problème est que bien souvent ça joue en leur défaveur étant donné les meilleurs vendeurs sont généralement ceux qui prennent le plus de risques en apportant quelque chose de nouveau. Tout ça pour dire que si notre cher Rutts a pour objectif de vendre et de se démarquer de la concurrence en terme de chiffres, il va lui falloir bien plus que la simple pratique de l’autotune.
Les collabo… rations!
Une guestlist de qualité, mais pas vraiment surprenante. En effet on connaissait déjà les liens qu’entretenait Rutts avec Seth Gueko, notamment de par son apparition dans l’album Patate de forain et d’autres collaborations. La présence de Lino n’est pas une surprise non plus quand on connaît les liens qu’entretient ce dernier avec Seth Gueko et Despo, même si le dernier featuring de Despo et Lino date de Les fils de Jack Mess où étaient également présents Salif et Médine. Mais la grosse claque de cet album, ce n’est non pas la présence de cet artiste colérique à la voix grave qui a failli faire la peau à Tonton Marcel plus d’une fois, mais bel et bien le morceau en featuring avec le Prince de la trap française, La Dose. Dans La Dose, Kaaris et Despo nous offrent quelque chose de différent de ce qu’ils avaient déjà pu nous présenter dans Vendeur de Nah Nah et encore une fois, on n’est pas déçu.
Ça reste cependant surprenant que ce soit Despo qui se soit adapté au style de Kaaris. Parce que oui on sent la prod trap signée Therapy avec des bass assez légères (prod très similaire à celle de Zone de transit d’ailleurs). Kaaris n’a pas hésité à laisser une trace de son passage sur Majster. Enfin, on félicitera les beatmakers pour cet excellent travail effectué au niveau des prods. En même temps, quand on collabore avec des beatmakers expérimentés et qui ont fait leurs preuves comme Soulaymane Beats ou encore Therapy 2093, qui ont fait de grandes choses pour de grands artistes, le travail au niveau du son ne peut être que de grande qualité.
Un album de qualité musicalement parlant certes, mais un peu trop dans le conspirationnisme à mon goût. Avec des efforts sur l’écriture, l’album aurait pu faire partie du top des albums de l’année 2016. On a affaire à un artiste qui n’a plus toute sa tête mais qui sait quand même qu’il est là pour rapper et le fait toujours aussi bien qu’avant. Depuis quelques temps on observe que le rap français est un peu plus médiatisé qu’avant et les différents avis nous font savoir que le public français est très friand de trap, de rap hardcore ou de rap « poétique ». Je ne pense pas qu’un rap dénonciateur ou « scolaire » soit le meilleur moyen de toucher un maximum d’auditeurs pour le moment. On souhaite cependant à Despo Rutti un bon rétablissement, en espérant qu’il soit encore dans le game pour un bon bout de temps. Et n’oubliez pas, « ne mangez pas de fruits en forme de bite ».