Le nouvel album du plus célèbre des rappeurs marseillais comprend pas moins de 40 morceaux au total, ce qui en fait de loin son projet le plus long si l’on exclue la réédition de My World qui en 2016 faisait passer le total des morceaux de l’album a 50. Si Jul a déclaré à plusieurs reprises que cette longueur inhabituelle était destinée à compenser l’absence d’Album Gratuit cette année, on constate dans les faits que ce format lui réussit étonnamment bien. Des textes aux mélodies, chaque élément du projet témoigne d’une nette progression du marseillais. Loin de souffrir de sa longueur La zone en personne apparait dès la première écoute comme le chaînon manquant entre l’authenticité rappeur à ses débuts et ses derniers albums, dont un Inspi d’Ailleurs non dénué d’intérêt sur le plan musical, mais par trop éloigné de sa personnalité artistique. Au-delà de cet aspect purement musical d’ailleurs, on pourrait d’ailleurs formuler une remarque similaire au sujet de la promotion de l’album. Le dernier point fort de La zone en personne, ce sont les collaborations. Si Et je deviens fou en collaboration avec Ninho s’est imposé comme le titre le plus attendu de l’album, la présence d’artistes de la tempe de Soolking, Landy et Maître Gims est loin de lui nuire ! Mieux, on écoute avec plaisir Je réponds plus avec Moubarak et VNTM, dans lequel la signature du label D’Or et de Platine apparait aux côtés d’une brochette de rappeurs marseillais. On est agréablement surpris enfin par la présence sur On m’a tourné le dos de la suisse Loredana.
D’emblée, la production de Jul nous remet en tête la couleur musicale de certains de ses premiers titres extraits de l’album Dans ma paranoïa. La mélodie est enrichie par des variations et tonalités imprimées par le rappeur à sa voix. Petit bonus, une faute s’est inopinément glissée dans le titre du morceau au moment de sa mise en ligne, signe supplémentaire du retour d’un Jul spontané en plein exercice d’improvisation, capable de publier sur Instagram à quelques heures de la sortie de son album une annonce de recherche de plombier.
Les basses marquées sont complétées par des notes acidulées probablement extraites des archives eurodance dont seul Jul en personne détient la clé. La composition permet cependant à ce dernier de poser un refrain entêtant parce qu’uniquement axé sur la mélodie à la manière d’un Young Thug ou d’un Gunna. Oh fou est également une nouvelle collaboration avec Alonzo à inscrire au tableau de chasse de Jul après les très réussis Normal, Quelqu’un d’autre t’aimera et Comme d’hab. Signe de la complicité des deux artistes, on retrouve sur le morceau des références à certains de leurs plus gros hits, notamment Binta et Maria.
L’ambiance festive de la collaboration avec Soolking sur Come vai laisse place à un titre à l’atmosphère beaucoup plus sombre. Mi-rappé, mi-fredonné, le texte finit par être martelé de manière stridente à grands renforts d’autotune à l’approche de la troisième minute. Durant les premières minutes, Jul nous gratifie d’un couplet égotrip ponctué de références à la limite de l’absurde. La voix du rappeur est complétée sur certaines fins de couplets par un effet vocal aux allures robotiques qui n’est pas sans rappeler le talkbox si cher aux artistes californiens.
A l’inverse des morceaux précédents qui tirent notamment leur caractère unique des productions de Jul, Si tu savais s’impose comme le fruit délicieux issu du travail commun du rappeur marseillais et de son homologue dionysien. La voix grave et le flow lent de Landy sont habilement complétés par le débit cadencé et la voix aiguë de Jul. L’ensemble est mis en valeur par une instrumentale signée DJ Belleck qui lui donne une dimension toute différente.
Dès la première écoute, Je vais danser apparait comme l’un des titres les plus riches de l’album. L’instrumentale de Kakou Production, qui allie sifflements et guitare, est totalement dépourvue de basses. Pour la première fois du projet, Jul se lancera dans un exercice à cheval entre urbain et chanson française dans lequel il démontrera avec aisance ses capacités naturelles. A noter que la mélodie du premier couplet rappelle à l’auditeur averti celle de Tous les jours de Zesau et Dr. Beriz. L’ambiance déjà mélancolique du titre laisse place à un texte consacré aux tensions au sein du foyer, Dors petit dors.
Sur Tu vois je veux dire, Jul nous gratifie de 3:42 minutes de kickage intensif. Malgré un amour prononcé pour autotune et les outils de transformation vocale, le rappeur marseillais est avant tout un performeur et il s’empresse d’en faire la démonstration. D’un bout à l’autre du morceau, Jul enchaine vérités et égotrip dans un déferlement de dégoût et de déceptions. Cette fois, la production simple et répétitive rehausse l’importance accordée à la technique et au texte du morceau.
Retour vers les influences eurodance qui ont fait la réputation de Jul et sur lesquelles il est parvenu à bâtir une partie non-négligeable de son succès. La production de Ya Foye est lunaire et à peine brisée par un sample de voix déformée qui lui confère un caractère proprement unique. Le refrain sonne comme une ode à un mode de vie simple : « Je suis pas du genre à faire la mala, j’préfère cabrer en Yamaha ». Un véritable condensé de l’univers kitsch et pourtant fascinant du marseillais.
Et je deviens fous, la piste suivante de l’album, est probablement l’un des morceaux les plus attendus de l’ensemble du projet… Et à raison ! En effet, la collaboration de Ninho et Jul, qui pouvait laisser dubitatif au premier abord, se déroule sans anicroches et donne lieu à un titre entrainant sur une instrumentale de Kakou Production. Le couplet de Ninho, toujours très technique et cadencé, n’en colle pas moins à l’ambiance générale du morceau et est contrebalancé par un refrain chanté.
Avec la chapka est probablement l’un des morceaux les plus étonnants et intéressants de La zone en personne. La production réalisée en collaboration avec Kakou Production renvoie, comme celle de T’as tout gagné, aux premiers titres de la carrière de Jul. Très vite pourtant, c’est la guitare qui prend le relai, et certains passages du texte du rappeur installent l’influence de la variété sur le titre.
De la guitare encore sur En quarantaine, le dernier et donc quarantième morceau de la tracklist du projet. Sur un fond de grattage de cordes, Jul perche sa voix à la manière d’un chanteur et installe des mélodies en chantonnant : « J’aimerai m’éloigner de cette société / Moins de problèmes égale moins d’anxiété ». L’expression d’un mal-être qui sans être omniprésente revient sur plusieurs passages de l’album. Ce dernier titre est celui sur lequel le marseillais assume le plus sa transition vers la variété, un virage abordé simplement mais sans le moindre faux pas…