Depuis quelques années déjà, le rap tisse une relation particulière avec certaines marques de luxe, que ce soit au travers de titres comme Versace de Migos ou Gucci Gang de Lil Pump, de clips et de shootings. Bien que quelques unes de ces marques se soient mise à collaborer avec des rappeurs ou plus généralement avec des personnes issues du milieu urbain, comme Kanye West et Virgil Abloh avec Louis Vuitton, il faut noter que la pratique ne fait pas l’unanimité, et la plupart d’entre elles préfèrent se fermer à toute collaboration de ce type de peur de ternir leur image de haut standing et de perdre leur clientèle traditionnelle. Et s’il y a bien une histoire d’amour non-réciproque entre le rap et une marque de luxe, c’est bien celle entre le rap français et Lacoste….
Lacoste est l’une des marques françaises les plus emblématiques de l’hexagone, l’une des plus prestigieuses. Une marque qui symbolise le savoir-faire français, mais aussi l’élégance à la fançaise. Lacoste se veut une marque de luxe destinée à une population privilégiée. Il faut savoir que la marque a été conçue par deux grands joueurs de tennis français, André Gillier et bien évidemment René Lacoste, et c’est justement l’élitisme de ce sport qui se transmettra à la marque au crocodile. Pendant des années la relation entre Lacoste et ses clients sera au beau fixe, donnant lieu à une croissance exponentielle qui lui permettra de diversifier son offre en passant des polos et des chemises à la maroquinerie, aux chaussures et au parfum. En parallèle de cette stratégie de diversification, Lacoste s’attaquera aussi à de nouveau marchés, une progression qui en fera l’un des piliers du prêt-à-porter haut de gamme, statut qui ne tardera pas à avoir des conséquences totalement inattendues.
Nous sommes à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le rap a fait son apparition sur la scène musicale française depuis quelques années, mais commence à gagner en ampleur. A cette époque, le b-boying, l’un des cinq éléments qui composent le hip-hop, connait également une popularité certaine. Les b-boys, pour réaliser leurs performances, ont besoin de vêtements appropriés à la fois adaptés et élégants. Pour ce faire, ils se tourneront dans un premier temps vers les marques de sport les plus faciles d’accès, d’Adidas à Nike en passant par Puma. Le survêtement ainsi que les baskets en peau de pêche Puma font fureur chez les b-boys, et cet ensemble reste encore aujourd’hui emblématique du hip-hop. Dans le milieux des années 1980, Lacoste décide de se concentrer à nouveau sur sa collection sportive conçoit ses premiers survêtements. Ils sont à l’image de la marque, simples, pratique et évidemment élégants. Le nouveau produit se vend correctement, mais sans engouement particulier… Jusqu’à ce qu’un déclic inattendu se produise. Adoptés par les b-boys, les survêtements Lacoste vont bientôt se populariser chez une tranche de population que la marque n’avait jamais envisagé de viser.
Au milieu des années 1990, le rap est toujours en pleine ascension et son empreinte culturelle est de plus en plus importante. C’est dans ces années-là que Lacoste et ses survêtements vont connaitre un envol. Cette envolée des ventes de survêtement Lacoste est dû à l’engouement populaire créé par les adeptes du rap qui se ruent sur dessus, et ce malgré des prix assez prohibitifs. C’est dans cette période-là qu’on verra apparaitre la fameuse tenue casquette Lacoste, survêtement Lacoste, banane Lacoste, baskets Nike et bien sûr écharpe Burberry. Ce mouvement est amplifié par les rappeurs, comme le groupe Ärsenik, qui a décidé d’accorder Lacoste à son style de vie, un peu comme certains rappeurs américains avec Ralph Lauren. Évidemment cette appropriation de Lacoste par les classes populaires n’est pas du goût de la marque, et encore moins par sa clientèle. Fidèle à son image de marque de luxe Lacoste veut à tout prix se débarrasser de cette image, et va tout faire pour écarter ces nouveaux clients, qui lui rapportent tout autant voire plus d’argent mais qui ternissent son image.
Comme évoqué plus haut, le groupe Ärsenik et plus généralement le Ministère A.M.E.R s’approprie la marque et l’affiche n’importe où, sur ses pochettes d’albums, en magazine ou encore en concert… Malgré toute cette publicité gratuite, Lacoste ne souhaite pas s’associer au groupe. La marque reste attachée à ses valeurs et à sa clientèle d’origine. Cet amour non partagé permit notamment l’apparition des marques de streetwear qui, comme Dia, Com8 ou encore FuBu, ont compris qu’il y avait un filon à exploiter chez le public urbain. On peut d’ailleurs noter que les rappeurs d’Ärsenik portent du Lacoste sur leur première pochette d’album, et qu’ils abordent du Dia sur la pochette du deuxième. Bien que ces marques aient toutes eu des débuts couronnés de succès, elles n’ont pas su s’inscrire dans la longévité, ni à atteindre le standing que Lacoste pouvait et peut proposer. Cette période de désamour laissa place à une période de désintérêt qui dura plus d’une dizaine d’années, allant du milieu des années 2000 à nous jours.
Le retour en grâce de Lacoste chez le public urbain a eu lieu en parallèle d’une volonté de retour aux fondamentaux du hip-hop. Quand Mackelmore sort le morceau Thrift Shop, son ode aux friperies et à tous les anciens vêtements que l’on peut y retrouver pour des prix dérisoires, c’est aussi une ode à la nostalgie. Les friperies, qui étaient surtout réservées aux personnes ayant peu de moyens, deviennent un lieu tendance où l’on peut s’habiller pour être à la mode. Cette mode des friperies a remis au goût du jour des anciens designs, et a permis le retour d’anciennes marques de sportswear comme FILA, Ellesse, Kappa ou encore Sergio Tacchini qui avaient marqué les années 90. Bien évidemment, ce qui avait le plus marqué l’imaginaire collectif de tous les fans de rap dans les années 90, c’était le survêtement Lacoste, et c’est à ce moment-là que la marque au crocodile fait à nouveau son apparition dans le monde du rap.
Le rap actuel n’est plus le même qu’il y a 20 ans, il a énormément évolué dans sa musicalité et ses thématiques, en même temps que son public s’élargissait à des couches sociales pas forcément issues de milieux populaires. Cette modification du public rap n’a pas échappé aux marques de luxe, et notamment à Lacoste. Pour marquer son entrée dans l’urbain, Lacoste décide de collaborer avec la marque de streetwear New-Yorkaise Supreme, qui peut être considérée si on regarde ses prix comme une marque de luxe. Pour sa première collaboration avec une marque streetwear, Lacoste n’a pas fixé son choix sur le premier acteur venu, et a désigné la marque de streetwear la plus emblématique et la plus reconnue de cette tendance, qui avait également collaboré avec plusieurs marques auparavant.
Malgré les collaborations avec des marques de streetwear, toutes les portes ne sont pas ouvertes pour autant. Du côté des rappeurs notamment, la marge de dialogue avec la marque reste très réduite. Première ouverture, le rappeur espagnol C. Tangara a sorti en 2014 un clip sponsorisé par Lacoste intitulé Alligators, mais l’entreprise restait frileuse sur ce terrain. Du côté du rap francophone, Roméo Elvis et Moha la Squale tenteront tour à tour leur chance. Les deux rappeurs sont issus de la nouvelle génération fascinée par Lacoste et l’imagerie des années 1990. Ils n’hésitent pas à afficher leur amour pour la marque à de multiples reprises dans des morceaux, des clips, des interviews et des concert… Pourtant, un seul va trouver grâce aux yeux de la marque au crocodile. Moha la Squale sera tout d’abord invité à la Fashion Week de la marque en février 2018, le premier défilé de Lacoste depuis 13 ans, avant d’annoncer une collaboration officielle. Dans le cadre de cette collaboration, le rappeur créera trois ensembles de scène Lacoste qu’il exhibera pendant sa tournée, et notamment à L’Olympia. Quant à Roméo Elvis, il n’a pas été retenue et s’en est même plaint plusieurs fois, accusant la marque de refuser de collaborer avec les rappeurs.
Comments 1