Un an et demi après avoir sorti son premier album V, le rappeur originaire du quartier d’Air Bel (Marseille) qui a également donné naissance à Naps et YL est de retour avec Santé & Bonheur. On y retrouve des collaborations plus ou moins inattendues avec Alonzo, Kamelancien, Kenzy ou même Kaaris. Une sélection éclectique qui correspond finalement assez bien à l’univers sonore de Kofs, entre sa passion pour le rap français des années 2000 et un univers tout droit sorti d’un film de mafieux. Sur ce second projet, il se fixe le défis d’évoluer et d’aller plus loin dans sa musique, de répondre aux besoins du public tout en conservant la spontanéité qui se dégage de ses textes. Le résultat est un album en noir et blanc, construit sur des contrastes qui sont le reflet de la personnalité paradoxale de Kofs et de sa volonté de créer un équilibre entre les différentes facettes de sa musique. Interview d’un artiste complexe, qui parvient à balancer son caractère entier et simple avec une volonté de remise en question permanente… Qui s’avère, pour la deuxième fois consécutive, payante sur le plan de la construction d’un univers propre.
REVRSE : Un an et demi après la sortie de V, ton premier album, quel bilan est-ce que tu tires ? Satisfaisant ?
Kofs : Franchement ouais, je suis plus que satisfait. C’est carrément une exposition à laquelle je m’attendais pas du tout.
REVRSE : J’ai l’impression que l’engouement autour du projet s’est construit dans le temps, au fil des clips, plus que d’un bloc à la sortie…
Kofs : Je suis entièrement d’accord avec toi. Je l’ai vécu de l’intérieur, tout s’est accumulé petit à petit et forcément j’étais content des résultats. Il y avait de plus en plus de gros média qui s’intéressaient à moi, au final j’étais surpris de l’engouement. Au début, c’était plutôt faible mais quand on a dévoilé l’album c’est venu.
REVRSE : Est-ce qu’il y a des titres qui ont eu plus de succès que ce que t’attendais à l’origine ?
Kofs : Un de ces quatre, Eléna, c’est des morceaux que j’attendais pas spécialement commercialement mais qui au final sont parmi les plus streamés.
REVRSE : C’est intéressant parce que dans un sens c’est tes morceaux les plus personnels, ceux où tu prends le plus de risques.
Kofs : Pour moi ce n’est pas des risques, je fais de la musique et basta. Mais j’avais peur d’un truc, c’était que le public ne me comprenne pas par rapport à l’autotune, au chant… Puis j’ai compris que quand la musique est bonne elle est bonne, ils s’en foutent. C’est ce qui fait que je suis plus à l’aise sur le nouvel album…
REVRSE : C’est toujours Larsen qui t’enregistre ?
Kofs : Non c’est plus Larsen, enfin il était là pour un titre dans cet album-là pour être exact. En fait, j’ai beaucoup voyagé entre Paname et Marseille. J’ai enregistré chez Guilty par exemple pour Bosniaque.
REVRSE : C’est un chant bosniaque sur l’instru ? Ça amène vraiment une ambiance de film mafieux…
Kofs : Je sais pas si c’est un chant bosniaque mais ouais, on est d’accord. Le chant m’a inspiré ça et moi j’ai une affection particulière pour les bosniaques. J’ai fait un clip là-bas et je suis tombé amoureux du peuple, je me devais de faire un son pour eux. Les contacts que j’ai là-bas m’ont montré que c’est un pays d’hommes de parole. Ils sont très humbles, très souriants, alors qu’ils ont eu la guerre il y a pas longtemps. Finalement, c’est là où il y a le plus de violence que les gens sont les plus accueillants.
REVRSE : T’as pu visiter quels coins là-bas ?
Kofs : Sarajevo, direct. J’y suis resté une semaine, mais j’y retourne des fois pour clipper. J’ai déjà clippé là-bas dans V, à côté de Sarajevo justement.
REVRSE : Est-ce que tu comptes enregistrer là-bas pour te mettre dans l’ambiance ?
Kofs : Franchement j’aimerais bien un jour, pour un truc très sombre. J’aimerais bien. Tu sais les gens en voyage, il aiment partir à Bali, en Thaïlande… Moi mon truc c’est la Bosnie. C’est trop agréable, ils ont des hôtels de fous. J’aime bien le gris, le soleil ça me fait un peu chier.
REVRSE : Pourtant, il y a pas mal de sons chantés à la marseillaise dans ton nouveau projet. C’était limite surprenant de ta part, même si tu viens de là-bas.
Kofs : Tu sais la musique tu la fais selon tes humeurs. Moi, pour une bonne partie de mon temps, je suis une personne qui aime bien rigoler et faire la fête. Mais quand je ne suis pas dans cet état d’esprit-là je vais faire des morceaux aigris. Sinon, je vais faire des sons comme celui avec Naps où je vais m’amuser.
REVRSE : En parallèle de la fête, il y a un thème récurent dans ta discographie qui est la trahison…
Kofs : Si tu regardes bien, c’est rare les personnes qui ont une équipe et qui restent tout le temps avec. C’est rare les gamberges, les mentalités qui sont totalement accordées. C’est bien connu que l’argent divise, c’est dur de trouver l’équipe adéquate avec toi-même pour avancer. Que ça soit musicalement ou dans la vie. Et ça vaut pour moi le premier. On a ouvert un commerce avec un ami avec lequel j’avais aucun problèmes et c’est devenu la guerre, à la fin on l’a carrément donné le commerce. C’est chaud ce que je te dis.
REVRSE : Ça se ressent cet esprit dans l’album, t’es très clair sur la place que t’accordes au rap.
Kofs : Bien sûr, le but en soi c’est de te faire du fric. Pour en revenir à la trahison, je ne suis pas un mec qui va reprocher ça à quelqu’un. Moi le premier, je peux faire des actions qui vont donner cette impression à quelqu’un d’autre. Mais je suis obligé d’en parler.
REVRSE : Ton album se termine sur la phrase : « continue de nous régaler même si ça ne marche pas derrière ». Comme si au milieu de tout ça il restait de l’espoir.
Kofs : Tu sais, c’est toujours selon nos humeurs. Tu te disputes avec tes propres frères, avec tes propres parents. Donc lundi, si je me dispute avec eux, je vais les insulter et mardi je vais leur dire que je les aime du plus profond de mon cœur. C’est pour ça que qu’il y a ces paradoxes, tout le monde a ses paradoxes en amour et en amitié.
REVRSE : Tu parlais d’autotune, je me souviens que tu avais raconté que Kore avait du mal à le caler sur ta voix. Comment tu t’y es pris pour les morceaux plus légers de l’album ?
Kofs : Kore c’est mon gars et je l’aime énormément, je vais te dire ce qui s’est passé. Au moment de m’enregistrer, peut être à cause d’un blocage ou du fait que j’étais pas à l’aise, j’arrivais pas à faire ce que je voulais. J’ai sorti un couplet rap dans le morceau pour Taxi 5 : j’ai fait ce que je savais faire mais je n’ai pas fait ce que je voulais faire. Au final ça m’a un peu frustré. Il faut savoir que ce morceau, je l’ai enregistré le jour de ma signature chez Capitol donc j’étais un peu dans le flou. En-dehors de ça, j’ai toujours su gérer autotune.
REVRSE : Ton premier extrait avec Alonzo est symbolique parce que c’est lui qui t’a révélé auprès du grand public. Mais vous êtes partis sur un titre doux plutôt qu’un banger… Comment ça se fait ?
Kofs : Comme tu dis, c’était symbolique par rapport à Alonzo parce que c’est la personne qui m’a donné le plus de force dans la musique depuis mes débuts. Il m’avait invité dans Capo dei Capi sur Trackeur, donc pour moi c’était évident de sortir à mon tour un vrai son avec lui. J’aurais pu le faire dès mes débuts ou sur mon premier album mais j’ai préféré attendre d’être validé.
REVRSE : Qu’est ce que tu veux dire ?
Kofs : Vis-à-vis du public je voulais arriver seul. C’est facile de venir avec douze mille feats. On est des frères mais je serais le petit de personne. Je voulais lui montrer de quoi j’étais capable après son coup de main, et montrer à tout le monde que j’étais légitime pour ça. Du coup j’ai dû travailler de mon côté, faire des sons… J’ai attendu de me faire un petit nom avant de lui proposer. Sur la musicalité du morceau, comme je t’avais explique c’était simplement une question d’humeur. On a trouvé la prod qu’il fallait et on a posé comme il fallait dessus. C’est sûr que c’est pas un banger, mais c’est pas vraiment un morceau doux non plus quand tu vois qu’il rentre sur : « me regarde pas de travers, je t’écrase si tu traverses ».
REVRSE : D’ailleurs le clip inspiré de Peaky Blinder renvoie un peu à toute l’esthétique de l’album et notamment à Embourgeoisé avec Kaaris. C’est à la fois sombre et élégant.
Kofs : J’ai pas vraiment calculé l’univers de l’album, je suis un mec qui marche à l’instinct. Peaky Blinder, c’est leur façon de s’habiller qui a donné le rendu, s’ils étaient en short on aurait été en short aussi. Par rapport au titre Embourgeoisé de Kaaris, ça fait écho à la phase : « 35000 euros au poignet, suis-je embourgeoisé ? ». C’est pas vraiment pour montrer quelque chose de chic ou d’élégant, mais c’est vrai que j’aime bien les belles choses. Je parle de trahison et de la mort de mon père, mais aussi de choses que j’aime et ça fait plaisir, parfois, d’avoir un beau manteau en fourrure ou en soie.
REVRSE : Pour revenir sur le titre avec Kaaris, là aussi t’as surpris les gens avec un refrain plus léger tout en gardant des couplets puissants…
Kofs : En fait ça c’est 100% voulu, ça renvoie à ma phrase « le sombre dans le sombre ça ne se voit pas ». Je ne voulais pas faire un morceau que tout le monde attendait, mais je devais quand même arriver avec quelque chose où ça kick parce qu’on est tous les deux des kickeurs. On a aéré avec un refrain, parce que du kickage sur tout un son ça finit par faire mal à la tête.
REVRSE : Ta phase « noir sur noir, blanc sur blanc » résume bien l’album, on dirait qu’il est construit sur les contrastes.
Kofs : C’est exactement ça, moi j’aime bien varier. Tu sais je l’ai fait qu’une fois et c’était une mauvaise expérience. Sur Violence, j’ai mis que de la violence, du noir sur noir, mais c’était plus pour imposer ma touche. Parfois, ça fait du bien de la douceur dans ce monde de brutes. Par exemple dans Cette année-là ma performance est hardcore mais derrière l’instru est mélodieuse et je fais des backs chantés, je pense qu’il y a beaucoup de monde qui ont apprécié cet équilibre.
REVRSE : T’en avais déjà parlé en interview, mais comment est-ce que te viennent tes punchlines toujours très imagées, très visuelles ?
Kofs : Je te cache pas que parfois j’écris des trucs puis je me dis « putain de bordel de merde c’est toi qui as écrit ça ? ». Et 90% des cas, ça marche comme ça. Les mots me viennent directement. Comment ? Je ne sais pas. Pourquoi ? J’en ai aucune idée. Des fois, j’écris des trucs qui n’ont pas grand chose à voir avec ce que je vis, pour te dire.
REVRSE : L’album commence sur une succession de titres festifs, puis sombre progressivement dans un aspect plus brutal. C’est voulu ?
Kofs : Ouais, c’était un travail d’équipe et je t’avoue que faire une tracklist c’est la chose la plus compliquée à faire, beaucoup plus que faire un album. Une fois qu’on avait une trentaine de sons, on pensait être arrivés. En fait, c’était que le début parce que faire la sélection, numéroter les titres c’est un travail à part entière. Il faut savoir un truc, j’ai enregistré mon album dans mon univers, qui est propre à moi-même et qui est dans ma tête à moi. Même mes proches ne savent pas comment je le pense. Justement, je voulais montrer aux nouveaux auditeurs qu’on savait faire autre chose que des morceaux kickés, et laisser ceux qui me connaissent déjà arriver dessus à la fin. Le dernier morceau, c’est ce sur quoi les gens m’attendent. Mais tout le reste, j’espère que personne ne s’y attendait. Par exemple l’intro Santé & Bonheur, c’est la première fois que je rap sur une instru rapide comme ça.
REVRSE : Il y a aussi une sorte d’ascenseur émotionnel dans l’album…
Kofs : C’est ce que je voulais, créer une atmosphère. Je fais partie de ces gens qui aiment les vrais albums, pas les playlists avec des morceaux pris un peu partout. Moi j’ai connu les albums de la Fonky Family, des Psy4… Quand je les écoutais, ça m’envoyait dans une bulle, comme un film.
REVRSE : On ressent dans ta manière de faire de la musique que t’es un auditeur passionné du rap des années 2000, notamment Salif et Nessbeal.
Kofs : J’étais bousillé à ça tu sais. Les mecs du 94 bien sûr, mais pas que parce que j’écoutais tout ce qui se faisait : Salif, Alibi Montana… Kamelancien est arrivé en 2005 et je me suis pris une tarte. Je me reconnaissais dans ses textes, ce côté humble… Il était très hardcore, mais moi il me faisait kiffer. Le charme de la tristesse c’était énorme, c’est de ça que je parle quand je parle de vrais albums.
REVRSE : D’ailleurs ton morceau avec Kamelancien est limite intemporel, sans l’instru trap il aurait aussi bien pu sortir il y a 10 ans et être aussi efficace.
Kofs : Après, est-ce qu’il y a une vraie différence ? Les instruments sont toujours les mêmes, c’est la façon d’en jouer qui a évolué. Dance Monkey de Tomes and I aurait aussi bien tout baisé dans les années 2000 par exemple. Mais je suis d’accord avec toi, j’ai été bercé par tout ça et c’est normal que ça se ressente parce que ça fait partie de mon éducation.
REVRSE : Comment s’est faite la connexion entre vous deux ?
Kofs : J’écoutais du Kamelancien à la maison et ma femme m’a dit, en entendant les textes, que je m’entendrais bien avec lui s’il était encore dans le rap. Deux heures plus tard, il m’envoie un message. Un truc de fou. Il m’a dit qu’il avait eu de bons retours sur ce que je faisais, qu’il aimait beaucoup… Dès que je suis venu à Paris, on s’est captés et on a parlé ensemble. On s’est revus et il a fait l’erreur de me dire : « Foued, tu peux me demander ce que tu veux. ». Je l’en emmené en studio. C’était sans arrières pensées, j’ai réalisé un de mes rêves de gosse. Au final, ça a bien fonctionné de pas se prendre la tête, et c’est l’un des premiers sons de l’album que j’ai fait.
REVRSE : Et le dernier ?
Kofs : C’est Pardonne-moi. Dès que je l’ai enregistré, je l’ai envoyé à l’équipe pour qu’il rentre dans l’album.
REVRSE : D’ailleurs, quand est-ce que tu es retourné au studio après V ?
Kofs : C’était assez rapide, j’avais quelques affaires personnelles à régler puis je me suis remis dedans d’un coup pour l’album. Ça a duré combien de temps à peu près ?
Manager : Dès le départ, il s’est posé les bonnes quelques, à savoir quelles évolutions il pourrait amener dans sa musique et il y a une une phase de recherche sur une dizaine de titres. Il y a eu le featuring avec Kamel et deux-trois autres sons qui sont restés, mais sinon on s’est rendus compte après coup que ce qu’il avait enregistré au début c’était plus un entrainement. En tout, on a mis 8 à 10 mois à faire le projet en sachant que les premiers temps étaient consacrés à la remise en route.
REVRSE : T’as directement pensé à aller vers de nouvelles sonorités ?
KOFS : Exactement, je ne suis pas borné et j’aime bien suivre la tendance, donner au public ce qu’il attend sans m’éloigner de ce que j’aime. il fallait que j’attende de voir ce qui prenait le mieux sur V, sachant que c’est un album qui a été consommé sur la durée. Encore aujourd’hui, je reçois des messages de gens qui viennent de le découvrir. Ça m’a pris un an et demi d’assimiler tout ça, mais je pense que j’aurai plus besoin de périodes aussi longues à l’avenir.
REVRSE : Tu n’as pas peur de diluer ton écriture ou tes idées en enchaînant plus vite que ça ?
Kofs : Pas vraiment parce que je suis une personne qui a énormément d’idées et de capacité à faire les choses. C’est quelque chose de naturel pour moi d’évoluer. Je me remets tout le temps en question. Je pouvais te sortir un album, sans prétentions, un mois après V. Il faut savoir que je travaille beaucoup en équipe, je ne fais que 25% de la construction de mon projet et je sollicite beaucoup de monde pour déterminer ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Je me démoralise assez vite, donc si j’ai trop de mauvais retours sur quelque chose c’est probable que je le laisse de côté.
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