L’histoire de Jok’air n’est pas des plus joyeuses, comme peuvent en témoigner ses trois précédents projets, chronologiquement nommés Big Daddy Jok, Je suis Big Daddy et Jok’pololo. Si les deux premiers projets dévoilaient une page sombre de la vie du rappeur, une page ternie, tachée de larmes et d’encre rouge, le troisième projet ouvrait un nouveau chapitre ; une page tournée, une étape franchie. Après avoir dévoilé les singles que sont Mon Survet, Cambrure, Jok’Rambo et Aquarium, c’est avec Jok’Rambo que le rappeur du 13ème arrondissement de Paris poursuit à grands pas son avancée dans ce nouveau chapitre. S’éloignant des sonorités auxquelles le public rap français est accoutumé, le Big Daddy étale encore une fois ses compétences et, du chant au rap en passant par une oreille musicale plus qu’impressionnante, Jok’Rambo est un album artistique avant d’être un album de rap.
➡ La carrière de Jok’Air, un ensemble de projets qu’il est nécessaire d’analyser globalement
Ce qu’il faut comprendre avec Jok’air et ses désormais quatre projets, c’est que ces derniers ne doivent pas être analysés indépendamment les uns des autres mais bien relativement aux précédents. Il faut prendre ses projets comme des étapes, des paliers à franchir, des niveaux à gravir. Comme pour les sept étapes du deuil, le temps était venu pour Jok’air de passer l’étape de la déception et de passer à l’acceptation pour engranger la reconstruction. Pour comprendre Jok’Rambo, il faut par conséquent comprendre les précédents projets de Jok’air.
Les deux premiers opus, Big Daddy Jok et Je suis Big Daddy, retraçaient un Jok’air blessé, souffrant, et las de déceptions. Entre le récit des désillusions, le conte d’une douleur jusqu’alors inconnue et l’évaporation de cette peine dans la drogue et l’alcool, l’entrée en matière se fait tranchante. C’est un homme affaibli, enivré par la peine, que décrit le rappeur au travers de ses deux premiers projets : des morceaux plus qu’intimes, attaquant le mal à la racine ; mal né dans la terre des cités parisiennes, arrosé de la pluie des soirées de la capitale. Une ville où tous ne naissent pas égaux, une ville où la vie n’est pas rose mais plutôt grise comme la décrit le morceau La mélodie des quartiers pauvres. Outro du premier projet, pas de meilleure fin de projet possible qu’une description contrastée de l’atmosphère du rappeur, étrange mélange entre un amour presque maternel et une haine viscérale. Puis viennent les déceptions amoureuses, les trahisons, l’histoire de la MZ, les désillusions, comme une avalanche. Les morceaux Abdomen, Plus rien ne m’étonne, Tragédie ou encore Je ne sais pas sont très caractéristiques de ce côté dépressif de Jok’air.
Puis vient Jok’pololo, troisième projet solo, un EP de 5 titres qui s’enchaînent à la perfection. Le rappeur passe à un niveau supérieur : l’acceptation et la reconstruction. L’heure n’est plus à la lamentation, la vie est ainsi, seul l’avenir importe ; une invitation à aller se faire foutre plus qu’émotive de la part de Jok’air. La tristesse laisse place à la colère et l’indignation à la volonté de ressortir plus fort de ces épreuves comme le traduisent les morceaux Hypocrite et Des envies de meurtre.
➡ Jok’Rambo, un homme nouveau s’empare des commandes pour échapper aux démons du passé
Avec Jok’Rambo, le rappeur de vingt-six ans prend sa revanche sur la vie. A Jok’air de prendre les devants, la page est tournée, c’est un homme nouveau qui s’empare des commandes. Un homme prêt à faire la guerre, comme l’évoque si bien le titre de l’album. C’est avec des morceaux comme Maintenant, Jok’Rambo ou Alléluia (feat. Chich) que le rappeur établit une nouvelle signature : celle d’un homme endurci. Un homme qui, désormais, fait de l’argent, et n’a plus besoin de personne, si ce n’est Davidson, qui est et a toujours été présent.
Cependant, tout cela n’est pas si facile. Malgré ces améliorations, les douleurs restent présentes et continuent à torturer le rappeur dans sa plus profonde intimité, intimité dévoilée au fil des morceaux, sur un fil de rasoir. Une vie difficile que l’on comprend avec les deux derniers morceaux du projet que sont TSN et Au secours. Cette volonté du rappeur de placer ces deux morceaux en conclusion du projet n’est certainement pas anodine. Noir sur blanc, le rappeur traduit par ce mouvement la persistance d’une vie tragique et dure ; les briques d’un passé détruit avec lesquelles il tente de construire un empire nouveau.
➡ La poursuite d’une épopée musicale, ou comment Jok’Air renouvelle constamment sa palette musicale
S’il est une chose remarquable avec la musique du rappeur du 13ème arrondissement de la capitale, c’est que jamais un projet ne sera monotone. Alternant entre chant et rap, s’essayant à des styles toujours plus loin les uns des autres, Jok’air sait travailler sa musique comme un boulanger sait pétrir son pain. Ainsi, dans Jok’Rambo, il est tant possible de retrouver des sonorités Gospel avec Alléluia, Disco et années 70-80 comme avec le morceau Daddy (feat. Lili Poe & Madame Monsieur) ou encore des sonorités africaines avec Ton pied mon pied. Le rappeur ne cesse d’élargir sa palette musicale, comme s’il cherchait auprès de la musique une porte de sortie. Quoi de mieux qu’une passion pour oublier ses peines ? On ne compte plus les artistes qui ont noyé leurs peines dans l’art en plus de l’alcool. De cette façon, peut-être est-ce au tour de Jok’air de noyer ses peines dans son art, la musique, qu’il s’est approprié, dont la source semble ne jamais tarir.
Ainsi, Jok’Rambo est un album neuf, une tentative d’évasion, une page tournée ; tant de choses à la fois, le rêve d’un homme blessé et déchiré, un retour à la réalité car on ne vit pas de rêve. La volonté d’un rappeur, d’un Noir, mais d’un homme avant tout, de vivre une vie de rêve malgré les contraintes quotidiennes auxquelles il a été habitué. Maintenant, il faut attendre les prochains projets pour suivre l’évolution de Jok’air.