Beatmaker, puis ingénieur du son, puis rappeur, KPoint n’est pas un artiste ordinaire. En effet, le rappeur originaire de Ris-Orangis (91) s’est fait remarquer ces derniers mois par le public en amenant son concept de Trap’N’Roll. Difficile d’évoquer cet état d’esprit émanant de l’artiste, qui se balade toujours avec sa guitare, et n’hésite pas à la dégainer pour rapper sur un air. Nous sommes allés à sa rencontre, dans les locaux de Rec118 (Warner) afin de décrypter ce personnage atypique…
HHR : Tu viens de Ris-Orangis, dans le 91, est-ce que ce département a eu une influence sur ton rap ?
KPoint : Bien sur, c’est la base, c’est là d’où je viens, ça a eu une influence sur mon rap. Je me suis inspiré des LMC Click, des gars de la zone quoi. A l’époque le son 91 Super Thugz m’avait énormément inspiré. L’inspiration vient de chez moi, mais plus particulièrement de chez moi, maison, pour le côté guitare.
HHR : Concernant l’influence du département, dans ton projet il y a peu de multisyllabiques qui pourtant sont un code fort de cette école…
KPoint : Les multisyllabiques, je les ai travaillées sans vraiment les travailler, avec mon équipe de beatmakers NKLM, et on se disait une phrase en essayant de rimer multisyllabiquement avec la phrase qui a été dite précédemment. On a toujours été dans ce jeu de faire des rimes, même pour rigoler. Après les mecs du 91 m’ont également fortement inspiré sur le flow.
HHR : T’as commencé à rapper vers quel âge du coup ?
Kpoint : 16 ou 17ans, j’ai essayé d’écrire mes premiers textes, sinon avant c’était vraiment musical, je travaillais vraiment dans mon coin étant donné que je faisais des instrus et de la guitare. Un jour, il y a eu un élément déclencheur parce qu’auparavant j’étais dans ma bulle sur tout ce qui est musique. Cet élément, c’était Salif. J’écoutais déjà du rap français à l’ancienne mais quand je l’ai écouté avec le son Pourquoi, c’est ce qui a déclenché le rap chez moi.
HHR : En 2015, t’avais participé au son Danse avec les Loups Remix de Juicy-P…
Kpoint : Ouais il y avait plein de gars du 91, c’était un moment de partage mais surtout un esprit fou. C’est-à-dire que c’était un esprit où un ancien du 91 fait en sorte de tous nous réunir sur un projet et c’était une expérience incroyable.
HHR : Du coup, pour vous qui restez très attachés à votre département, c’était méga important de le représenter…
Kpoint : C’était important, il fallait être thug, fallait pas venir avec une guitare (rires). La guitare, fallait l’imposer petit à petit. Mais j’ai un côté thug, et le côté guitare, là c’était le premier qu’il fallait mettre en avant.
HHR : Il y avait également Niska sur le morceau, en 2017, t’es en contact avec lui étant donné que vous venez de la même zone géographique ?
Kpoint : Non, je suis pas en contact avec lui mais je juge le son sur la globalité du truc, je prends pas au cas par cas.
HHR : Par rapport à tes influences, donc Salif, mais également la dancehall…
Kpoint : Comment tu sais ça ? (rires) J’écoutais du Vybz Kartel, Elephant Man, Sean Paul quand on était petits.
HHR : Mais du coup tous ces mélanges musicaux, c’est ce qui t’a donné envie de t’ouvrir musicalement ?
Kpoint : Ces mélanges font en sorte que je produise de la musique nouvelle et hors norme. Je réunis ces influences et c’est ce que je vais faire découvrir aux gens, t’écoutes ces sons maintenant, plus tard, t’en découvriras d’autres qui sont déjà sortis depuis très longtemps et tu kifferas à ce moment là.
HHR : C’est ça le Trap’N’Roll ?
Kpoint : Ca en fait partie, c’est pas exactement ça, le Trap’N’Roll, c’est la partie personnelle et la partie groupe. Quand je te dis personnel, je te dis familial, la guitare, ce que j’écoutais quand j’étais petit. Mon daron mettait de la musique quand j’étais petit, il me disait « Est-ce que tu vois comment la guitare pleure ? ». Je comprenais rien quand j’étais petit, mais au final ça en fait partie. Quand tu grandis, c’est là où tu te rends compte de tout ce que t’as appris quand t’étais petit et de faire ce cocktail explosif.
HHR : Mais ton père t’ayant appris à jouer de la guitare, est-ce qu’il a toujours un regard sur ta musique ?
Kpoint : Quand j’étais dans le pur rap 91, il savait rien pour lui j’étais un gars qui a raté ses études, qui traînait dans la street, alors que j’avais déjà ma conception du truc. Je savais déjà ce que je voulais faire sans le mettre en pratique, je savais pas comment le faire. Le premier clip que j’ai montré à mon père, c’était La quotidienne. Je me suis dit, il va peut-être me voir fumer en bas du bâtiment, tout ça mais il va valider parce qu’il sait qui je suis au final.
HHR : Mais avec l’image que ton père a de toi, cela ne t’apporte pas une pression supplémentaire dans cette quête de réussite dans la musique ?
Kpoint : Mais c’est carrément une pression positive, contrairement à certains parents, il essaye de comprendre, il se demande systématiquement pourquoi j’ai choisi telle musicalité, tel bail… C’est lui qui m’a instruit à la musique. Donc, non le daron valide, à partir de ce moment là, ça donne une pression certes mais très positive et qui me permet d’aller le plus loin possible.
HHR : Avant Trap’N’Roll t’avais déjà sorti deux projets, une mixtape en commun avec Raiders et un autre nommée Empire. Le premier projet est toujours disponible sur le net, mais le second est introuvable, pourquoi ?
Kpoint : On l’a effacé, on l’a enlevé de Haute Culture parce qu’on pensait mettre des sons d’Empire dans le projet qui allait sortir après. Finalement j’étais dans une autre mentalité, une autre vibe qui fait qu’on l’a enlevé pour cette raison, mais il a été retiré pour rien puisqu’on a mis aucun son d’Empire dans Trap’N’Roll. Après, Empire pourrait ressortir dans un an parce que c’est un délire qu’on retrouve pas dans Trap’n’Roll.
HHR : Pour parler de ton seul projet disponible sur le net, avec Raiders, t’étais bien moins ouvert musicalement que dans Trap’N’Roll, comment tu pourrais expliquer ce virage ?
Kpoint : Au bout d’un moment, j’étais dans la street, je rappais pour mon plaisir et celui des mes gars. A l’époque, quand j’allais au studio 432 qui est mon label actuel, j’étais un client comme les autres et je suis rentré dans le mode taff quand je suis venu avec mon potentiel familial. C’est-à-dire que mon producteur m’a vu chanter, faire des notes, il était surpris, il m’a dit, « Tu sais faire ça toi ? ». A partir du moment où j’ai fait le son Case Départ, tout s’est enclenché, et du coup mon producteur m’a dit « Pourquoi ne pas aller plus loin ? ».
HHR : D’accord, parce qu’à tort, je pensais que ta carrière était scindée en deux, avant et après ta signature en maison de disque. Pour moi, avant que tu rejoignes Warner, je pensais que tu rappais de façon plus crue et qu’après être chez eux, vous avez essayé que tu sois plus ouvert musicalement…
Kpoint : J’avais déjà cette pensée de m’ouvrir mais après, un grand de chez moi m’avait dit « avant d’être Roi du monde, sois le prince de chez toi ». Au final, j’ai surtout travaillé mes textes, mon flow, pour me faire kiffer mais aussi mon entourage. Tu vois, la cité, ils ont pas forcément cette ouverture musicale. A partir du moment où j’ai considéré cela comme un taff, j’ai mis vraiment le côté artistique en avant et j’ai fusionné les deux. Des sons que j’ai chantés et rappés, le fond sera toujours le même mais tu ne les entendras pas de la même façon.
HHR : Même lorsque tu mélanges les deux styles, on retrouve toujours ce côté égotrip. En faisant le choix de t’ouvrir musicalement, t’as pas l’impression d’envoyer un message à la concurrence en disant je m’aventure sur des terrains sur lesquels vous avez peur d’aller ?
Kpoint : Ca fait partie de l’egotrip, je vais là où tu vas pas. La culture rap egotrip, à la base c’est le clash, donc on a gardé cette façon d’écrire. Tu vises pas forcément quelqu’un, tu parles en général, si tu te sens visé, alors c’était pour toi. Mais même un son que tu vas juger artistique, il y aura toujours de l’egotrip parce que c’est ma base, l’égotrip. Dans le morceau « Delorean », je parle d’une meuf mais je trouve l’écriture égotrip alors que n’importe qui aurait pu sortir ce discours à sa meuf. En vrai c’est « Monte dans la voiture si tu veux rester avec moi, sinon sors ! ».
HHR : Maintenant puisque tu parles de meufs, faut qu’on parle d’un objet important pour elle, c’est la guitare…
Kpoint : (il coupe) Attends pourquoi la guitare ça va avec les meufs ??? (rires)
HHR : Ca aide parfois bizarrement !
Kpoint : Ca aide mais je me suis jamais mis à jouer de la guitare dans cette optique, c’est vraiment un truc qui me tient à cœur, c’est l’héritage familial. Je sais que je vais en jouer sur la plage, je vais ramener 2, 3 meufs à l’hôtel après, on va être biens. Mais c’est pas le but. C’est aussi pour rappeler aux mecs de cité que la musicalité vient de chez nous, étant donné qu’i y a pas mal de personnes d’origines étrangères. Ca vient du bled, c’est mon père qui vient du Cameroun qui m’a appris ça. En fait, je suis un couteau suisse, à partir du moment où t’en as un, tu sais que tu peux tout faire avec.
HHR : Mais justement quand t’étais rentré dans Le Cercle, avec ta guitare, t’avais pas l’impression d’échapper aux contraintes de l’exercice ?
Kpoint : Justement non, parce que j’ai l’habitude de rapper sur des instrumentales, mais je me suis dit tout le monde va rapper dessus et j’ai un truc en plus donc autant l’exploiter. Si je suis capable de le faire, je vais le faire parce que ça me différencie. Après peut-être qu’un mec viendra avec un accordéon ou autre dans Le Cercle.
HHR : Tu pourrais peut-être le faire avec du piano aussi non ? Parce que tu sais en jouer.
Kpoint : Je sais en jouer, c’est un grand mot parce que je vois des mecs en faire, j’ai même pas envie d’en jouer devant eux. Mais c’est encore un rêve pour l’instant.
HHR : Concernant le projet Trap’N’Roll, tu le définirais comment ? Mixtape ? Album ?
Kpoint : Je peux pas le définir, je fais pas la différence entre mixtape ou album, pour moi tu balances ce que t’as sur le cœur. Je réfléchis pas marketing, communication, je suis pas trop buisness…
HHR : Tu fais la musique et c’est plus de ton ressort de la vendre, en gros ?
Kpoint : Après je sais que t’es obligé de rentrer dans certains codes pour pouvoir te faire « accepter » et la guitare c’est ma différence.
HHR : Quand tu rentres en cabine et que tu fais un son, en écoutant le rendu final, tu penses jamais au buisness, à la façon de diffuser le morceau ?
Kpoint : Pour le projet Trap’N’Roll, je l’ai commencé bien avant de signer chez Rec118, par passion. C’est sur la fin du projet qu’on s’est dits il faut des trucs pour faire bouger, d’où le son Trap’N’Roll, Chute Libre… C’est vers la fin qu’on s’est dit qu’il faut ramener du monde, avant j’étais dans un mood « Je fais ce que j’ai envie de faire ».
HHR : Avec Trap’N’Roll, t’as créé un projet pouvant être écouté dans toutes circonstances, c’était voulu ?
Kpoint : Rien était voulu, quand j’écris, je me dis pas ce son va être fait pour ça, c’est vraiment l’instrumentale, si elle me fait frissonner jsuqu’aux orteilles, je vais faire le bail. J’ai jamais cherché à faire des trucs pour plaire, j’ai toujours travaillé à l’instinct.
HHR : Tu te mets dans quelles conditions pour écrire ?
Kpoint : Ca dépend, parfois ça vient tout seul, surtout pour l’egotrip, le pur rap, sans chanter. Après j’écris obligatoirement sur une prod ou que j’ai toute l’idée dans ma tête. J’essaye vraiment de structurer l’idée dans ma tête. C’est-à-dire 4 mesures par 4 mesures, j’écris 4 lignes, j’en saute une, j’écris 4 autres lignes et ainsi de suite. Ca me permet de changer de flow toutes les 4, 8 ou 16 mesures, etc… Quant à l‘inspiration, c’est sur le coup, je dis ce qui me passe par la tête.
HHR : Sur le projet, il y a 17 pistes, le public actuel étant formaté pour surconsommer, tu ne considères pas avoir pris un risque en optant pour un format aussi long sur ton premier projet officiel ?
Kpoint : Je considèrerais pas que c’était long, pour moi, ça l’était pas, j’ai découvert ça récemment (rires). J’ai entendu que dans les mixtapes tu devais ramener des invités, mais comme c’est mon premier truc, c’est un journal intime. Il faut que tu comprennes le monde de l’artiste avant de pouvoir t’enjailler sur ses trucs. C’est assez compliqué à mettre en œuvre, mais c’est tout un mélange, de street, d’ambiances sombres, de meufs, c’est mon univers quoi ?
HHR : Tu parlais de ramener des invités, t’as ramené Jok’Air sur le projet, comment s’est fait le morceau? Tu t’es dit je verrais bien Jok’Air là dessus ou vous avez tout créé ensemble ?
Kpoint : On a tout fait ensemble, on a écouté des instrus au studio, de mes gars NKLM. On a accroché sur une instru, on s’est mis là dessus. Après c’est des gars à moi qui m’ont poussé à faire la collaboration, je voyais que Jok’Air était déjà très très fort, et très poussé sur l’artistique. Au final, je me suis dit, c’est lourd ce qu’il fait et mes gars ont dit ce serait lourd que tu fasses un feat avec lui, il est décalé comme toi, et j’ai kiffé, du coup on s’est mis en contact. La connexion a glissé de ouf et j’étais content de cela parce que c’est dur de connecter deux artistes qui sont dans un monde. Cela implique deux façons de penser et de vouloir construire les choses mais on s’est compris, c’était naturel. La dernière fois, il est passé au quartier, on fumait, on buvait, non c’était une très très bonne expérience. Ca fait plaisir en plus parce que je me sens tout nouveau dans le rap, et lui est présent depuis un petit moment.
HHR : Concernant la réalisation du projet, toi qui es un homme à tout faire, en tant que beatmaker, ingénieur du son, est-ce que t’as eu ton regard sur chaque processus de réalisation ?
Kpoint : Toujours, j’ai mon regard sur chaque processus d’élaboration, que ce soit pour l’enregistrement, l’autotune, la reverb, tous ces termes là, je les ai appris au fur et à mesure. C’est important pour un artiste de connaître tous ces paramètres. Ca veut dire que t’es tout seul et tu peux faire tes projets solos. Quand je commençais, j’appuyais sur la touche REC et je courais dans la cabine, après c’était de la merde le mix, j’avais pas encore fait de formation dessus. Ca me permet de pouvoir me débrouiller dessus désormais.
HHR : T’as appris aux côtés des ingénieurs sons à la longue ?
Kpoint : Carrément, j’avais fait une formation en audiovisuel par la suite, je savais pas encore précisément ce que je voulais faire que ce soit à la réalisation ou à l’artistique, je me cherchais encore. Franchement, j’ai appris beaucoup et mon entourage m’a toujours suivi dans cet apprentissage. Quand j’étais petit, j’enregistrais les artistes « Banque de sons », notamment la LMC Click. Je les enregistrais, je faisais des prods pour eux, et je suis passé par la case « j’enregistrais d’autres artistes » puis « je m’enregistrais moi-même », ça fait tout un méli-mélo qu’il faut bien exploiter.
HHR : Au vu de la couleur chaude du projet, et de la présence de certains codes rap, toi qui aimes te définir en tant qu’artiste, quelle différence fais-tu entre un artiste et un rappeur ?
Kpoint : Un rappeur, pour moi c’est un artiste, ça reste de l’art, c’est compliqué de définir l’art, c’est une conception du cerveau, c’est les goûts et les couleurs. Mais, je me suis jamais dit je vais faire un truc artistique plutôt qu’un truc rap, j’ai toujours tout mélangé naturellement.
HHR : Avec ce côté aucune limite artistique, t’as pas peur de passer pour un artiste incompris ?
Kpoint : C’est le risque mais tu t’en rends même pas compte, quand tu rentres dedans, tu peux pas t’en rendre compte. C’est au moment où il y aura les retours sur le projet qu’il faudra être plus calculateur sur certains points, mais la musique qui a été faite, c’était vraiment avec le cœur et l’énergie qu’il fallait mettre.
HHR : Comme on disait plus tôt, il y avait des sons qui sont vraiment dans le créneau rap sur Trap’N’Roll, c’était une façon de faire plaisir à ton public de base ?
Kpoint : Déjà je considère ce projet comme un vrai projet d’hiver, dans ta voiture ou chez toi, tu vas vraiment essayer de comprendre le truc.
HHR : Du coup c’est quoi la suite, un projet totalement acoustique pourrait voir le jour ?
Kpoint : Ca pourrait comme ça pourrait ne pas l’être, je pourrais faire un son, première piste, c’est du rap, la seconde du rock, mais j’ai conscience qu’il faut aussi se positionner. Il faut que les gens puissent se reconnaître en toi parce que ‘tes forcément décalé en tant qu’artiste. Mais ta partie la plus reconnaissable, il faut aussi la mettre en avant, c’est ce que j’ai appris. Après si « Trap’N’Roll » prend bien, peut-être qu’on continuera dans ce délire. Après j’ai aucune limite artistique.
HHR : T’as un objectif commercial ?
Kpoint : Pas du tout, en revanche c’est dangereux de ne pas en avoir mais j’ai quand même une équipe sûre qui se positionne sur ses objectifs, ça me permet de me libérer sur les sons.
HHR : Mais c’était limite nécessaire que tu sois signé en maison de disque avec cette approche de la musique, finalement ?
Kpoint : Forcément, après je suis tellement ouvert que je suis capable de tout te faire, même de la country. J’en écoute pendant 2 jours, je suis capable de t’en faire demain. Pour un art de ce tempérament, il faut une équipe capable de diriger dans la bonne direction.
HHR : Un dernier truc à ajouter ?
Kpoint : Trap’N’Roll déjà disponible sur toutes les plateformes de streaming, digitales et dans les bacs. Hip-Hop Reverse, ça bhouuuhge grave!