Bercé par le rap de la deuxième moitié des années 2010, le style de Dibson détone de la scène marseillais actuelle, décidant de privilégier le kickage à la chansonnette. Néanmoins, cela n’est qu’une facette de la personnalité complexe du rappeur originaire des Quartiers Sud, s’avérant être un artiste humble et lucide. Pour cette interview, Dibson nous a donné rendez-vous dans un snack avec vue sur la mer, à côté des calanques, le mélange de la simplicité et des charmes de la cité Phocéenne. Retour sur un entretien riche en enseignements sur la vision d’un rappeur marseillais et des alentours
On a remarqué que le rap Marseillais alternait entre phases où le rap fonctionne bien, sur le plan national, et d’autres où ça fonctionnait beaucoup moins bien…
Il y a eu un trou aussi entre les anciens et les nouveaux, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, avec IAM, la FF et la Psy4 et maintenant avec la nouvelle génération. Je pense que c’est même pas par période, il y a juste eu une longue période de traversée du désert. Le rap c’était Paris pendant pas mal d’années et il faut le dire, la lumière s’est remise sur Marseille avec ceux qui sont en train de monter : YL, Hooss… En plus, il n’y a pas que Marseille, il y a aussi les alentours, des mecs qui viennent d’à côté mais qui ont la mentalité marseillaise. Tu sens que ça vient de chez nous…
Genre Kamikaz ?
Par exemple, tu vois il est d’Arles, c’est à une heure d’ici.
Comment tu te situes par rapport à la nouvelle scène qui est plus décomplexée, utilisant davantage l’autotune ?
Au début, j’avais du mal avec l’autotune mais maintenant c’est avec modération. Je l’utilise un peu sur les refrains, de temps en temps. J’avais vraiment un peu de mal au début, j’étais plus dans un rap à l’ancienne après je pense que c’est l’évolution de la musique. Maintenant, c’est la tendance, beaucoup d’autotune, de morceaux dansants, des morceaux un peu plus légers dans l’écriture. Et je suis pas du genre à dire « le rap c’était mieux avant » même s’il y avait plus de textes et de contenu.
Mais justement avec ton style de rap traditionnel Marseillais, t’as été influencé par les grands groupes Marseillais ?
J’étais pas mal influencé par les Psy 4 de la Rime, à mon époque. Après la FF et IAM, c’est des rappeurs que j’ai aussi écoutés. La FF, je connais pratiquement tous les morceaux, ça m’a bercé. Mais les Psy 4, je me suis pris ça à l’époque où j’avais 9-10ans, où ils étaient vraiment dans le truc. A Marseille, c’était eux. Mes premiers concerts, c’était eux. C’est ça qui m’a donné envie de rapper quand je les voyais sur la scène, c’est normal que ça se ressente dans mon rap. J’étais pas influencé seulement par des rappeurs Marseillais, mais aussi par Sinik, Sniper, Rohff…
En ce moment Naps a eu son disque d’or, pour Jul c’est le diamant, pour SCH c’est 2 disques d’or, est-ce qu’après s’être exporté en France, le rap marseillais peut s’exporter à l’étranger ou pas ?
Je pense que c’est une question de sonorités après. A l’heure d’aujourd’hui le rap français qui s’exporte à l’étranger, c’est souvent du rap vraiment ouvert au public, dansant, des choses qui à l’oreille font que ce soit un Français ou un Polonais, tu t’en fous, c’est le rythme qui compte. Le rap Marseillais peut ouvrir des portes, regarde un mec comme L’Algerino, il s’exporte déjà et une bonne partie de son public est au bled, ça tue quand tu réussis à atteindre ces objectifs là, un marseillais peut le faire !
Sinon sur ta musique, t’en es où ?
Je suis sur des clips, pas encore de projets même si j’en prépare un, il y a encore rien de concret. Souvent dans les morceaux, je parle de l’album, mais c’est pas encore prévu qu’il sorte. Bon, je le prépare depuis un petit moment, je mets des sons à droite, à gauche, certains qui sortent, d’autres non. Je suis encore en développement, faire grossir le buzz, me faire connaître partout, on a déjà une bonne base de fans qui nous suivent, faut juste l’élargir pour qu’un peu tout le monde m’écoute. Quand les yeux seront sur moi, je le sortirai à ce moment là. Pour l’instant, j’ai encore à prouver, c’est ce que je fais !
Hier on était avec Veazy…
C’est un bon Veazy, je le connais, on est du même secteur,, les Quartiers Sud. Après je suis un peu plus jeune que toute cette équipe, Veazy, Naps, tout ça mais je les ai cotoyé, j’étais un peu le petit jeune, comme YL. On était les petits, maintenant on a grandi et on est là.
T’es encore en contact avec eux ?
Ouais, je suis encore en contact avec les mecs de là bas, on se voit de temps en temps, c’est la famille. Par exemple, Kofs, je le vois régulièrement, c’est des gens que j’apprécie beaucoup.
Est-ce qu’il y a un style particulier aux Quartiers Sud ?
Je trouve, il y a même une école. C’est ce que je te disais tout à l’heure, Veazy, Naps et tout, on est tous de la même école, ça se ressent moins dans le rap parce qu’on a tous un délire différent, c’est pour ça que je parlerai pas de style, regarde YL a le sien, Jul aussi, j’ai le mien, mais dans l’écriture tu ressens beaucoup cette école, dans les mots employés, dans les expressions, mais c’est aussi le rap Marseillais. Il y a pas de « les Quartiers Nord rappent de cette façon, et le Sud d’une autre ».
Dans l’écriture, c’est moins frappant pour toi parce que tu kickes beaucoup, mais pour un mec comme Naps, même si c’est autotuné quand t’écoutes ce qu’il écrit, c’est exactement les mêmes thèmes.
Pour mon exemple, je fais aussi des ambiancés et j’écris de la même manière. Une fois, j’écrivais sur un morceau ambiancé, j’aimais pas le rendu, j’ai remis le texte sur une prod trap, c’était un de mes meilleurs morceaux, alors que le texte était destiné à être dansant. Cette écriture fait notre style, notre univers, dans tous les délires.
Sur les gens qui te suivent, tu penses que ton public est d’abord à Marseille en ce moment ?
C’est pas à Marseille que j’ai commencé à me faire connaître, c’est d’abord dans le Var, enfin dans tous les coins à proximité de Marseille : Salons, Vitrolles, le Var, le 84, le 04. Tous ces petits endroits ont commencé à me soutenir parce que j’étais un mec qui sortait de Marseille, qui allait dans les villages, les villes, pour rencontrer les gens. La vérité, c’est eux les premiers à m’avoir soutenu, avant même Marseille. Après, les gens de mon quartier, les collègues soutiennent depuis le début, mais dans la globalité ça commence à m’écouter à Marseille depuis 1 an ou 2 max. Marseille, c’est le plus dur niveau public, c’est dur de se faire accepter mais une fois que t’y es accepté, tu peux l’être dans toute la France. Je le dis pas dans le mauvaise sens, quand il y a un rappeur qui émerge, qu’on te dit que c’est le plus fort, la première réaction sera de le critiquer, pour certains.
La prochaine étape de ta carrière est de conquérir Marseille ?
Ouais, après ça prend, on commence à me reconnaître dans la rue, quand je sors, et les gens commencent à m’identifier comme un rappeur de la ville, de tel secteur, qui représente et ça fait plaisir, c’est la base d’être aimé et poussé par sa ville, c’est très important.
Tu suis le rap qui se fait aux alentours de Marseille ?
Ouais, il y a quelques mecs que je suis, on m’envoie pas mal de vidéos sur Facebook, je peux pas tous les regarder mais de temps en temps je les connais. Hooss, par exemple, on a déjà fait quelques morceaux ensemble, il y a aussi un rappeur que j’aime bien, en ce moment, c’est Unik de Toulon, c’est un très bon rappeur. Il y a pas que Marseille, t’as Nice, Toulon, Salons, Vitrolles…
Après Salons et Vitrolles, c’est collé à Marseille, donc si un rappeur de ces villes pète, on l’identifiera à un rappeur Marseillais.
C’est aussi ce qui fait la force du Sud dans un sens !
Tu taffes à quel studio ?
Chez L’Adjoint, à La Savine, à Marseille, je pose de temps en temps à Paris, au Blaxound Studio. Après, je reste pas dans un seul, studio, j’aime bien découvrir, voir comment ça se passe ailleurs, mais mon stuio de prédilection c’est La Savine. L’Adjoint, ça fait 6 ans que je bosse avec lui, qui m’enregistre, c’est l’ingénieur son qui me connaît et me correspond le mieux.
C’est quelqu’un qui semble avoir aidé et progressé beaucoup de rappeurs
Moi le premier, il m’a beaucoup apporté, je suis arrivé à La Savine, à 15 ou 16 ans, je connaissais le rap mais lui le connaissait mieux que moi, il m’a appris beaucoup de choses, il m’a fait travailler sur mon flow et mon écriture, il m’a fait voir le rap différemment, quand tu commences à rapper, il faut t’ouvrir, rencontrer des personnes, faut se lancer : partir dans les villes, taper aux portes, montrer ce que tu sais faire, prendre des sessions à droite, à gauche, faire des feats, c’est important, et quand tu es avec les bonnes personnes, tu peux progresser vite.
J’ai l’impression que ça s’est perdu ce truc de se déplacer dans les villes pour montrer ce que tu sais faire, mais ça semble important pour toi
Ouais, avec les réseaux sociaux, c’est plus la même chose, tu n’as plus besoin de te déplacer comme avant, de frapper aux portes, mais c’est surtout que j’aime bien montrer à mon public qu’on est pareils. Je me souviens, y a pas si longtemps, j’ai pris le train, sur un coup de tête, pour aller à Roubaix, je connaissais pas, à part un mec avec qui on parlait sur Facebook, par rapport au rap. Je suis resté 3 semaines au final, on a fait des sons, des clips, des radios et j’ai appris. C’est pour ça que c’est bien de partir, je suis un vagabond, j’habite partout, tu apprends beaucoup comme ça.
Pour toi, ce sera important de ramener des rappeurs Marseillais sur ton projet ?
Ouais, après par rapport au projet, ça fait peut-être cliché de dire ça, mais j’aimerais bien arriver tout seul, avec peut-être un feat et un deuxième avec les gars de mon équipe, mais c’est pas le plus important. Faut que je montre ce dont je suis capable. Tu peux pas faire de feat parce que le mec a son buzz. Pour en revenir à ta question, des morceaux avec des artistes marseillais, y en aura d’autres, je viens de sortir un clip avec Soso Maness et Kamikaz, par exemple. Quand on m’appelle, je réponds présent, et inversement. Quand j’ai contacté YL, à la base il m’avait dit « Frérot, viens on fait ce morceau », entre temps je me suis dit mon public aime bien ce que fait YL et faut faire une autre connexion, donc je l’ai appelé pour lui dire « Viens on le refait ».
En plus c’est un peu le même style que toi, ça doit te parler…
Dans l’écriture, c’est vrai, c’est quelqu’un qui fait attention à chaque mot et on le retrouve rarement maintenant. Je suis encore dans ce délire là, même s’il y a des sons plus légers niveau écriture. Ca fait plaisir d’avoir du rap comme ça, à Marseille.
T’as déjà été contacté par des maisons de disque ?
Je vais te dire la vérité, je calcule pas trop, j’ai pas eu de contact direct, j’ai eu des échos, et pour l’instant je vais me concentrer dans mes projets. Une fois que ce sera sorti, parce que je suis en co-production avec un label parisien, on écoutera ce qui est proposé. Si je commence à calculer, c’est peut-être comme ça que je serais déstabilisé. Je me suis engagé sur un projet, j’ai la tête dedans, dès que ce sera le moment, on peaufinera tout ça, sur la promo et on verra après.
Comment il s’appelle ton label ?
Juston Records, ça fait pas longtemps que je travaille avec eux, ça se passe bien. Même au niveau du visuel, ils m’ont aidé à progresser, le public a vu l’évolution depuis 2, 3 clips, parce que c’est moi qui payais tous les clips. On avait un peu de mal parce qu’il fallait sortir les clips, 2 par mois, les sessions studio, on faisait des t-shirts, on les faisait presser, on faisait un tas de choses mais c’est sûr que seul, on tirait le navire, on cherchait les idées pour avancer. Ca commence mais tu dois fournir un travail vraiment propre, c’est dur de gérer seul. Il y a des moments où on a voulu tout faire comme Jul, faire des instrus, des prods, des clips, mais ça prend la tête et je me suis dit il faut que j’arrive à franchir un pallier que j’arrive pas à atteindre seul. Quand tu as pas de gros moyens, tu as beau bien rapper, avoir ton public, passer le pallier, soit ça arrive avec des concepts ou des trucs qui frappent aux yeux. J’avais besoin de passer ce pallier, je faisais des sons de mieux en mieux mais je tournais en rond, avec Juston, ça m’a permis d’avancer et on aussi bossé avec Davinci Comm, un réalisateur du sud, visuellement ça m’a beaucoup apporté. Avant, sur la gestuelle, j’avais un peu de mal, devant la caméra, c’était pas trop et Davinci m’a beaucoup apporté, je suis beaucoup plus en confiance aujourd’hui. Le clip, c’est un art, je savais faire de la musique et je pensais que du moment que tu savais faire ça, tu peux arriver sur une scène ou derrière une caméra et chaque domaine est un travail, Comm m’a apporté cette sérénité, avant, je prenais beaucoup plus de plaisir à faire de la musique plutôt que de la vidéo, aujourd’hui j’apprécie beaucoup plus la vidéo, j’ai envie « Viens on fait ci, et ça », de moi-même j’ai des idées, c’est important comme je travaille avec les bonnes personnes, tu peux apprendre à bosser vite.
T’écoutes du rap US ?
Je suis pas trop Rap US, j’écoute 2, 3 trucs, ce que mes potos me font écouter, franchement j’aime bien Meek Mill, je suis pas trop Young Thug, Migos, tout ça, ça m’arriver d’écouter 2, 3 morceaux avec les collègues, je suis dans la voiture, je vais aimer mais j’écouterai pas ça tout seul. Après tu me dis Meek Mill, même Travis Scott, j’aime bien, il amène un truc nouveau. J’écoute beaucoup plus de rap français, tout ce qui sort.
T’écoutes quoi ?
Chaque album qui sort dans le rap, j’essaye de l’écouter même si j’ai pas le temps d’écouter les projets de tout le monde, j’aime beaucoup Niro sinon. C’est un des meilleurs rappeurs actuellement.
En plus, vous avez des similitudes dans le rap…
Je dirais même qu’il m’a inspiré, pourtant il est pas présent depuis super longtemps, je l’ai beaucoup écouté dans mon adolescence et de voir qu’aujourd’hui, il nique tout, il est aussi présent que ça, ça fait plaisir. J’aime bien des jeunes qui arrivent comme Ninho, il est chaud, Hornet la Frappe, aussi, c’est ce que j’écoute tous les jours, avec mes sons et ceux des potos.
En plus t’es obligé de tout suivre, ça fait partie du job.
Ouais et j’aime ça, certains aiment pas trop écouter mais j’en écoute tout le temps, toute la journée, j’écoute de la musique, en voiture, au Snack, je rentre chez moi, j’en fais donc je vais automatiquement en écouter. J’aime le rap français.