Véritable homme de l’ombre du rap marseillais, L’Adjoint est à l’origine de nombreux succès du rap français de ces dernières années après 10 ans de charbon dans l’ombre, ses réussites les plus notables étant ses multiples collaborations avec Fianso, desquelles ont découlé le tube Mon p’tit loup et les bangers Toka et Police nationale, entre autres. A côté de cela, L’Adjoint, qui aime se définir comme un compositeur, ingénieur du son et réalisateur, a également supervisé les ascensions de Jul, SCH, et YL. Retour sur une rencontre avec l’homme à tout faire du rap de la cité phocéenne.
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➡️ Le studio B.Vice, un lieu d’apprentissage du rap marseillais
Durant notre périple marseillais, chaque rappeur rencontré se sentait reconnaissant envers L’Adjoint, estimant que ce dernier les a tous faits progresser. Depuis 2006, cet homme multi-tâches a repris le studio B.Vice, situé à La Savine (au sommet des Quartiers Nord), dans lequel tout le rap marseillais est passé: des Psy4 de la rime à Kofs, en passant par l’Algerino et le Ghetto Phénomène… Le principe de ce studio est simple, n’importe qui peut venir, L’Adjoint reconnaît ne pas avoir de critères de sélection particuliers comme peuvent l’avoir d’autres studios marseillais. C’est la force de ce lieu de travail, qui n’hésite pas à faire progresser des jeunes rappeurs comme des confirmés.
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— Squale (@1Squale) August 26, 2017
La seconde force de ce studio est son ingénieur du son, qui assume également un rôle de réalisateur, à savoir chercher des mélodies, des structures de morceau, amener une vision d’ingénieur du son et pouvoir assister le rappeur sans pour autant assurer sa direction artistique contractuellement. L’homme à tout faire du studio B.Vice est un véritable passionné et souhaite s’impliquer au maximum sur chacune de ses collaborations. Preuve en est, certains rappeurs ont même déclaré que L’Adjoint allait dans la cabine, faisait un « yaourt », pour montrer comment avoir un meilleur couplet sur une prod. Peu d’ingénieurs du son effectuent ce travail et c’est ce qui fait la valeur ajoutée de cet homme de l’ombre, qui a également eu un passé de rappeur dans les années 90…
➡️ Le rap marseillais vu par l’un de ses meilleurs connaisseurs
« Marseille, c’est des cycles, j’en discutais avec Lino d’Arsenik, je le connais bien, il me disait le rap était à Marseille avant. On écoutait FF, IAM et tout, c’était lourd pour nous. Bon par la suite y a eu les Psy4 et les parisiens ont bien repris le flambeau et vous êtes beaucoup plus nombreux. Toutes les infrastructures sont là bas, donc ça va 10 fois plus vite. Je monte souvent à Paris, ça va à 2000 à l’heure, je reste une semaine, on dirait que j’ai fait 3 mois de travail à Marseille. »
« Après j’essaye de m’imposer cette rigueur que vous avez là haut. Depuis 2013, 2014 une vague du rap marseillais revient, ça s’est fait petit à petit, de toute façon ça s’est fait avec l’arrivée de Jul. D’un coup, on a des Naps, YL qui débarquent, des Soso Maness, beaucoup d’artistes commencent à remonter. Y a aussi SCH qui a fait un gros boom. Un exemple, je travaillais avec Lacrim, il était sur Marseille à un moment donné, c’est à ce moment là que ça a pété pour lui. Même Sofiane, son succès est parti de son clip qui a été tourné à La Castellane, ça lui a peut-être apporté de la fraicheur, donc à Marseille, il se passe quelque chose »
Jul est une question qui ne tarde jamais à ressurgir quand on parle de rap marseillais, et notamment la comparaison avec Le Rap Luciano… « Ce débat a souvent été fait, Jul à ses debuts, beaucoup disaient que ça ressemblait à du Luciano, musicalement ça n’a rien à voir mais ça se joue au niveau des sentiments, Jul touche les gens. Dans le parcours, les deux ont réussi à se faire écouter par toute la France, on ressent la même chose. Plusieurs collaborations ont été faites entre eux, ils s’entendent bien, ils enregistrent au même studio, ils se voient souvent, c’est bien, ça passe le relais. »
Bien entendu, nous n’avons pas pu ne pas évoquer le changement de style d’écriture entre ces deux générations aux antipodes. La régression lyricale a eu lieu au profit d’une musicalité accrue, et à l’image de la scène Marseillaise, un héritage ne s’est pas transmis d’une génération à l’autre.
« Je pense pas que ce soit un héritage qui ne s’est pas transmis, c’est plutôt que l’héritage a été découpé. SCH, bon pour lui, il a de l’écriture, même si c’est assez personnage, fictif, tout ça, je pense qu’il n’y a pas eu de transmission du style d’écriture. Même les jeunes, quand tu commences à aller trop loin dans l’écriture, tu vas trop loin pour eux, ils comprennent plus. A un moment donné, les jeunes ont besoin de fraicheur et d’instantané. »
L’Adjoint a une faculté d’analyse très poussée et développée, ce qui est logique puisqu’il cotoie des rappeurs de tout horizon à Marseille et travaille avec des rappeurs médiatisés à Paris. En fait, le monde du rap n’a aucun secret pour cet activiste du mouvement, passionné avant tout, et qui n’a pas perdu cet enthousisasme passionnant après 20 ans passés dans le rap, et des journées de travail allant de 10 à 17heures.
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➡️ Un engagement auprès des jeunes rappeurs qui se révèle payant
Comme évoqué précédemment, L’Adjoint met un point d’honneur à travailler avec n’importe quel artiste estimant que c’est un atout pour lui. En effet, les jeunes lui ramènent les nouvelles tendances et cela lui permet de se mettre à la page. Lui-même avoue que c’est dur de suivre la novueauté quand on a connu une époque où on a fumé le CD Si Dieu veut… de la Fonky Family pendant 3ans, tout en précisant que si on n’avait pas le CD en sa possession, c’était impossible de l’écouter, une époque qui peut paraître préhistorique pour les jeunes.
Néanmoins, L’Adjoint estime également qu’il est important que lui fasse ce travail de donner sa chance aux jeunes car d’autres studios marseillais ne le font pas, et même des personnes de l’industrie qui ont aidé à faire grimper certains artistes ne peuvent pas se concentrer sur des plus jeunes à partir du moment où leur(s) poulain(s) sont déjà implantés.
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En revanche il reste optimiste sur la suite du rap Marseillais et surtout de la réduction des différences entre les artistes phocéens et Parisiens, estimant qu’il y avait eu une prise de conscience. En effet, selon lui, les rappeurs marseillais se sont rendus compte qu’ils n’avaient rien à envier aux Parisiens, mais le gros problème réside dans la composition de leurs équipes qui n’ont pas la même expérience que celles de la capitale et le même savoir-faire. Beaucoup d’équipes marseillaises demandent des conseils à L’Adjoint afin de se lancer, montrant une fois de plus que rien ne se passe à Marseille sans le consulter.
➡️ Un regard vers les coulisses de l’industrie musicale marseillaise
Si on parle d’industrie musicale à Marseille, il semble impensable de ne pas évoquer La Cosca et l’empire que cela aurait pu être. Malgré tout, L’Adjoint juge qu’un artiste qui pète n’est pas obligé de prendre un artiste sous son aile, il peut avoir envie de tracer sa route. En soi, l’architecte du rap marseillais n’a pas tort mais dans ce cas précis pourquoi monter une structure ?
Le premier élément de réponse de L’Adjoint est que certains se sont rendus compte qu’ils n’étaient peut-être pas faits pour cela et qu’ils se sont rendus compte de la montage qui se dressait face à eux. Le second concerne le temps à accorder aux différents artistes de la structure. Troisième point : la mentalité. A Marseille, le buisness n’est pas autant ancré dans la tête qu’à Paris. La preuve avec L’Adjoint, qui bosse sur des projets de rappeurs de maison de disque mais continue à bosser avec des jeunes inconnus, avec moins d’argent à la clé. Toujours humble, L’Adjoint estime que c’est son côté humain et associatif qui provoque ce choix de mode de travail.
« Après c’est une force dans un sens et un gros défaut dans l’autre, c’est ce qui fait qu’on arrive pas à franchir des caps, et qu’on a connu un gros passage à vide. »
➡️ Avant tout, un homme profondément marseillais
Lorsque nous sommes arrivés à Marseille, nous avons rencontré L’Adjoint dès le premier jour, nous étions surpris d’entendre aussi peu d’accents marseillais mais l’homme à tout faire du studio de La Savine nous a rassurés.
S’il n’y avait pas eu internet et l’indépendant, je pense que ça aurait pas bougé, on serait toujours dans le passage à vide…
L’Adjoint avoue qu’il aurait pu monter à Paris pour développer à fond son buisness mais il est trop attaché à sa ville pour que cela se produise, jugeant également que ce n’est pas une vie pour lui de monter constamment là haut. Lui préfère le travail à distance bien qu’il soit obligé de monter de temps en temps sur la capitale, récemment c’était le cas avec le rappeur MRC. Toujours, selon ses dires, les rappeurs parisiens seraient plus mobiles et apprécieraient davantage descendre afin de s’imprégner de la tranquillité marseillaise.
Lorsqu’on évoque une hypothétique implantation d’une maison de disque à Marseille, L’Adjoint estime que ce n’est pas nécessaire car trop peu de personnes font la distinction entre le rap des scènes locales, pour la majorité du public, ils écoutent du rap français, fin. Pourtant, lui perçoit les singularités musicales de chaque quartier Marseillais et des villes à proximité…
« A Aubagne, y a un délire de rap, à Vitrolles y a un délire de rap, je le ressens, ils sont tous dans un univers. A Marseille, tu vas au centre ville, y a un délire de rap, tu vas dans les quartiers sud, c’est encore un autre truc, pareil pour les quartiers nord. A Aubagne, c’est plus les délires hip-hop, à Vitrolles, c’est un condensé de tout, crapuleux et conscient, déjà à quelques kilomètres, c’est pas la même chose alors à quelques villes… »
Bien entendu, nous évoquons que certains rappeurs parisiens ont été un temps vu comme des marseillais comme Lacrim, et que des rappeurs Marseillais étaient vu comme des rappeurs français plus que proprement marseillais, notamment SCH…
« Lacrim, on le considère un peu comme un marseillais. Limite, son personnage fait plus marseillais que parisien. Je t’ai dit, moi je travaillais avec lui pour les deux premiers albums. J’en garde une fierté, j’ai bossé avec Lacrim. C’est un bon gars, il m’avait prévenu. Il m’avait dit je vais tout niquer. C’est un mec super intelligent, il travaille comme un acharné… C’est bien d’avoir travaillé avec un mec comme ça, pourquoi pas retravailler avec lui plus tard. Je lui ai envoyé quelques prods, je te cache pas. Après, tu restes en bon contact, et ça me fait surtout plaisir pour lui parce que le mec a bossé. Ca va tellement vite que des fois ça fait bizarre de voir que des mecs avec qui tu travaillais sont en ligue des champions. C’est comme avec d’autres artistes, SCH et tout, de voir où ils en sont, ça fait plaisir. Ca montre que j’ai quand même contribué à quelque chose, même en restant dans l’ombre. »
➡️ L’Adjoint de Marseille face aux surproducteurs parisiens
L’Adjoint estime ne pas pouvoir être le pendant d’un Kore ou d’un Tefa bien qu’il ait envie d’avoir un rôle similaire aux leurs dans l’ascension d’un artiste, comme il peut actuellement le faire avec un YL ou un Kofs. En parlant de ce dernier, qui a eu un rôle important dans le film Chouf, L’Adjoint a également participé au projet, en réalisant la bande originale du film, en ramenant tous ses contacts marseillais. L’architecte d’un projet, une fois de plus.
Pendant des années l’inconvénient a été de structurer à Marseille, avec les difficultés que cela comporte mais il a semé quelques graines à droite à gauche (notamment avec les artistes suscités) et résultat ces mêmes graines se développent. Mais le frein principal est l’allure à laquelle va le rap marseillais, pour l’Adjoint, c’est beaucoup plus lent de se développer à Marseille.
➡️ Un regard critique sur son propre rôle d’ingénieur du son
Bien que L’Adjoint soit également compositeur et réalisateur, sa corde de métier principale est celle d’ingénieur du son. Selon lui, il a les capacités logistiques pour rivaliser avec les studios parisiens mais il estime que ce n’est pas ce qui fait la différence, quand on voit qu’un Jul est arrivé avec des mises à plat posées à l’arrache et que la majorité du public ne sait plus apprécier de la musique. Autre exemple, celui de Sofiane, l’Adjoint révèle lui envoyer des prods en mp3, le rappeur de Blanc-Mesnil ne se prend pas plus la tête que ça. Le travail d’un ingé son ne fait pas la différence dans un morceau pour l’Adjoint.
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« Je bosse avec des artistes différents, qui ont leur univers. Tu t’adaptes à leur univers, tu t’adaptes à leur délire, t’essayes de pousser le truc au maximum, mais tu leur apporte quoi ? 5%, 10% en plus, parce que le délire était déjà présent. Après, qu’il y ait moins de reverb, qu’elles soient moins jolies, ou que les voix sonnent un peu moins propres, pour moi c’est pas ce qui va changer la musique. Pour moi, tout ça c’est du luxe. C’est un gros travail, attention, il faut respecter ce travail là. Je suis ingénieur du son, donc je sais de quoi je parle, mais c’est quand même le délire de l’artiste qui compte. Si tu regardes les derniers artistes qui ont tout cassé, ils ont amené un délire, ils ont pas amené des mix, des reverbs, je sais pas quoi. A part aux Etats-Unis, où il y a un petit mélange. »
Soprano est une icône marseillaise et pour l’Adjoint, le membre des Psy4 a été un précurseur dans ce domaine. Concernant Jul qui est ouvert musicalement, ce n’est pas un chanteur pour l’ingénieur du son marseillais, et cela se ressent sur le poyrcentage d’autotune utilisé sur les morceaux…
« Je l’ai toujours dit, un rappeur c’est un chanteur complexé. Il rappe parce qu’il ne sait pas chanter, c’est tout. Maintenant, s’il savait chanter je pense pas qu’il rapperait. Il ferait des petits passages rap pour montrer qu’il est technique, mais en vrai, il chanterait tout le long, il se ferait kiffer. Parce qu’en vrai, à la base, c’est quoi la musique ? C’est le chant. »
Concernant l’autotune et son utilisation à outrance, cela avait décontenancé L’Adjoint, au début. En effet, c’est un correcteur de voix qui ne devait pas être entendu, à la base des bases, les ingénieurs du son se prenaient la tête pour que cela ne s’entende pas.
➡️ Un rôle d’architecte dans les coulisses du rap marseillais?
« Il y a énormément de gens qui contribuent au rap marseillais, je pourrai pas te dire que j’en suis l’architecte quand même, ça serait prétentieux. Et même pas que prétentieux, ça serait pas vrai. Il y a des artistes qui ont fait parler d’eux et j’ai jamais travaillé avec eux. Moi, je pense être une grosse pierre à l’édifice du rap marseillais, j’ai travaillé avec énormément de gens, et pas que marseillais aujourd’hui. Il commence à y avoir des parisiens, des mecs d’autres villes. »
A l’image de cette interview, certains réponses de l’Adjoint valent mieux que des longues explications de notre part au vu de sa lucidité, de son expérience et de sa vision unique.
➡️ Un avenir tourné vers la réalisation plus que le beatmaking?
Actuellement L’Adjoint est signé en édition chez Sony/ATV, qui essaye de le placer le plus possible. L’Adjoint réussit à se placer sur des artistes par le biais de ce contrat. Au-delà du beatmaking, des maisons de disque se rendent compte qu’il peut avoir un rôle plus large et qu’il peut également servir pour de la réalisation à cause du faible nombre de réalisateurs français. En fait L’Adjoint peut également faire des toplines (donc des textes), des mélodies. En revanche, il pense que d’autres vont arriver et que cela ne s’arrêtera plus au travail avec uniquement un artiste, forcément cela génère davantage d’argent de bosser avec plusieurs rappeurs. Concernant le beatmaking, et les revenus, cela en génère autant que l’artiste puisqu’ils sont les égaux des rappeurs, sur les contrats, même pourcentage dans la poche…
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« Le truc de réal, c’est un truc en plus. Tu fais des prods, t’en récupères ailleurs, et t’essayes de donner une couleur au truc. T’essayes de tester des choses avec l’artiste avec qui tu travailles. La plupart du temps, c’est l’artiste qui donne le truc, tout dépend de la façon de travailler, mais c’est ça un vrai réal. »
En attendant vous pourrez retrouver son tagg « Skenawin » sur les futurs projets de Sofiane, Samat, Bakyl, YL, Soso Maness, et bien d’autres artistes… Il a beau avoir 40 ans, les plus beaux jours de sa carrière sont devant lui !