Le 30 juin dernier sortait le premier album et premier projet de la carrière de Siboy intitulé Spécial, qui a aussi été pour le rappeur l’occasion de concrétiser sa place au sein du 92i après les sorties de Damso et Benash en 2017, et Damso et Shay en 2016. Dans l’attente des chiffres de ventes qui seront probablement décisifs pour la suite de sa carrière, revenons sur un album qui pourrait bien être le meilleur de l’année…
➡️ Une carrière atypique pour un rappeur pas ordinaire
Siboy est repéré en 2014 par le biais de clips réalisés par James Cam’Rhum, à commencer par Oyebi en juillet, puis la série de freestyles Kiubb à partir de septembre. En décembre, le rappeur sort Mirinda, qui connait un gros succès au vu de son exposition de l’époque. ce qui captive le public, c’est le côté brut de la musique qui se traduit par un flow saccadé, des gimmicks et une gestuelle désordonnés qui arrivent à conférer de l’intérêt à des mises en scènes encore basiques. En 2015, Siboy ouvre l’année avec Pas de maladresse, et le titre de ce son va être réutilisé comme gimmicks dans des sons ultérieurs, ce qui contribue à créer autour du rappeur de Mulhouse un univers musical cohérent (à la manière de Niska par exemple). Le rappeur sort alors une série de clips sur Daymolition, et le 9 avril Julien Creuzard annonce sa signature chez 92i. Fin 2015, Siboy est invité sur le morceau Zer, dans l’album de Booba Néro Némésis. Alors qu’il commençait à adopter un rythme très régulier, le rappeur prend une grande pause en 2016. Il en profite pour sortir le clip d’Eliminé, sur lequel on remarque un gros travail de mise en scène: Siboy cinématise son univers visuel exubérant. Il participe aussi dans le courant de l’année, de façon un peu inattendue, à la BO du film Divines. En 2017, il entame l’année avec Mula, son deuxième featuring avec Booba qui atteint les 5 millions des vues sans clip sur la chaîne YouTube de ce dernier. Il se concentre ensuite sur les extraits de son album et encore une fois fournit un travail de mise en scène impressionnant, Au Revoir Merci qui sort cinq mois plus tard, et Téléphone qui sort le 16 juin.
➡️ Un exercice d’équilibriste pour le rappeur cagoulé
Sinistre comme un cimetière noir comme l’habitacle de Lucifer
C’est une des premières phases de l’intro de Spécial, intitulée Bordel. Et elle résume aussi le problème majeur de Siboy. Arrivé en 2014 avec un style extrêmement sombre caractérisé par sa voix criée et gutturale, il n’a fait que développer son univers musical et visuel autour de ces caractéristiques. Du fait de l’exclusion du single Eliminé de la tracklist de l’album (certainement trop daté dans les sonorités), l’attente était générée par deux extraits clipés uniquement, à savoir Au Revoir Merci et Téléphone. Les deux extraits conservent les caractéristiques propres à Siboy, son flow crié et désordonné qui lui confère tout son intérêt. Pourtant, l’album recèle d’influences insoupçonnées, et ceux qui craignaient la saturation ont pu être agréablement surpris par l’équilibre soigneusement dosé entre des morceaux criés très trap et des morceaux plus doux aux influences cloud ou même, pour Mobali, afro. Rien d’étonnant au demeurant pour le rappeur né à Brazzaville pendant la guerre, et qui ne se prive pas de le rappeler dans certains textes: « Au Congo le Père Noël est mort depuis le début / Les cadeaux qui venaient par la cheminée c’était des obus ». Niveau écriture, Siboy détonne par sa capacité à faire transparaître des émotions à travers un vocabulaire très épuré, scandé parfois sans structure grammaticale. Ne cherchez pas un lyriciste, cherchez un artiste dont le mode d’expression a ses propres codes et ne peut pas vraiment être comparé. Sur le plan des extraits, Siboy joue a un jeu dangereux à l’époque où l’auditeur est abreuvé de clips, au risque d’être noyé dans la masse, avec l’avantage à la clef d’un effet de surprise à l’écoute de l’album. Pour marquer, Siboy compte sur son sens de l’image…
➡️ Siboy, ou l’art de frapper l’imagination du spectateur
Ce qui frappe chez Siboy, tant textuellement que vocalement, et qu’on retrouve aussi dans ses clips, c’est cette capacité à créer des moments clefs qui vont s’imprimer dans l’esprit de l’auditeur. On le remarque particulièrement dans le clip d’Eliminé où le rappeur joue lui même tous les rôles, avec le choc visuel créé par un plongeoir au-dessus d’une piscine vice, un majordome en cagoule, une fille de joie d’un âge très avancé, un tablier de cuisine couvert de sang, un plat contenant un poulpe cru… Ces images choc tout comme certaines phases choc (« Tuer sans la torture, je trouve c’est du gâchis »), ou comme certaines intonations font de Siboy un rappeur très visuel. La plupart de ses nouveaux clips traduisent un gros travail de mise en scène et de réalisation, et l’ensemble de sa production recèle d’un certain sens de l’à propos. Autres exemples donc recèle le clip d’Au Revoir Merci: les enfants cagoulés qui poussent une voiture à l’arrêt, la femme cagoulée allongée sur un matelas flottant au milieu d’une piscine, le barbier qui montre au rappeur l’arrière de sa cagoule avec un miroir, la machette plantée dans l’arbre. Le rappeur semble aussi avoir un rapport visuel à la nourriture pas si éloigné de celui de Biffty par exemple, comme on peut le remarquer avec le plan qui le montre en train de manger des ailes de poulet dans Au Revoir Merci ou dans celui du cuisinier dans Éliminé. Comble de l’image, l’album se clôture sur Au Revoir Merci: le dernier instant de l’album visuellement, c’est celui où Siboy disparaît sous l’eau à la fin du clip.
➡️ Siboy peut-il être considéré comme le nouveau Mala?
Le Siboy c'est le meilleur album d'un membre du 92i depuis Himalaya en 2009
— Genono (@Genono) July 3, 2017
Himalaya de Mala, sorti il y a maintenant 8 ans, et Spécial de Siboy ont en effet un certain nombre de caractéristiques communes au-delà des évidentes différences sur le plan musical. Mala comme Siboy peuvent être décrits comme des outsiders au sein du 92i, des rappeurs avec des personnalités très atypiques et une productivité en dents de scie. L’un comme l’autre sortent des projets aux sonorités plus qu’intéressantes, si ce n’est avant-gardistes, sans pour autant pouvoir prétendre à une portée commerciale extraordinaire du fait de leur aspect encore très brut, spontané et sombre. Un peu comme un Gucci Mane aux Etats-Unis qui a longtemps eu une influence énorme sur les artistes et une reconnaissance du public connaisseur sans pour autant prétendre à des ventes à la hauteur de cette renommée, Siboy et Mala vont peiner à s’exporter auprès du grand public. Contrairement aux autres recrues du 92i que sont Shay et Damso qui ont un gros potentiel en showcase pour la première et qui a su susciter un succès énorme avec Ipséité pour le second, Siboy ne peut pas vraiment se prévaloir d’un intérêt commercial à proprement parler, ce qui rend énigmatique la raison de sa signature par Booba. Alors que Benash, qui part aussi d’un style assez street, a su modeler son identité, guidé en cela par la direction artistique du 92i, Siboy a une identité musicale et visuelle trop fortes pour les transformer à ce point. Pourtant, comme on a pu le constater, le rappeur cagoulé a fourni un effort de diversification musicale dans la composition de son album en adoptant des influences cloud et en fournissant un son grand public avec le collectif 92i. Si l’effort se poursuit par la suite sans pour autant que le rappeur ne perde ou n’abandonne son univers, peut-être qu’il parviendrait à développer un certain potentiel commercial?