La ville historiquement ouvrière de Saint-Etienne n’offre que peu de terreau propice à l’émergence de rappeurs, même à l’époque d’internet. Toutefois, alors que la concurrence de Lyon est rude, un homme a réussi à fendre la brume de cette ville : Zed Yun Pavarotti. Son spleen ravageur et sa musique lancinante, matérialisés dans son premier projet Grand Zéro, ont conquis les cœurs des spécialistes du rap. Après avoir pris le temps de laisser se propager ses ondes mélancoliques, il est revenu le vendredi 17 mai avec un deuxième projet plus long et bien plus dense dans lequel l’amour est un roi déchu au royaume de l’expérimentation.
REVRSE : Tu t’appelles Zed Yun Pavarotti. C’est un nom de scène plutôt atypique qui te vient notamment de Luciano Pavarotti, le ténor italien. Tu peux nous expliquer ton attrait pour lui ?
Zed Yun Pavarotti : J’ai été choqué par ses talents d’interprète. C’était un des plus grands interprètes du monde. Il symbolisait le fait de s’abandonner à sa musique. C’est fascinant de voir quelqu’un aussi possédé par ce qu’il fait. En plus, je suis très fan de son personnage et de son histoire.
RVRSE : Tu écoutes donc pas mal d’opéra ou alors Luciano Pavarotti est la seule exception ?
Zed Yun Pavarotti : J’écoute de la musique classique. Pas forcément de l’opéra mais pal mal de musique symphonique.
RVRSE : Tes premiers contacts avec la musique se sont faits avec le métal. Qu’est-ce qui passait par tes oreilles à ce moment-là ?
Zed Yun Pavarotti : J’écoutais un peu de tout. System Of A Down, c’est le premier truc sur lequel j’ai vraiment accroché, là où j’ai pris le temps de bien écouter les albums. Je me suis aussi pris des groupes comme Rage Against The Machine ou encore Limp Bizkit sur la fin.
REVRSE : Pour le coup, ce sont des groupes où ça rappe pas mal.
Zed Yun Pavarotti : Oui ! Au final, je me suis rendu compte que j’écoutais pas mal de trucs comme Korn, où ça rappait, puis je suis tombé sur Eminem. Je l’ai connu grâce à son film : je connaissais le nom mais je n’avais jamais écouté vraiment. J’étais vraiment petit : je te parle de ça, je devais avoir 12 ans… J’ai adoré le film (8 Mile, ndlr), je le regardais souvent et c’est après que j’ai compris que c’était un biopic sur un rappeur, que c’était lui qui jouait. Du coup je me suis mis à l’écouter.
REVRSE : 8 Mile est un film qui a marqué toute une génération.
Zed Yun Pavarotti : Je pense que c’est la première réussite au cinéma dans les biopics sur le rap. En tout cas, c’est le premier que je trouve bien fait. Après t’en as d’autres qui sont plus mis en scène en mode « gangster » et tout. Ça m’avait bien fasciné. C’est une nouvelle esthétique en fait. C’est grave bien fait. Sur la vie à Détroit, c’est pas exagéré.
REVRSE : Est-ce que c’est Eminem qui t’a donné envie de passer derrière le micro ?
Zed Yun Pavarotti : Non, après je me suis mis à écouter pas mal de rap. Le rap français, c’est arrivé plus tard avec Booba. J’écoutais plutôt pas mal de ricains genre 50 Cent, Snoop Dogg, je me suis fait des classiques. Un jour, j’ai voulu délirer et écrire un truc à une époque où j’étais grave dans le rap, je n’écoutais plus que ça. C’était pour rigoler, c’était une blague… Une blague qui change une vie.
REVRSE : A la base, tu viens de Saint-Etienne. Ça n’a pas été trop dur de se faire un nom ?
Zed Yun Pavarotti : Bah j’étais tout seul. J’ai quand-même eu un petit collectif qui m’a permis de retrouver espoir. J’étais trop tout seul, je me disais que ça n’allait jamais marcher. Si je ne les avais pas rencontrés, si je n’étais pas rentré dans un truc convivial, j’aurais peut-être arrêté.
REVRSE : Est-ce que la proximité avec Lyon, une ville autrement plus grande, nuit au développement des artistes de Saint-Etienne ?
Zed Yun Pavarotti : Je ne vais pas te mentir : il n’y a pas de scène à Sainté. C’est pas très intéressant ce qu’il s’y passe… Par contre, s’il y avait des mecs grave forts à Sainté, il s’en sortiraient ou ils iraient à Lyon. Après je trouve ça dommage que ce soit autant coupé. On pourrait un peu plus s’unir… Je n’ai aucun contact avec les mecs de Lyon alors qu’on vient du même endroit. Limite on pourrait se donner de la force.
REVRSE : Après le succès d’estime que tu as rencontré avec Grand Zéro, ton premier projet, on parlait pas mal de toi dans le milieu du rap. Le vendredi 17 mai, tu as sorti French Cash, une confirmation plus qu’une simple carte de visite. Comment tu as pensé ce disque ?
Zed Yun Pavarotti : La suite logique des choses c’était forcément de refaire un projet. A la base, je voulais faire un album avec moins de titres et des morceaux plus forts. Au final, j’étais pas dans la configuration pour faire cet album court : j’ai rencontré plein de gens, j’ai eu envie de tester de nouveaux genres donc je me suis dit ‘fais une tape la plus riche possible qui montre le plus largement ce que tu aimerais faire et ce que tu es capable de faire’. Je l’ai pensé comme ça du coup, comme une espèce de marché. Je ne le vois pas tant comme un objet mais plus comme des infos : ce que je fais, ce que j’aime.
REVRSE : Pourquoi avoir appelé ce projet French Cash ?
Zed Yun Pavarotti : Ce titre, je l’avais en tête avant même Grand Zéro. Je savais que je ferai un projet qui s’appelle comme ça. En vrai on fait ça pour l’argent, pour s’en sortir. Je transforme ma vie comme ça. C’est l’argent français.
REVRSE : Il est sorti le 17 mai dernier. Quels ont été les premiers retours ?
Zed Yun Pavarotti : Je suis super content ! French Cash a été bien accueilli, en sachant que c’est pas du tout la même énergie que Grand Zéro, ça n’a rien à voir. J’avais un peu peur de ça mais en fait tant mieux, les gens ont compris que ma musique allait de surprise en surprise.
REVRSE : Dans ta discographie, ce sont les mélodies qui priment. Comment arrives-tu à être toujours créatif ? Tu t’entoures de topliners ?
Zed Yun Pavarotti : Je ne bosserai jamais avec un topliner de ma vie. Je suis entouré de plein de mecs qui font ça mais pour moi… Si je ne fais pas la, mélodie, je fais quoi ? Ok j’écris, mais dans ce cas je fais des livres, tu vois ce que je veux dire ? Là je suis dans la musique donc je suis là pour créer de la musique. Je pense que l’intention passe d’abord par ce que tu entends sans comprendre : quand on écoute de la musique américaine, on ne comprend pas forcément les paroles et pourtant on cerne les morceaux. La mélodie, c’est la donnée première autour de laquelle on élabore avec l’écriture. Jamais je ne déléguerai mes toplines. Au contraire, j’essaie de m’investir de plus en plus dans la composition des beats.
REVRSE : C’est donc à travers la création de mélodies que tu t’appropries un titre.
Zed Yun Pavarotti : Ouais, exactement. En fait c’est ce qui permet de me guider. Je bosse souvent en direct avec Osha. Il commence un truc, moi en parallèle j’écris, je pense la moitié du morceau dès que j’ai trouvé ma lead. Quand je la tiens, je sais ce que je vais devoir dire. Tu ne dis pas la même chose sur un truc très découpé et sur un truc très allongé.
REVRSE : Tu as parlé d’écritures. La tienne consiste surtout à semer des bribes de toi plutôt que de concevoir des textes entiers.
Zed Yun Pavarotti : Maintenant j’essaie d’écrire des chansons comme sur Monstre, mon morceau le plus écrit à ce jour. Je prends du plaisir à faire ça. Je suis peut-être arrivé au bout de ce truc de semer des bribes, de délivrer des textes un peu décousus. Aujourd’hui, j’ai envie de me professionnaliser, de savoir écrire des chansons.
REVRSE : En même temps, cette particularité de ton écriture renforce ton personnage assez cryptique et mystérieux.
Zed Yun Pavarotti : Ouais carrément. Ce que j’ai fait sur Monstre c’est mon maximum, je ne pourrai pas faire un truc plus narratif. Dans ce titre, on reste quand-même dans un truc d’images mais c’est plus condensé, ça fait un truc plus pur. L’intention est plus marquée, c’est ce qui m’intéresse.
REVRSE : Quand tu parles de textes, tu les grattes ou alors tu pratiques l’écriture automatique à l’instar de Gucci Mane par exemple ?
Zed Yun Pavarotti : Ça dépend des morceaux. Généralement c’est sur le moment, j’écris souvent en cabine. Si ça s’y prête plus, je vais écrire en m’isolant dans le studio avec la prod. En tout cas, il faut que ça aille vite : je mets 45 minutes maximum pour composer un titre. Toutefois, maintenant j’écris un peu tout, j’essaie de reconstruire là tu vous par exemple je peux faire dix toplines différentes avec dix bouts de texte, je sélectionne les rendus que j’aime bien et je les finis en cabine.
REVRSE : Au-delà des couleurs musicales, French Cash est marqué par l’amour. Tu en parles beaucoup plus que précédemment. Pourquoi tu es arrivé avec ce thème aussi prégnant ?
Zed Yun Pavarotti : Parce que les circonstances s’y prêtaient. C’est ce qui était au centre de ma vie pendant un temps… Du coup j’ai eu besoin d’en parlais. C’est ce qui m’animait, j’avais besoin d’en parler.
REVRSE : Ça t’a aidé de faire ce disque ?
Zed Yun Pavarotti : Je ne pense pas… ça y a mis un terme plutôt.
REVRSE : Tu as pas mal expérimenté sur ton dernier disque. Je pense à des morceaux comme Coquillage ou Apocalypse aux sonorités house qui sont très dansants. Comment ça t’est venu ?
Zed Yun Pavarotti : Je n’avais jamais essayé… Bizarrement, ce n’est pas un truc que j’écoute beaucoup mais j’avoue que ça m’attire. Je trouve que c’est une musique intéressante sur laquelle on n’a que rarement apposé des paroles. Il y avait un peu un défi d’arriver à faire des morceaux un peu électro, un peu underground avec des paroles dessus. On a essayé, ça m’a emballé de ouf et du coup j’ai voulu les mettre dans le projet. Je risque d’en refaire. Je trouve que le rythme binaire ça laisse énormément de libertés. Avec les mélodies, c’est plus instinctif.
REVRSE : Outre tes aventures électroniques, tu as signé plusieurs morceaux trap comme Boomerang ou encore O’malley. Tu voulais prouver quelque chose ?
Zed Yun Pavarotti : C’est ce que j’écoute principalement. Quand j’écoute du rap je mets du Smokepurpp. L’année dernière j’ai eu une grosse période durant laquelle j’écoutais le Smokepurpp x Murda Beatz (Bless Yo Trap, ndlr) ou encore Lil Pump. C’est ce que je kiffe, c’est ce que j’aime faire. J’aimerais bien arriver à faire des EP surprise de 5/6 titres de trap que je balancerais comme ça. Peut-être des projets en collaboration avec d’autres mecs, à la ricaine.
REVRSE : Est-ce que tu penses qu’en France, le public est capable de suivre un rythme de sorties comme celui-là ?
Zed Yun Pavarotti : Si tu fais des EP ou des projets de dix titres en collaboration avec un rappeur, en vrai si tu cherches pas à faire des ventes ça sera bien accueilli. Même si tu fais 700 ventes, tu t’en fous en vrai. T’as sorti ton truc, tu t’es fait plaisir. A côté, quand tu sors un album, tu fais les choses bien, tu fais ta promo. Mais c’est bien d’instaurer un climat de surprise comme ça. La musique peut être spontanée : tu peux te poser en studio avec ton pote pendant deux mois, vous avez pondu dix morceaux, vous les sortez juste comme ça. J’aime bien cette liberté.
REVRSE : Dans ta musique, tu t’efforces d’évoluer dans un milieu très torturé et lancinant. Pourquoi t’infliger tout ce mal ?
Zed Yun Pavarotti : (Rires). Les musiques joyeuses ne me parlent pas de ouf… J’en ai que je n’ai pas mis dans le projet. Parfois c’est l’euphorie donc je fais des trucs joyeux mais le lendemain ça ne me parle pas, ça ne colle pas à ce que je suis. Puis c’est un choix réfléchi, j’essaie d’être cohérent : si demain je fais un tube style soirée ça ne collera pas à ce que je fais. Il faudrait trouver un truc intermédiaire.
REVRSE : Aujourd’hui c’est possible de faire danser avec des morceaux pas pensés pour. Je pense notamment à Mask Off de Future ou encore XO Tour Llif3 de Lil Uzi Vert.
Zed Yun Pavarotti : Ouais de ouf ! C’est plus vers ce genre de trucs que je pourrai me diriger. Par contre, Khapta de Heuss L’enfoiré je ne pourrai pas faire ça, c’est pas possible, c’est trop joyeux pour moi. J’écoute, je trouve que ça tue mais je ne pourrai pas faire ça. De la même manière, tout ce courant de tubes ricains joyeux genre Lil Skies, c’est pas mon truc.
REVRSE : Tu as parlé d’influences avec Smokepurpp, la première qui me vient à l’esprit quand j’écoute ta musique c’est Yung Lean.
Zed Yun Pavarotti : Je pense que c’est son degré de liberté, c’est son histoire… Le fait qu’il soit suédois, c’est pensé différemment, c’est hyper texturé… C’est une espèce de nouveau groove. C’est de la musique blanche de ouf, t’as zéro influence, c’est le dieu de ce truc là, c’est complètement déconstruit c’est incroyable. Ce qui m’a surpris c’est que le premier truc que j’ai écouté de lui – c’était au hasard sur YouTube – j’ai pas compris, j’ai pas aimé mais je l’ai écouté dix fois. Il y avait un truc bizarre. Je me suis forcé de ouf en vrai et à un moment donné j’ai compris et c’était fini.
REVRSE : C’est quoi ton projet préféré de lui ?
Zed Yun Pavarotti : Je pense que c’est Stranger. C’est probablement Warlord que j’ai le plus écouté mais en terme d’élaboration, je prends Stranger. En terme de direction artistique je pense que personne ne fait des trucs aussi poussés. Ça pourrait être un film ! Puis même au niveau du mix… c’est comme un album de Pink Floyd. C’est incroyable. J’ai hâte de voir ce qu’il va faire après : l’autre fois il a dit qu’il était en train de faire sa meilleure musique.
REVRSE : Tu écoutes un peu ses potes genre Bladee ?
Zed Yun Pavarotti : J’avoue que non. Ça peut être top facile de faire du Yung Lean. Sauf qu’il faut être Yung Lean pour faire du Yung Lean. Il n’y a que lui pour le faire, c’est tout. C’est un courant qui est simple parce qu’en fait, si tu sais pas rapper, tu te mets sur des trucs saturés. Sauf que c’est bien plus complexe que ça. On le voit maintenant parce qu’au final ce mec il a amené l’esthétique glitch, numérique et un peu cheap qui est encore beaucoup exploitée en France sauf que ça a été un passage qui est fini depuis longtemps. Aujourd’hui il est dans une phase cinématographique avec des trucs très réalisés, limite courts-métrages et de plus en plus instrumental. Il mute. Il se dit que c’est un artiste, qu’il va falloir qu’il se mette en danger, qu’il tente des choses. Yung Lean à l’ancienne ça arrivera plus jamais.
REVRSE : De la même manière, j’ai l’impression que la période expérimentale de Chief Keef – matérialisée entre autres par la mixtape Back From The Dead 2 – t’a influencé.
Zed Yun Pavarotti : Pour le coup, c’est plus Gucci Mane qui m’a détruit le cerveau. Mais c’est un autre type d’influence… Quand tu vas aux entraînements de foot, tu t’entraînes à marquer des buts sans jamais les mettre de la même manière en match. Là c’est pareil. Moi je pense que Gucci Mane a changé ma musique mais par contre je ne fais rien qui ressemble à Gucci Mane. Ça s’est plutôt passé au niveau de ma perception de la musique. Yung Lean c’est pareil, même si j’ai été fortement influencé par ses prods. Sur Grand Zéro, il y a beaucoup de trucs empruntés à lui. Par exemple, sur mon titre Le Matin je commence en disant « Ok glock sur les genoux » et c’est la traduction d’un back de Red Bottom Sky. Aujourd’hui, je me détache de tout ça.
REVRSE : Aujourd’hui, qui écoutes-tu ? Trippie Redd ?