Depuis plusieurs années, Vin’s écume le rap indépendant. C’est biberonné au rap des années 2000 que le rappeur tout droit venu de Montpellier se lance à corps perdu dans le rap aux côtés du Waza Crew. De ses multiples activités résultera un premier projet en 2014, Free Son, qui fait état d’un style très écrit à l’habillage musical volontairement old school. Après cette première étape, il croise le chemin du label Capitol France (Universal) qui le signe. Grâce à des moyens nouveaux, Vin’s accélère ses productions et rattrape le temps perdu avec un EP sorti l’année dernière, 00h92. Pour son tout premier album studio sorti le 24 mai, SOPHIA, le sudiste a concocté à ses fans un projet scindé en deux dans lequel il expose ses démons pour mieux les expier. Interview exclusive avec Vin’s, l’homme qui s’exorcise par le biais de la musique.
REVRSE : On se parle alors que l’album est déjà disponible partout. Quels ont été les premiers retours ?
Vin’s : Je suis très content, ils sont très positifs. Ceux qui me suivent de près ont été très contents — et ce en sachant que ma musique a évolué distinctement. Je savais que ça pouvait ne pas plaire mais mon public a très bien réagi, il a capté le délire. Il y a beaucoup de souci du détail et les gens l’ont ressenti.
REVRSE : Comment tu travailles maintenant que tu n’es plus indépendant ?
Vin’s : Déjà, je suis assez indépendant dans ma façon de procéder. Je bosse les morceaux comme avant, à la différence que l’on s’est bien plus pris la tête. Toutefois, ce n’est pas dû à Universal mais à notre volonté de faire toujours mieux. Après, ce que je peux te dire, c’est qu’il y a des moyens mis à notre disposition : j’ai pu avoir du matos, enregistrer dans des conditions optimales, j’ai pu travailler avec des grands noms de la musique comme Kore, Fifou… J’ai également pu me permettre de faire des clips de bonne qualité dans des super lieux ce qui n’aurait probablement pas été possible en indépendant. De la même manière, quand je vois mon CD à la Fnac ou chez Cultura, je me demande si ça aurait été possible si j’étais resté indépendant…
REVRSE : Cet album marque donc une nouvelle étape dans ta carrière ?
Vin’s : C’est une suite logique et une nouvelle étape. C’est une suite logique dans le sens où je me devais de passer au format album après ce que j’ai produit avant. En même temps, c’est une nouvelle étape parce que ce disque m’a permis et va me permettre de me faire plus connaître du grand public.
REVRSE : La pochette de ton album est assez complexe. Elle semble mettre en scène tes démons d’un côté et ce qui te retient vers le droit chemin de l’autre. Peux-tu nous aider à la décrypter ?
Vin’s : Je ne vais pas tout dire : on a pensé cette pochette comme un tableau et je pense que c’est bien de laisser une part d’interprétation. Par exemple, Jul n’a pas clippé Tchikita parce que tout le monde s’imagine sa tchikita. S’il lui avait mis un visage, personne n’aurait pu se l’approprier de la sorte. Je veux laisser aux gens le plaisir de s’approprier ma pochette. Ce que je peux te dire, c’est qu’il y a des choses significatives. Déjà, la chouette qui représente la sagesse, qui est le nom de l’album. Effectivement, elle est composée de deux parties : il y a ces choses négatives à ma gauche alors que le fait que je me regarde dans un miroir témoigne du caractère introspectif de l’album. La nymphe, quant à elle, peut représenter la sagesse tout comme le chant des sirènes… Je pourrais te dire plein de choses mais je préfère m’arrêter là ! (rires)
REVRSE : La pochette ne ment pas sur le produit : ton album est empreint d’une vraie dualité. L’interlude matérialise un basculement vers la lumière alors que dans ton disque, tu abordes les cinq étapes du deuil.
Vin’s : C’est exactement ça ! Que ce soit un deuil amoureux ou un deuil réel, tu passes forcément par le déni, la colère, la haine, la tristesse. Ce processus, c’est ce qu’on appelle l’acceptation. Le truc le plus complexe chez l’être humain, c’est de s’accepter soi-même, d’accepter son environnement. L’album parle exactement de ça. Au début, je suis dans l’egotrip, en mode ‘je vous déteste tous’ alors que la dernière phrase du disque c’est ‘si t’aimes pas les gens c’est que tu ne t’aimes pas non plus’. Durant le début de l’album, je pose des bases et toute la deuxième partie répond à la première. Je réponds à moi-même, en quelque sorte.
REVRSE : Est-ce que cet album traduit ton état d’esprit à un moment donné ?
Vin’s : Complètement. J’ai été là-dedans et ça m’arrive encore de l’être. Tu n’es jamais totalement heureux. Parfois, tu peux retomber dans des choses plus sombres : l’humain est cyclique. Tu peux revenir à ma piste 4 et être dégoûté de la vie et juste après tu reviens dans la sagesse. En tout cas, il y a toujours ce processus d’acceptation, de voir la vie autrement qu’à travers l’idée que tu t’en étais faite.
REVRSE : Le fait d’avoir délaissé le négatif derrière toi dans SOPHIA implique que la suite de ta discographie sera d’une teneur plus douce ?
Vin’s : C’est la question que je me suis posée ! Je me suis demandé si c’était le message inconscient de mon album. D’un autre côté, embrasser sophia ne veut pas dire que tu ne peux pas retomber. Je recherche l’apaisement sans toutefois garantir que je pourrai le conserver éternellement.
REVRSE : Ton album semble être drapé de beaucoup de complexité. Tu n’as pas peur d’être incompris par une part du public rap ?
Vin’s : C’est comme ça que je vois mon art. J’ai le souci du détail : quand je vois que quelqu’un s’est cassé la tête sur les détails, ça me parle. Je n’ai pas spécialement envie de m’adapter et de faire des trucs faciles parce que c’est ce qui marche en ce moment. Au contraire, je pense qu’il ne faut pas tomber dans ce truc là. C’est pour ça qu’on a fait une série de freestyles : une semaine avant la sortie d’un clip, on balançait un freestyle qui portait le nom du single qui arrivait sans les voyelles. Avec ça, on a commencé à éduquer le public à ma musique : si avec certains, tu peux mettre ton cerveau sur pause – et ça tue de faire ça de temps en temps -, ce ne sera pas le cas avec moi.
REVRSE : Cette complexité que tu chéris tant se retrouve également dans ton écriture très dense. Quelle est ta routine d’écriture ?
Vin’s : Moi, de l’intérieur, je vais te dire que je ne gratte pas tant que ça alors que j’ai passé des journées entières à écrire. Quand je bosse pendant quatre heures et que je ponds deux mesures, je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup écrit. Je me prends la tête, c’est sûr : pour moi, un mot ne veut pas dire un autre mot. Je m’impose un cahier des charges tellement complexe que parfois, je me retrouve dans des impasses et je suis obligé d’abandonner une rime. De temps en temps, ça sort tout seul, je m’autorise à être instinctif. Pour me mettre à écrire, j’aime écouter des prods nouvelles. Du coup, je cherche des type beats sur YouTube et dès que l’un d’entre eux m’inspire, je gratte. Si je ne poserai jamais sur ces prods, elles me permettent de produire de la matière et des idées que je retravaille plus tard.
REVRSE : Qu’est-ce qui t’a donné ce goût si prononcé pour l’écriture ?
Vin’s : Le rap tout simplement. C’est Sinik, les Psy 4 de la rime, Soprano… Le côté alternatif du rap me plaisait beaucoup. A une époque, je ne me reconnaissais pas dans la société : l’école c’était de la merde, j’étais rejeté par l’éducation nationale, c’était l’échec. Dans le rap, j’ai trouvé des gens qui me comprenaient. Mes parents me poussaient à faire de grandes études, personne n’avait un autre discours. A l’époque, quand j’écoute des mecs tout envoyer en l’air, ça m’a parlé ! Dès mes 12 ans, j’ai commencé à écrire aussi, j’avais plein de trucs à dire.
REVRSE : Les sonorités de ton album sont bien plus modernes que ce que tu as pu proposer par le passé. Comment tu t’y es pris pour actualiser ton son ?
Vin’s : Le old school m’a vraiment soûlé. Alors bien évidemment, il y a des prods intemporelles : un bon kick de batterie, un piano bien inspiré et tu peux faire quelque chose de très cool. Tu prends Les Pleurs du mal de Dinos, ça fonctionne en 2018. Par contre, le reste, je n’en pouvais plus alors j’ai décidé de passer à autre chose. Les gens m’ont connu avec Free Son avec des prods à l’ancienne mais ceux qui ont écouté ma musique encore avant savent que je n’ai jamais été bloqué dans ce truc. J’ai déjà posé sur de la techno à 16 piges ! Pour SOPHIA, le truc c’était de rencontrer de nouveaux producteurs et Kore nous a bien aidés là-dessus. Il m’a aussi donné des techniques de travail. Par exemple, les toplines, c’est quelque chose qu’on faisait très peu avant. Maintenant, comme mon méthodologie a évolué, mon style a évolué aussi.
REVRSE : Tu viens de Montpellier à l’instar de Joke (maintenant Ateyaba). C’est une inspiration pour toi ?
Vin’s : Je dirais que ce qui est inspirant chez Joke, c’est ce côté avant-gardiste. Il a lancé des choses quatre ans avant que d’autres mecs ne les fassent. Là où il m’a inspiré, c’est dans son style très décomplexé. Il a montré un style comme personne ne l’avait fait. C’est inspirant de voir un mec aller au bout de son idée au risque d’être incompris. Sois toi-même du début à la fin, pour moi c’est ça Joke.
REVRSE : Derrière vous deux, une scène se développerait-elle à Montpellier ?
Vin’s : Je sens qu’il y a des trucs qui se développent. Ca prend du temps parce que c’est difficile d’être entendu quand tu es de Montpellier : il y a moins de médias, moins de moyens… Mais je pense que c’est aux gens de chez nous de transmettre leur lumière sur la ville. Il n’y a pas que nous deux du côté de MTP : il y a Demi Portion qui est de Sète, il y a Lacraps. A l’avenir, j’aimerais pouvoir créer des trucs chez moi afin de contrebalancer le monopole de Paris.