Une dimension esthétique toujours travaillée dans les moindres détails, une musicalité à cheval entre rap, soul et r&b assortie d’un zeste rock : la recette d’Usky semble avoir fait ses preuves ces derniers mois avec à la clé Saison 3, un nouvel projet phare de sa carrière qui a collecté des millions de vues et d’écoutes. Le rappeur parisien s’est confié sur sa démarche artistique, sa recherche quasi-obsessionnelle de la perfection et son amour pour la liberté de création. Sur bien des aspects de sa carrière, il se définit par une identité et des choix affirmés mais prudents, avec comme ambition une carrière durable et soigneusement construite plutôt qu’un passage éclair sous les projecteurs… Usky se livre dans une interview exclusive sur ses choix de carrière, son rapport aux cultures urbaines et au rock et sa stratégie pour l’avenir…
REVRSE : Avant toute chose, j’aurais aimé revenir sur tes premiers pas dans la musique et savoir comment tu avais débuté ?
Usky : J’ai commencé en groupe, on était une dizaine, on faisait des freestyles comme dans les débuts de beaucoup d’entités. On était clairement dans le kickage à cette époque et ça ne se ressent plus forcément dans ma musique aujourd’hui. De dix, on est passés à six, puis à trois, puis à deux et sur l’ensemble de ces personnes, je suis le seul à encore faire du son. Quand on a tous commencé, j’avais déjà des facilités, notamment sur la technique et la mélodie, et même au sein du groupe, c’est moi qui chapeautais un peu le tout. J’avais trop d’énergie comparé aux autres, donc cela a limite créé des embrouilles à certains moments.
REVRSE : J’imagine que t’étais également un gros auditeur de rap, qu’est-ce qui te berçait à cette époque ?
Usky : J’ai commencé le rap via mon père, c’était un grand fan de NTM, puis ensuite j’ai écouté l’album Les Princes de la Ville du 113, c’était super chaud en termes de productions. Il y a eu Tandem aussi, Nessbeal, Booba, qui marque encore aujourd’hui. J’ai écouté tous ces trucs et je les ai assimilés.
REVRSE : Pour en revenir à ton parcours, sur tes premiers pas en solo, j’imagine que tu as dû connaître de nombreux soucis à l’instar de tous les artistes débutants…
Usky : Je m’en rappelle, une fois j’étais en studio à Montreuil, et il y avait un mec là-bas qui s’appelait Joe Mike et bossait déjà avec Booba, Kalash, et plein d’autres mecs. Je le voyais là-bas et directement je voulais travailler avec lui, il m’a filé deux, trois productions et finalement il s’est retrouvé à faire toute la réalisation de mon projet Mojo, sorti en 2016. A la base, je devais me casser après ce projet, et vivre aux Etats-Unis, j’en avais marre de pas mal de choses, et trois ans plus tard, je suis encore là. J’étais totalement en indépendant à cette époque, j’ai fait ce projet moi-même, je l’ai payé de ma poche mais au moment de sa sortie je l’ai revendu à une maison de disque.
REVRSE : Et par la suite t’as rejoint une maison de disque.
Usky : Pendant un an et demi, en 2016, j’étais chez Elektra, j’avais signé à peu près en même temps que 13 Block. A la fin le mec qui m’avait signé s’est barré, on a sorti un EP, puis on s’est arrêtés là.
REVRSE : Finalement tu te confortais dans l’indépendance ?
Usky : Pour être honnête, si cela s’était bien passé en maison de disques, j’y serais sûrement resté. Il y a quand même une certaine forme de confort, mais uniquement sur l’aspect financier. A mon sens, le top reste d’être indépendant, faire ce que tu veux, et t’éclater sans rendre de compte à personne. Mon projet Outsider pourrait être être considéré comme une transition parce que j’ai fait plein de sons et la maison de disques en a sélectionné sept pour qu’on se dise au revoir par la suite. Ensuite, une fois revenu en indépendant, j’ai sorti Porte Dorée Saison 1 et je pensais pas que cela allait prendre une telle portée. J’ai annoncé la saison 2 et la 3 dans la foulée, histoire d’avoir du flux. J’étais surpris par les scores de la Saison 1, je n’ai jamais pensé qu’on ferait des millions de streams derrière et si t’additionnes les différents clips, on arrive à des millions de vues aussi, c’était inespéré à notre niveau. On avait fait une date à Paris, c’était complet, cela a relancé quelque chose car je n’avais plus d’ambition avec la musique.
REVRSE : Cette période de lassitude était en partie due à ton passage en maison de disque qui ne s’était pas très bien passé ?
Usky : C’était plein de choses, quand tu passes la barre des 25 ans, tu te poses plein de questions que tu ne te posais pas quand t’en avais 20, c’était un moment de ma vie aussi. Je suis un éternel insatisfait aussi, tout en essayant d’être perfectionniste, et ça devient limite un problème à la fin. Cette remise en question est un frein total, surtout aujourd’hui. Je lisais un article sur la communication de PNL qui expliquait qu’un artiste ne perce plus seulement grâce à sa musique mais surtout grâce à sa faculté à devenir un sujet de discussion, à devenir viral. J’ai beaucoup de traits new school mais le projet abouti est quelque chose d’essentiel pour moi. Il faut qu’il y ait un concept, que cela veuille dire quelque chose de la track 1 à la track 10, qu’il y ait une stratégie promo derrière, mais sans argent c’est très compliqué à moins d’avoir des idées de génie. Je me tue trop la tête sur le contenu, je devais sortir trois projets en un an, pour au final en sortir seulement un, tant je me suis pris la tête dessus. J’ai aussi fait plein de trucs à côté, en montant des structures notamment.
REVRSE : Etant conscient de ce défaut, est-ce que t’as essayé d’aborder Porte Dorée Saison 2 avec une autre mentalité ?
Usky : La Saison 1, pas du tout, c’était uniquement du kiff, je faisais ce que je voulais, ça manquait parfois un peu de cohérence mais la Saison 2, j’ai essayé de bien plus l’axer sur ce côte rock que j’apprécie particulièrement. Dans ma vie actuelle, je traîne aussi avec plus de mecs qui sont dans le rock que dans le rap, dont Mehdi Major qui a produit 50% du projet. Le rap m’excite moins, je l’ai connu trop jeune, il faut que je sois excité par de nouvelles choses.
REVRSE : Il y a un seul featuring sur la Saison 1, ça te semblait évident qu’il soit sur le projet dans le sens où il a également cette attitude rock ?
Usky : Totalement ! Après, avec Jok’Air, on a beaucoup de relations en commun. On traîne tous autour d’un même shop à Opéra. On est souvent là-bas, on est posés, on se rencontre, cela fait des années qu’on se suit. C’est un véritable lieu de vie. La connexion s’est faite naturellement au final. J’en suis arrivé à un point où j’ai pas envie d’aller démarcher les gens, si cela ne se fait pas naturellement, ça m’enchante pas. Il faut le feeling ou un point d’accroche, dans mon entourage et dans l’entourage du mec. Il faut faire attention aux featurings parce que ça peut mal se passer, quitte à faire moins de vues, et rester dans mon coin, je préfère.
REVRSE : Sur le projet, tu as travaillé seul les mélodies ou tu as reçu de l’aide de la part de topliners ?
Usky : Niveau topline, il me semble que je suis assez indépendant, c’est sur les productions où j’ai énormément besoin d’aide. J’en faisais avant mais je suis claqué. Enfin, je traîne avec des mecs qui sont trop forts, je préfère faire directement avec eux, la seule chose que je peux faire est éventuellement de trouver une mélodie, et la refiler à Mehdi ou Jack Flaag qui embelliront le truc. Après pour les toplines et le texte, j’ai toujours été assez indépendant là-dessus, à part Jack Flaag qui m’aide de temps en temps car c’est un topliner hors-pair.
REVRSE : Sachant que tu es signé chez Universal Music Publishing, est-ce que réaliser des toplines ou des textes pour d’autres artistes reste quelque chose qui pourrait t’intéresser ?
Usky : Je le fais en ce moment, je suis sur des projets d’artistes bien connus par le public, et indirectement ce sera mes sons puisque je m’occupe de la réalisation, c’est quelque chose qu’on fait et qu’on essaye de développer. Les artistes ne veulent pas qu’on dévoile des informations sur ce sujet, ce qui peut se comprendre.
REVRSE : Sur le plan contractuel, c’est un choix plutôt astucieux de signer en édition, tout en conservant ta distribution à côté, ce qui te permet de conserver aussi une forme d’indépendance. Finalement ne s’agirait-il pas du nouveau modèle économique idéal ?
Usky : Je pense être avant-gardiste sur ce cas de figure, notamment dans la gestion de carrière. Je vais peut-être me casser les dents et si j’ai un fils demain, ce sera cool pour lui, mais le modèle dans lequel je suis, 95% des artistes du futur opteront pour cela. En gros, cela se résume à disposer d’un directeur artistique fort, tout en restant propriétaire de ses bandes, et en pouvant pleinement négocier les contrats de distribution.
REVRSE : Tu procèdes énormément par étapes dans la progression de ta carrière et notamment en matière de concerts, d’où vient cette démarche ?
Usky : C’est surtout comme ça que je peux la construire. Demain, si je pouvais remplir La Cigale, je le ferais immédiatement, mais je ne veux pas me brûler les ailes et sauter les étapes. Je suis conscient de ce qu’il y a en face de moi et on part sur une Boule Noire dans un premier temps, ensuite peut-être une Cigale pour la Saison 3.
REVRSE : La Saison 3 est déjà prévue ?
Usky : Pour octobre, j’ai envie de la sortir très vite, j’ai envie de fournir ces trois saisons et ensuite faire un gros bond dans ma vie. Pourquoi pas développer ce truc d’auteur pour les gens plus tard, faire une pause et me retrouver avec moi-même, c’est bien beau de dire ‘je suis un nouveau format d’artist’e mais c’est un taff énorme, il faut tout gérer de A à Z et peut-être qu’à la fin, je n’aurai plus la sauce. Je suis artiste-entrepreneur, et le côté entrepreneur prend parfois trop d’importance, tu te poses parfois des questions.
REVRSE : Tu ressens ce besoin de t’investir dans l’aspect business de ta musique ?
Usky : Je pars du principe que ma musique n’est pas forcément hip-hop, ma démarche l’est à 100%, je connais mes pairs. S’il n’y a personne pour faire les choses pour toi, la démarche hip-hop est de faire les choses par soi-même avec peu de moyens. Quand je fais un son, je fais un son soul ou r&b, mais les gens ne se rendent pas compte que derrière Usky, il y a une véritable démarche. Certains le captent et il s’agit de ceux qui viennent me voir en concert et achètent mes albums. Ca fait les choses par nous-mêmes, avec peu de moyens, mais elles sont faites. On n’a pas à bégayer sur la qualité de notre musique par rapport à des mecs qui sont signés. Après soyons réalistes, on n’est pas dans la même cour mais quand je vois les chiffres qu’on a faits avec la Saison 1 et des artistes signés en développement qui n’arrivent pas à faire le ¼, c’est marrant. Après, je suis pas en concurrence avec un mec qui a le triple de mon budget pour sortir un projet.