L’Allemand, de son vrai prénom, Emir, est originaire des Minguettes à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. Aujourd’hui âgé de 24 ans il se dit être tombé dans le rap par hasard et pourtant il fait partie des têtes d’affiche d’une nouvelle génération de rappeurs lyonnais bien déterminé à inscrire Lyon dans le paysage rap francophone. De nature réservé et timide, L’Allemand trouve le moyen de s’exprimer à travers sa musique aux sonorités très estivales tout en dépeignant le quotidien d’un jeune de quartier. Symbole de l’émergence de cette scène Lyonnaise, L’Allemand a sorti son premier projet en ce 26 Avril sobrement intitulé Sixnueve, pouvant être considéré comme un condensé des multiples facettes artistiques du rappeur précédemment mentionné. Composé de 22 titres, L’Allemand n’a pas hésité à revenir plus en détails sur les subtilités de son projet et de sa carrière.
REVRSE : Dans ton morceau J’pense tu dis que tu es tombé dans le rap par hasard, qu’est-ce que tu entends par là ?
L’Allemand : En fait ça c’est vraiment fait par hasard. A l’époque, on devait être en 2015, j’avais des problèmes dans ma vie qui m’empêchaient de trouver le sommeil le soir. Et en fait je passais mes nuits à écrire et à chercher des instrus sur YouTube. Le premier son que j’ai fait d’abord je le répétais tous les soirs dans ma chambre parce que j’étais encore plus timide que je ne le suis aujourd’hui. Puis un jour je le fais écouter à un ami et il m’a répondu « ton son je le mets dans ma voiture normal mon kho », puis je l’ai fais écouter à un autre ami qui a eu la même réaction. En parallèle moi j’ai dû aller en Algérie pour des raisons familiales et là-bas, y a un collègue qui m’appelle pour me dire que quand je rentrerais en France il fallait que j’aille poser mon son au studio. Une fois rentré, j’ai pris une séance au studio pour poser le son, j’ai vu que l’ingé son et mes potes s’ambiançaient dans le studio alors j’ai partagé le son même pas mixé partout, Facebook, Snap etc…à la base j’attendais de voir les retours dans mon quartier d’abord parce que c’est là où je suis tous les jours
REVRSE : C’est intéressant parce que même dans le cheminement qui t’a mené à devenir rappeur, tout reste très naturel et ça se ressent également dans ta musique dans le sens où en écoutant tes textes on peut très bien visualiser la situation dont tu parles comme si j’étais à coté de toi.
L’Allemand : Ah ça fait plaisir ça, de tout façon le naturel c’est ça qui paye !
REVRSE : Quelle a été l’évolution de ta mentalité entre la sortie en 2016 de Elle t’a quitté jusqu’à la sortie plus récente de SixNueve début 2019 ?
L’Allemand : Franchement en 2 ans j’ai appris. J’ai, entre guillemets, acquis une certaine expérience, je suis plus à l’aise au studio par exemple. Avant j’allais au studio j’étais stressé, j’avais peur que ça ne plaise pas à mes potes et tout tu vois ce que je veux dire ? Mais c’est rien encore, je connais rien j’ai encore beaucoup de choses à apprendre !
REVRSE : D’accord, tu veux dire que c’est plutôt Emir la personne qui a évolué et murit, plutôt que L’Allemand le rappeur ?
L’Allemand : Franchement c’est ça. J’ai évolué dans mon rapport au travail. Forcément j’’écoute du rap que ce soient les sons des potos ou d’autres artistes, mais sans être influencé, c’est plutôt je me reconnais dans leurs musiques.
REVRSE : Entre colis parachutés, séance de sports et cellule, ton clip Khaliss dépeint l’univers carcéral car malheureusement tu as connu ça, est-ce que tu estimes que ton incarcération a eu un impact sur ta musique ?
L’Allemand : Franchement mon passage en prison il m’a fait changer moi-même déjà…la prison ça change un homme. Que tu sois là pour 4 mois ou 4 ans tu seras pas la même personne quand tu vas sortir. Après je vais pas te mentir, je suis obligé d’en parler dans ma musique parce que ça fait partie de mon vécu et encore aujourd’hui j’ai de la famille et des amis qui sont là bas…
REVRSE : Pourtant tu ne glorifies en rien la prison, tu insistes même sur le fait que c’est un échec de finir incarcéré.
L’Allemand : La prison c’est pas une fierté ! Franchement t’es le plus gros des puants si t’es fier d’avoir fait de la prison ! T’es content de voir ta mère pleurer ? T’es content de voir tes potes dehors galérer pour t’assumer ? Ils t’arrivent des pépins tu peux pas même bouger…franchement c’est de la merde la prison, c’est vraiment pas une fierté ! Si j’en parle c’est parce que comme t’as dit, ma musique je la fais naturellement, pour te dire tu peux même demander au poto [son manager présent lors de l’interview] y a 2 semaines quand il m’a appelé pour me dire qu’on allait à Paris pour parler de ma musique j’arrivais pas à y croire. Je me rends à peine compte que c’est vraiment sérieux, y a un attaché de presse, des médias etc…mais c’est pas plus mal, je peux voir de nouvelles choses plutôt que de rester en bas d’une tour à fumer des pétards.
REVRSE : Je voulais savoir quel genre de musique il y avait dans tes écouteurs quand tu étais plus petit.
L’Allemand : Quand j’étais petit y avait Rohff et Salif. Pour moi Salif ça restera le meilleur rappeur encore aujourd’hui parce que je me reconnais dans ses textes. Après Rohff c’était vraiment la cité ! (rires)
REVRSE : C’est intéressant car ce sont des artistes qui finalement rentrent assez bien en adéquation avec ta personnalité, c’est-à-dire, ce sont des artistes qui dépeignaient leur quotidien et la vie de quartier de manière crue mais sans pour autant les glorifier.
L’Allemand : C’est vrai ça, je pense on est dans la même mentale sur certains points comme représenter le quartier, parler des principes et des valeurs qui nous tiennent à cœur, rester authentiques
REVRSE : D’ailleurs en parlant de quartier, Les Minguettes dernièrement vous avez accueilli Elams puis YL pour son feat avec Timal ou même Naps , on voit quand même une certaine connexion entre Marseille et Lyon, est-ce que Les Minguettes est devenu le quartier le plus au nord des quartiers nord de Marseille ?
L’Allemand : (rires) Les Minguettes c’est devenu les quartiers morts par rapport à quand j’étais plus jeune (rires) mais en vrai Lyon ou Marseille on est pareil mon frère, c’est la même merde, on vit les mêmes problèmes et y a beaucoup de similarité dans nos mentalités et nos modes de vie.
REVRSE : Pourtant quand j’ai entendu les sonorités de ta musique pour la première fois je me suis dis « lui c’est sûr il habite entre La Castellane et Fond Vert » alors que pas du tout, depuis le début de ta carrière tu utilises ces sonorités tout en revendiquant ton appartenance à Lyon…
L’Allemand : (rires) Franchement je pourrais pas répondre à ta question… je vais pas te mentir c’est même pas fais exprès, comme je t’ai dis ma musique sort naturellement, par exemple quand j’écoute une instru je me dis pas “tiens faut que je rappe comme ça et que je parle de ça“. Je prends l’instru, je me pose et j’écris ce qui me vient en parlant de moi sans m’inventer de vie quoi…
REVRSE : Pourtant dans le projet tu t’ouvres davantage, à la fois dans le choix des instrus et sur les textes
L’Allemand : C’est vrai comme je t’ai dis en deux ans j’ai appris et j’ai envie de montrer aux gens que je sais faire autre chose tout en restant moi-même, je veux pas que les gens se disent “ouais L’Allemand il sait faire que ça“. Puis j’écoute les conseils des autres et aussi la critique, ceux qui te soutiennent et qui te critiquent c’est grâce à eux que tu peux progresser.
REVRSE : Est-ce que tu es conscient qu’il y a une scène montante à Lyon notamment avec des artistes comme Zeguerre, La Famax ou Jordee par exemple ?
L’Allemand : Ouais petit à petit, mais même nous on est impressionnés et surpris de ce qui nous arrive !
REVRSE : Justement Lyon est une grosse métropole française pourtant il n’y a jamais eu de scène locale qui a explosé dans toute la France. Tu penses qu’avec l’arrivée de cette nouvelle génération de rappeurs lyonnais dont tu fais partie, on peut faire un parallèle avec l’ascension de la ville de Bruxelles dans le rap français ?
L’Allemand : Ouais le but c’est d’avoir notre moment et d’en profiter pour l’utiliser de la meilleure des sortes pour la ville de Lyon. Personnellement j’ai pas la prétention pour dire que je peux faire ça. Quand je me balade sur Lyon ou dans la région Rhône Alpes je suis reconnu mais c’est pas encore ce que j’estime “un vrai buzz“ pour donner de la force aux petits de Lyon mais si un jour c’est le cas bien sur je boosterais les petits rappeurs de Lyon, c’est que du plaisir. Wallah rendre les gens heureux tu sais pas comment ça me fait plaisir. Avant-hier j’ai vu une gamine qui pleurait devant moi, c’était bizarre mais touchant quand même !
REVRSE : Et tu lui as dis quoi à cette petite ?
L’Allemand : Je lui ai dis “mais pourquoi tu pleures ? Je suis comme toi ! C’est un coup carrément t’es mieux que moi ; tu travailles, moi je travaille même pas“ tu vois ce que je veux dire ? C’est bizarre mais c’est la musique…
REVRSE : T’as l’air de garder la tête sur les épaules quand il s’agit de la célébrité
L’Allemand : Moi personnellement j’ai été élevé dans une famille musulmane, et tu vois, je me vois pas faire du rap à vie, dire à mes enfants que je vais au studio…j’ai pas été élevé comme ça et je me vois pas éduquer mes enfants comme ça.
REVRSE : Un peu comme Salif quoi…tu prends tes sous et tu vas faire autre chose par la suite ?
L’Allemand : (rires) ouais un peu
REVRSE : Est-ce que je me trompe en disant que tu te retrouves dans la mentalité de Jul, c’est-à-dire savoir rester simple malgré son succès ?
L’Allemand : Ouais carrément parfois je me balade sur Lyon je vois 6 rats [NDLR : expression lyonnaise pour dire “mec“] ils m’interpellent “oh L’Allemand vient on fait une photo“ et moi je me dis “mais qu’est-ce qu’ils veulent zebi“. Puis je le vois dans le comportement et le regard des autres, ils se comportent comme si j’avais changé alors que pas du tout.
REVRSE : Et qu’est-ce que tu dirais à ces gens ? Je reste Emir avant d’être L’Allemand ?
L’Allemand : Parle-moi normal mon frère ! Reste naturel… “salam alaykum Emir, ça va tranquille ?“… comme t’as dis parlez à Emir, pas à L’Allemand. Je suis un humain pas un rappeur !