Fort de 15 ans de carrière et plus de 20 ans de pratique, Ice Crimi s’est fait connaître sous le nom d’S-Pion avant de mettre en avant de nouvelles facettes de son identité artistique. Résolu dans ses choix, le rappeur trace sa route en s’aidant d’un lourd bagage accumulé au fil des années, entre tournées internationales et débrouillardise, le tout dans l’indépendance la plus totale. Car l’indépendance, c’est certainement le trait de caractère le plus affirmé d’Ice Crimi, une particularité qui a guidé tous ses choix, en bien ou en mal. Franc, honnête et sans concessions, il se livre dans un entretien fleuve et revient sur les évènements, les projets et les rencontres qui l’ont construit. Le 6 septembre dernier, Ice Crimi dévoilait Scoop #1, un EP de sept titres incluant le single Diva et le banger Khabib, qui cumule déjà plusieurs dizaines de milliers de vues sur sa chaîne YouTube. Un retour encourageant pour un artiste déterminé à faire son retour pour de bon et à ce que son nom retentisse de nouveau dans les oreilles du grand public.
REVRSE : Tu me racontais que t’avais vendu beaucoup de tes premiers projets en Belgique, tu peux m’en dire un peu plus ?
Ice Crimi : Ça remonte au premier concert que j’ai fait avec mon groupe de l’époque, SD.CLICK. On avait ouvert pour 113, alors on avait pensé à sortir des mixtapes faites maison, parce qu’on a très tôt eu un studio, été indépendants… Via ce home studio, on a sorti un projet en mon nom qui s’appelait La bastos de service. On avait pressé des CDs et on s’était dit qu’on allait profiter de ce concert en Belgique pour en vendre. C’était le premier déplacement qu’on faisait en équipe, on sortait littéralement du quartier. On arrive là-bas et… razzia ! On s’est posés devant la salle, on a ouvert le coffre de la gova, on a mis le son à fond et les gens venaient prendre leurs skeuds. Au début, une, deux, trois personnes… On a fini par 200 pièces. C’est ça qui a lancé le truc et on a continué. Chacun des membres a eu sa tape, et comme c’était moi le fer de lance on s’est lancés sur moi.
REVRSE : C’est intéressant parce que ces démarches un peu borderline à l’époque reviennent à la mode aujourd’hui. Ça montre aussi que t’as connu la musique à tous les niveaux…
Ice Crimi : On a pas forcément voulu se lancer comme ça, on a eu comme tout le monde le rêve de signer en maison de disque. Mais quand on a pris conscience de la réalité du business, on s’est dit ‘ah ouais, c’est pas si évident que ça en fait’. Quand t’es simple auditeur, tu te fais une image préconçue du truc : tu vas sortir un son, puis directement signer, avoir des rotations… Alors que non. Il y a des paramètres qui peuvent pas être compris des gens normaux qui te font comprendre que c’est une industrie en fait. On s’est dit ‘plutôt que d’aller squatter dans tous les bureaux de maisons de disques à faire écouter nos sons, on va les faire nous-mêmes’. C’est une expérience qui nous a plutôt réussi, on s’est mis dedans et par la suite on a créé des connexions avec des rappeurs, des gens du game et on est restés dedans. Toujours cette âme de l’indépendant, mais du vrai indépendant. Pas de l’indépendant avec un truc derrière quand même.
REVRSE : A partir de 2007, tu prépares ton premier projet…
Ice Crimi : Je prépare mon premier projet et je suis approché par un grand de mon quartier qui avait créé un label, Unity Records, qui s’occupait de deux pôles : dancehall et rap. En dancehall il avait déjà Krys, mais pour le rap, il n’était pas encore assez développé. C’était plus de la distribution. Il distribuait les Talents Fâchés et d’autres projets rap français. Il a sorti une compile et comme il était intéressé par moi il m’a fait faire le single de cette compile ; ça a été ma première expérience, mon premier vrai clip… On a fait un bout de chemin ensemble mais on a pas concrétisé parce qu’on s’est pas entendus sur certains trucs. En plus de l’expérience qu’on avait acquis en maison de disque, ça a été le moment où on s’est dit ‘viens on le fait tout seuls, on en est capables’. Et on a sorti en 2008 mon premier street album en distrib chez PIAS. On a été négocier dans les bureaux et tout !
REVRSE : C’est étonnant, à l’époque ils étaient beaucoup moins ouverts à l’urbain non ?
Ice Crimi : On a eu une entrée via Jean-Pierre Seck, on a été connectés je ne sais plus comment et il avait bien aimé mon projet. Il a dit ‘c’est lourd les gars, vous êtes ambitieux donc je vais vous dégotter un rendez-vous’. En 2008, quand l’album est sorti, on a été dans les points de vente vérifier si le skeud était bien en facing. Il y a même une anecdote à ce sujet. A Bercy, le CD n’était pas en facing et nous on était pas habitués à tout ça donc on s’énerve avec la vendeuse. Elle appelle PIAS, qui appelle la distrib, qui nous envoie une lettre pour nous dire que c’est pas comme ça qu’ils travaillent… Mais c’est aussi des choses qui nous permettent d’apprendre. C’est ce qui nous a fait comprendre qu’il faut garder une main sur ton business, peu importe l’échelle à laquelle t’opères. On a commencé à avoir des propositions à 50.000 euros en 2009, ce qui était énorme à l’époque. Mais on refusait parce qu’on était pas d’accord avec certains points.
Ricci (manager) : C’est des choix qu’on a fait, en bien ou en mal je sais pas mais pas regrettés parce qu’à ce moment là il fallait qu’on les fasse. On état très méfiants, entre ce qu’on entendait, ce qu’on lisait entre les lignes… Le business de la musique d’avant et celui de maintenant, c’est très différent. Déjà, on est beaucoup mieux informés, et en plus les labels sont beaucoup plus ouverts. Aujourd’hui s’ils ne signent pas ne serait-ce qu’un contrat de distrib sèche, l’artiste ira ailleurs.
Ice Crimi : Pour nous qui avons vécu avant-après internet, c’est flagrant. Si tu veux développer ton business dans la mentalité qu’on avait c’est beaucoup plus facile. C’est ce que font PNL. C’est carrément ce type de mentalité là, sauf qu’ils ont les outils pour. Et ça, je trouve ça magique. Pas que PNL mais globalement le fait de développer son business, sans être à la merci ou aux pieds de quelqu’un. On vit dans une putain d’époque.
REVRSE : Pour en revenir à ta carrière, qu’est ce qui s’est passé après la sortie de Révélation en 2008 ?
Ice Crimi : Entre 2009 et 2010, il m’est arrivé plein de trucs, je bosse notamment avec Youssoupha sur des concerts et des tournées. C’est une nouvelle expérience parce que c’est là que ton produit devient viable. En parallèle, j’avais toujours mon groupe donc on s’est de nouveau tournés de ce côté là. Dans notre logique, si quelqu’un sortait quelque chose il fallait que tout le monde le fasse. En plus de ça, on était tous bons. Il y avait pas le fameux quatrième membre nul. Ça méritait de se faire entendre. Et en 2010, on sort le double street album SD.CLICK chez Musicast. Bon succès d’estime, bons retours, mais la vie a fait que certains ont arrêté par la suite. On se retrouve finalement à trois avec Ricci et Lefty. Puis en 2012 je sors Geste avant l’album.
REVRSE : C’est aussi vers cette époque que tu te rapproches de Youssoupha ?
Ice Crimi : C’est ça. On avait concrétisé avec Tetris et les remix de Haut Parleur, mais aussi des freestyles Skyrock où je brulais littéralement tout le monde, Fred peut confirmer. J’ai fait un morceau, Prends mon 06, qui avait fait beaucoup de bruit et qui était passé en radio. On avait fait une opération avec des t-shirts dans la rue avec le numéro de téléphone et on s’était même fait bloquer par SFR parce qu’ils ont cru qu’on développait un business alors que c’est les gens qui faisaient péter le standard.
Ricci : C’est moi qui tenais la ligne, et dès que le morceau passait en radio il y avait plein de numéros qui m’appelaient. D’ailleurs Mac Tyer l’a refait il y a un an ou deux. Dès que ça passait en radio, je recevais peut-être 1000 messages et 400 appels par jour. Moi, j’enregistrais tous les numéros et dès qu’on avait une actu j’envoyais des messages. Sauf qu’à l’époque, c’était une puce ce qui fait qu’SFR ont cru que c’était un trafic et ont bloqué la ligne, dommage parce que sur le plan marketing on était vraiment en avance. A l’époque, et surtout en matière de management et de prod, je pense qu’on n’était pas encore assez solides pour gérer. On avait pas d’outils. On était pas prêts à vraiment développer un artiste qui prenait de l’ampleur, il y a des choses qu’on ne savait pas. Aujourd’hui, je sais que si un morceau prend on va en enregistrer 4-5 autres dans la foulée…
Ice Crimi : C’était un morceau-accident, à la base c’était une prod pour une pub Adidas, on me l’a envoyée, j’ai fait le morceau en 20 minutes et ça a pris tout de suite. Ça passait Ado FM tous les jours. C’est là aussi que j’ai commencé à marquer mon empreinte « S Pi, Ice »… Parce que j’étais déjà Ice à l’époque, les gens pensent que j’ai changé mais j’ai juste mis un autre surnom en avant. J’avais sorti un morceau, Prophète, qui est considéré par mes aficionados comme mon classique. Il était dans l’album de Sinik L’Assassin. Ensuite, on profite du vent en poupe qu’on a et en 2013 on sort Les chroniques d’un G&G. Sur chaque morceau, je développe une thématique et je la pousse jusqu’à son paroxysme avec un clip. Par exemple, le premier extrait s’appelait Delorean, et j’ai sorti une Delorean ; le deuxième Benoît XVI, je me suis vraiment mis en soutane ; le troisième Gexter, en rapport avec la série Dexter qui cartonnait à l’époque… Ça a débouché en 2015 sur la sortie de Gesteur & Gentleman, mon premier album. À partir de 2016, le game a commencé à changer avec la popularisation d’autotune et il fallait se positionner. Moi, je me suis mis en retrait, surtout que j’ai eu un fils en 2013. Il y a eu pas mal de tournées aussi jusqu’à fin 2016. J’ai du faire deux ou trois fois le tour du monde.
Ricci : Avec Youss, il a du faire 200 dates !
Ice Crimi : Je me suis dit ‘analyse’. Les petits sont arrivés en force, notamment Gradur qui a tout fait baculer. C’était le moment de recalibrer. En 2017, j’ai sorti Alter ego en mettant en avant mon aka officiel. Ice méritait une carrière. A l’époque, c’était ‘Ice’ tout court, c’est comme ça qu’on m’appelait. Ce projet, je l’ai entièrement fait avec autotune. C’est quelque chose que j’ai toujours kiffé, même si je le revendiquais pas forcément. On a tourné des clips à l’étranger qui ont été bien accueillis, à Compton et dans le désert de L.A. En 2018, je prends du recul et on rencontre l’équipe de 47 via Nassim, un gars à nous du Canada rencontré lors d’un concert avec Youssoupha avec qui on s’est épris au-delà de la musique. Grosse dédicace à son frère Big Nab et à Tayeb, qui a composé Off Black et Mâle Alpha. Il est aussi lié à Cyril Kamar (K. Maro). On en vient à se rencontrer et on se retrouve sur plein de points. Partant delà, on décide de sceller ça.
REVRSE : Tu parles justement des critiques qu’on te faisait sur l’usage d’autotune dans un morceau non ?
Ice Crimi : « Stratégie toile d’araignée, bras du docteur Octopus »
REVRSE : C’est ça ! Tu peux m’expliquer la phase ?
Ice Cimi : Le concept du morceau, c’est de répondre à des trucs qu’on me dit vraiment. On m’a dit ‘rentre pas dans la vague autotune, fais pas comme les petits’. Moi j’arrive avec une stratégie toile d’araignée, je fais de tout, et je défonce tout avec le bras du docteur Octopus. Je suis très bousillé à Marvel. Le docteur Octopus c’est un méchant dans Spiderman. C’est une manière de dire que quoi que je fasse, ça sera qualitatif.
REVRSE : D’ailleurs, il y a un aspect cartoonesque dans l’identité de ton projet. La cover bien sûr, mais aussi par exemple une imagerie autour de la glace. Ça m’a évoqué une période où Gucci Mane s’était tatoué un cône sur la joue !
Ice Crimi : On y avait même pas pensé, mais c’est vrai que ça se rejoint. On a toujours été dans une philosophie, notamment Richie et moi, de pousser les choses jusqu’au bout. On a surffé sur Ice, on s’est dit ‘autant en explorer tous les paramètres’. Pourquoi pas aller vers la glace ? Dans Khabib, on se retrouve dans un tieks mais au lieu de bibi de la drogue ça bibi des cônes glacés.
Ricci : C’est histoire de rendre le truc un peu fun, de pas diaboliser le quartier. Et même, c’est vu et revu ces plans.
Ice Crimi : La musique aujourd’hui, elle se regarde autant qu’elle s’écoute. On a misé sur la glace et c’est un exercice plus ou moins réussi parce qu’on a eu d’excellents retours sur Khabib alors que j’étais un peu inactif depuis un an, notamment sur les réseaux sociaux. Ça a été très bien accueilli, à la fois par les médias et le public.
REVRSE : Au final t’auras clipé un banger avec Khabib et un single avec Diva.
Ice Crimi : Et entre les deux, Woah sur lequel on retrouve justement ce côté cartoon dont du parlais.
REVRSE : D’ailleurs pourquoi « Scoop » ?
Ice Crimi : Parce qu’en anglais, ça signifie un cône de glace, et qu’en même temps ça renvoie à un « scoop ». Je suis très content de ce projet, mais pas assez parce qu’il y en a encore dans le réservoir. Autant, pendant un an et demi, j’étais en retrait, autant désormais je suis prêt à enchaîner.
REVRSE : Le fait de passer d’Ice à Ice Crimi, ça accompagne ton développement en tant que personnage ?
Ice Crimi : Ice Crimi, c’est la version finale. La griffe de Wolverine c’est de l’adamantium, plus du bois. On arrive à maturité et on redémarre comme ça. Maintenant, on a aussi des partenaires qui nous conviennent, 47, qui donnent l’opportunité aux artistes de se développer comme ils sont. On était faits pour bosser ensemble et on part avec une force de frappe en plus, c’est ce qu’il me fallait.