Après avoir fait ses débuts dans la musique en tant que DJ du groupe La Brigade dans les années 90, DJ Quick monte ses propres soirées et se retrouve notamment à mixer pour des grands noms du rap américain tels que 50 Cent ou Tyga. Au début des années 2010, il crée le label Mal Luné Music avec son frère Nice. Les studios du label servent alors de lieu de rendez-vous pour de nombreuses figures montantes de la scène du 91. C’est à cette époque que le duo repère un diamant brut répondant au nom de Ninho. Début 2014, Quick met un terme à l’ensemble de ses activités pour se consacrer exclusivement à la carrière de son nouveau poulain. Pari gagné avec le succès foudroyant du jeune artiste, qui compte désormais plus de 100 singles certifiés et 1,5 millions d’équivalent ventes.. Sept ans après sa création, Mal Luné Music s’est doté d’un roster d’artistes en développement (BLK 140, Kingzer, Blasko), d’un volet éditions sous la marque Pleine Lune Publishing (LVDR, SNK, Hoodstar, Young Ko, Daimo Beats, Moms, Ryuk)… Et d’une compilation, Mal Luné Music Vol. 1, distribuée par Argentic Music (Capitol). Rencontre.
Ventes Rap : Avec la compilation Mal Luné Music Vol. 1, on retrouve l’ADN de tes compilations du début des années 2000. Tu crées ta musique comme tu l’entends, sans dépendre de la vision des autres…
DJ Quick : Effectivement, des projets de ce type j’en ai toujours fait, c’est loin d’être mon premier. En tant que DJ, je voulais permettre à cette profession d’être reconnue. Dans le rap français, les DJs sont souvent mis en retrait. De mon côté, j’avais l’idée de cette compilation Mal Luné Music en tête depuis pas mal de temps. Ça n’a pas toujours été simple de réunir autant de têtes d’affiches pour des morceaux communs sur un seul projet. Aujourd’hui, tu peux inviter plusieurs artistes sans problèmes. Je trouve que c’est bien d’apporter ce plus dans les musiques urbaines, et de le faire en tant que DJ Quick pour montrer que je n’ai pas qu’une casquette.
Ventes Rap : Est-ce que tu penses que le streaming a joué un rôle dans le retour en force du format compilation dans le rap français (Game Over, Carbozo 2.0, No Limit, etc) ?
DJ Quick : Je ne pense pas que ça soit lié au streaming, je pense surtout que les artistes de nos jours sont beaucoup plus ouverts qu’avant. Dans le passé, faire un projet multi-artistes était impossible, à moins d’avoir une affinité particulière avec un très grand nombre d’artistes. Aujourd’hui, ces derniers ont moins de mal à se mélanger. C’est pour ça que je pensais que c’était quelque chose à faire.
Ventes Rap : Dans ce nouveau contexte, quelles sont les difficultés que pose un projet multi-artistes ?
DJ Quick : J’ai contacté un certain nombre d’artistes pour leur proposer le projet, et j’ai eu la chance que tout le monde réponde présent à l’appel. Finalement, le plus difficile a été de trouver des créneaux dans l’emploi du temps des artistes. Quand tu fais le choix d’un projet de combinaisons inédites, il faut que tout le monde soit d’accord sur les artistes, la disponibilité, le choix des prods, le choix des titres… C’est toute une organisation qu’il faut mettre en place.
Ventes Rap : Au niveau des combinaisons justement, comment est-ce qu’elles ont été décidées ? Est-ce que les artistes ont participé au processus ?
DJ Quick : C’est moi qui décidais des compositions, je ne leur ai pas laissé le choix (rires) ! Par exemple, je voulais absolument qu’il y ait une combinaison SCH et Alonzo. Pourquoi ? Parce que ce sont deux marseillais, qui n’avaient jamais collaboré ensemble. Je me suis dit que vu que c’était quelque chose d’improbable, c’était quelque chose qu’il fallait faire. Comme le Naps Bosh. Les gens ne s’y attendaient pas. Je trouvais ça bien d’emmener deux artistes dans des registres différents tout en trouvant un terrain commun.
Ventes Rap : Pour prendre un autre exemple, comment est-ce que tu as arrangé la rencontre de RK et DA Uzi ?
DJ Quick : DA Uzi est un artiste que je connais très bien. On se parle souvent, je suis en contact avec lui et ses managers régulièrement. RK, c’est un artiste que j‘ai vu en dehors de Ninho. On discutait, il venait me voir quand j’avais mon studio. Il m’a donné ses coordonnées, je l’ai appelé et je lui ai dit que je voulais l’avoir sur mon projet. Je lui ai dit qu’on allait prendre une villa dans le sud, partir en séminaire, et que j’aimerai bien l’avoir sur le projet. Je lui ai bien expliqué que le projet serait uniquement constitué de featurings, sans aucun solo. Il m’a dit « Quick tiens moi au courant quand ça se fait, mais de mon côté pas de problèmes. » J’en ai parlé à DA Uzi, il m’a fait le même retour. Il ne restait plus qu’à caler les jours d’enregistrement, faire descendre les artistes dans le sud…
Ventes Rap : On peut donc dire que la couleur musicale du projet est complètement la tienne ?
DJ Quick : J’ai réalisé le projet entièrement avec mon frère Nice. C’est vraiment notre direction artistique. J’ai contacté tous les artistes moi-même. J’ai ensuite organisé un séminaire dans le sud, ils sont descendus pour faire le projet. On a fait une autre partie sur Paris pour boucler l’album. Pour les compositeurs, j’ai surtout choisi des personnes avec qui j’avais plus ou moins l’habitude de travailler sur les albums de Ninho. Il y a bien sûr des compositeurs Mal Luné, mais aussi Wladimir Pariente, DST et d’autres… Ça s’est fait naturellement.
Ventes Rap : Est-ce que tu envisages une dimension scénique avec la compilation ?
DJ Quick : Bien sûr que j’aimerais faire de la scène avec ce projet ! Faire venir les artistes sur un décor Mal Luné et leur faire chanter les morceaux qu’ils ont sur le projet. Si l’idée se concrétise, tu peux être sûr que ce ne sera pas fait au hasard, et qu’on aboutira à quelque chose de recherché.
Ventes Rap : Est-ce que tu envisages un autre projet plus orienté vers les artistes en développement ?
DJ Quick : Je vais te lâcher une petite exclu : je suis en plein dedans. Enfin, pour être plus précis, je termine en ce moment de faire la promo de Mal Luné Music Vol. 1. Cependant, je suis en permanence dans la découverte d’artistes émergents, qui commencent à monter sur la scène urbaine. Pourquoi pas faire un projet spécial rookies ?
Ventes Rap : Est-ce que ces nouveaux studios te servent aussi à repérer des talents ?
DJ Quick : Non. Les locaux dans lesquels je suis nous servent avant tout à enregistrer les artistes Mal Luné. Le projet de Kingzer va sortir au mois de septembre, un projet de BLK 140 va aussi sortir au cours de l’année. Le studio est mon outil de travail. Mais je suis toujours sur les réseaux à la découverte d’artistes. Si je veux créer un autre projet, j’ai déjà tout à dispositions : mes studios, mes ingés son et mes compositeurs.
Ventes Rap : Quelles sont les qualités que tu cherches chez un jeune artiste ?
DJ Quick : L’écriture, ce que l’artiste dégage et ce qu’il va dire. Ca peut être du street, du dur, ou bien un rappeur à plume. C’est le feeling et l’instinct. Tu écoutes, tu vois ce que qu’il dégage et tu te décides.
Ventes Rap : Tu serais prêt à signer autre chose que du rap à l’heure actuelle ?
DJ Quick : Bien sûr, si une chanteuse ou un chanteur a du talent, je suis pour. Je ne vais pas me limiter uniquement à du rap. Si l’artiste écrit bien et que son univers me parle, je suis complètement ouvert.
Ventes Rap : Justement, tu as repéré Ninho alors qu’il n’était âgé que de 12 ans. Qu’est ce que tu as vu chez lui à ce moment là ?
DJ Quick : Mon frère Nice et moi venons du même quartier que Ninho, dans le 91. C’est Nice qui l’a repéré. Il rappait dans un groupe et on avait déjà des studios et une structure. Je faisais déjà des projets avec des labels. On a repéré Ninho, mais à cette époque, il n’y avait pas d’avenir dans le rap. On ne parlait pas encore en termes de streaming, c’était vraiment une affaire de passionnés uniquement. Ninho a commencé à chercher un studio pour s’enregistrer, il voulait vraiment s’y mettre à fond. On lui a donc expliqué les rouages de la musique.
Fin 2013 début 2014, j’arrête de mixer en soirée pour me consacrer uniquement à mon activité de producteur de Ninho. Bien avant son explosion, j’ai tout mis de côté pour me consacrer à lui parce que j’y croyais vraiment à fond. L’intégralité des albums de Ninho ont été enregistrés par Nice. Tous les ISPAC, MILS, Comme Prévu et Destin, c’est lui. On marche en tandem avec mon frère : lui s’occupe de la réalisation des projets de Ninho et de mon côté, je m’occupe de contacter les radios, médias, etc…
Je leur parlais beaucoup de Ninho : « C’est lui le futur. Vous verrez dans quatre ou cinq ans il va tout arracher. » Comme dans tous les milieux professionnels, j’ai dû faire face à beaucoup de doutes. On a commencé à charbonner, et j’ai eu la chance d’avoir plusieurs médias qui ont cru en ce projet. Je voudrais passer une dédicace spéciale à Générations, qui m’a beaucoup soutenu à ce niveau. Avec Laurent de Générations, on se connaissait bien avant que je travaille avec Ninho. Fut un temps où je mixais même sur Générations. Je suis allé lui parler de Ninho en lui disant qu’il était très prometteur. Il n’avait pas encore de clips, seulement de l’audio. Laurent est le seul qui a écouté attentivement ce que je lui disais. Par la suite, plein de choses ont fait que Ninho a commencé à décoller.
Screetch de Daymolition nous a donné un énorme coup de main au niveau des street clips. Pour faire exploser Ninho, notre stratégie était d’en sortir tous les quinze jours, puis à la fin de faire un projet avec tous les sons clipés. Le but était d’envoyer au maximum.
Ventes Rap : Est-ce que tu as l’impression d’être arrivé à la fin d’un cycle et d’avoir besoin de faire autre chose ?
DJ Quick : J’ai besoin de voir autre chose. C’est bien en tant qu’artiste de pouvoir faire autre chose…
Ventes Rap : Tu considères le DJ rap comme un artiste à part entière ?
DJ Quick : Pour moi un DJ est un artiste. Sans DJ, tu vas en club, tu ne peux pas danser. Dans un concert pareil. Malheureusement, en France, comparé aux États-Unis, les DJs ne sont pas assez mis en avant. C’est pour ça que je faisais toujours 15 minutes de set avant les concerts de Ninho !
Aujourd’hui j’ai envie de produire d’autres artistes pour Mal Luné, et de montrer que Mal Luné ce n’est pas seulement Ninho. Notre collaboration aura été extrêmement fructueuse, mais aujourd’hui, il est temps pour Ninho de monter sa propre structure. L’album de Ninho qui arrive sera le dernier sous les couleurs de Mal Luné Music. Sur mon projet, je ne voulais pas spécialement mettre des têtes d’affiches. Mon désir était d’avoir un vrai mélange, pour donner leur chance à des artistes que j’apprécie et qui ont du talent de se trouver côte-à-côte avec des artistes connus. J’ai reçu des très bons retours, certains apprécient vraiment le titre de Kingzer avec Noname, de BLK avec Le V, de Blasko avec Dymé…
Ça donne aussi la chance à des artistes qui n’ont pas encore la renommée des têtes d’affiches de se donner à fond et de montrer ce qu’ils savent faire. C’est vraiment ce que j’apprécie le plus dans cette sortie d’album en tant que DJ.
Illustrations : Wes’cam pour Ventes Rap