La période estivale de cette année 2024 est celle choisie par Warner Music Group pour restructurer en profondeur son management. Max Lousada, PDG monde de la major depuis octobre 2017 quittera ses fonctions à compter du 30 septembre 2024, après près de 20 ans dans l’entreprise. Dans le cadre de ce remaniement global, Warner a nommé le 1e août Elliot Grainge comme nouveau PDG d’Atlantic Music Group, un de ses principaux groupements de labels. Atlantic compte entre autres dans ses rangs Atlantic Records, Elektra, 400 ainsi que Fueled by Ramen. Un choix qui suscite des interrogations car Elliot Grainge est le fils de Lucian Grainge, actuel PDG d’Universal Music Group.
L’industrie musicale a déjà été critiquée pour son côté népotique. Willow & Jaden Smith, Mabel, Miley Cyrus : autant d’artistes qui ont pu subir des critiques de part leur statut d’enfant de. Concernant les cadres, ces cas d figures se sont également régulièrement présentés, avec des exemples notables tels que J. Prince et son fils Jas, ou bien Clive Davis et ses fils Doug et Fred, tous devenus des figures majeures de du paysage musical. Cependant, la situation de Lucian et Elliot Grainge présente un scénario inédit : les labels dirigés par les Grainge contrôlent désormais plus d’un tiers du marché américain de la musique enregistrée. Cette concentration de pouvoir soulève des questions quant à la concentration de leur influence au sein de l’industrie musicale.
Lucian Grainge, un taulier présent depuis 5 décennies
Présent dans cet écosystème depuis près de 40 ans, Lucian Grainge a su en gravir les échelons pour désormais diriger la plus grande maison de disques du monde. Pour comprendre une partie de l’évolution de l’industrie musicale, il faut retracer son parcours. Grainge est recruté dès 1979 par April Music, une branche d’EMI Music Publishing. C’est à ce moment-là qu’il commence à travailler avec les artistes et le catalogue musical. Il se fait rapidement remarquer pour ses talents d’identification et de gestion artistique. Il intègre ensuite en 1986 PolyGram Music Publishing, puis devient manager de Polydor en 1997. Entre temps, Polygram est absorbé par Universal Music, et Lucian intègre la major. Il progresse en son sein et finit par être nommé président d’Universal Music Group International en 2005. Enfin, six ans plus tard, il succède à Doug Morris, et devient PDG d’Universal Music Group.
Cette prise de fonction débutant le 1er janvier 2011 marque un tournant pour UMG, devant alors faire face à des changements profonds du marché, notamment avec l’arrivée du streaming. Grainge joue un rôle central dans la transformation de l’industrie musicale, en étant notamment un ardent défenseur du streaming par abonnement comme modèle économique. Sous sa direction, UMG signe des accords majeurs avec des services de streaming tels que Spotify, Apple Music, et YouTube, contribuant à la croissance exponentielle des revenus du secteur. Sous sa direction, UMG parvient à récupérer des catalogues d’artistes emblématiques tels que ceux des Beatles, de Pink Floyd et Radiohead, grâce au rachat du label EMI en 2011. Il signe ou re-signe aussi des superstars de la nouvelle génération tels que Drake, The Weeknd ou encore Ariana Grande. Cela permet à la major de consolider sa position de leader avec une part de marché de 29,8 % aux États-Unis.
Elliot Grainge, le défricheur de talents
Ces transformations de fond de l’industrie de la musique ont permis à de nouveaux acteurs d’intégrer le secteur. En 2016, alors âgé de 22 ans, Elliot Grainge fonde le label 10K Projects. Il signe rapidement plusieurs des futures superstars du rap américain comme 6ix9ine, Trippie Redd ou encore Octavian. Il signe également Ice Spice en 2022, après le succès de Munch. Après 7 ans à la tête du label, il revend finalement en septembre 2023 51% de 10K Projects pour 102 millions de dollars au Warner Music Group.
Le 1er août 2024, Elliot Grainge est nommé PDG d’Atlantic Music Group, une division clé de Warner. À 30 ans, il se retrouve à la tête d’un groupe de labels qui détient environ 7,9 % du marché américain de la musique enregistrée, incluant Atlantic Records, 300, Elektra Entertainment et son ancien label 10K Projects. Il remplacera Julie Greenwald, qui avait passé 20 ans chez Warner.
Elliot Grainge a réagi à cette décision : « Ce sera un immense honneur de rejoindre une structure aussi légendaire, de collaborer avec ses artistes emblématiques, et de poursuivre les réalisations extraordinaires de Julie et Craig – ils mènent un second âge d’or chez Atlantic Records. Je suis impatient de travailler avec l’équipe talentueuse d’Atlantic Music Group pour emmener les artistes et la marque vers de nouveaux horizons, et de continuer à pousser les artistes de 10K ainsi que son esprit unique. Ensemble, nous ouvrirons de puissantes opportunités pour la communauté créative et ferons émerger une nouvelle génération de superstars. En attendant, j’aimerais remercier Max pour sa confiance en moi et Robert pour m’avoir confié cette grande responsabilité. »
Une concentration du pouvoir décisionnaire dans l’industrie
Avec la récente prise de poste d’Elliot Grainge chez Atlantic Music Group, les labels dirigés par ce duo père-fils contrôlent 37,6 % du marché américain de la musique enregistrée. Cette domination des Grainge sur le marché américain questionne les futures relations qu’auront les deux majors, particulièrement dans un contexte où ces dernières ont adopté des positions radicalement différentes par rapport à TikTok. Il faut souligner qu’il s’agit de la première fois que deux membres d’une même famille occupent des postes aussi stratégiques au sein de l’industrie musicale.
Cette décision fait également la part belle aux jeunes loups. Derrière la nomination d’Elliot Grainge à la tête d’Atlantic se cacherait l’influence de Val Blavatnik. Le fils de Len Blavatnik, propriétaire majoritaire de Warner via son fonds Access Industries, a été élu au board de Warner en avril. À peine âgé de 25 ans, Val Blavatnik imprimerait déjà sa patte avec cette alliance de jeunes déjà au sommet de l’industrie. Reste à voir si ce rajeunissement du management de l’industrie musicale sera global, ou bien un simple épiphénomène…