Commençons par un flashback en 2011. A cette époque, les têtes d’affiche « traditionnelles » qu’étaient Booba, Rohff et La Fouine assumaient pleinement ce rôle. Les Skyblogs avaient quasiment disparu, et les jeunes rappeurs émergeaient beaucoup moins rapidement qu’en 2017. C’était sans compter sur une nouvelle génération de rappeurs, boostée par Booska-P, présentée comme « la relève du rap français », avec comme point d’orgue la sortie du projet Booska Tape dans lequel toute cette relève était réunie en fournissant des morceaux inédits. Finalement, 5 ans après, quelles ont été les traces laissées par ce projet?
➡️ Sadek, un ancrage solide dans le rap et une capacité d’adaptation remarquable
Révélé au grand public par l’intermédiaire de freestyles Booska-P, Sadek fera une de ses premières apparitions avec le morceau Bouche de Vieille sur la Booska Tape. Incisif et efficace, le rappeur originaire de Neuilly-Plaisance a enchaîné deux mois plus tard, en sortant sa première mixtape La légende de Johnny Niuuum, qualifiée de carte d’identité par ce même Sadek. La suite? Une carrière solide avec quelques coups d’éclat en freestyle et des tubes, un changement d’image, un peu de cinéma, et des projets qui sortent à intervalle régulier et dont les ventes s’améliorent systématiquement. A l’heure actuelle, Sadek n’est pas une tête d’affiche mais il s’est solidement implanté dans le paysage rap français, ayant réussi à constamment s’adapter aux nouveautés perpétuelles du rap game.
L’héritage de la Booska Tape : Le projet lui a permis d’avoir une certaine exposition afin de se lancer en solo, très peu de temps après, sans jamais se faire oublier par la suite, au contraire d’autres artistes.
➡️ Guizmo, un passage anecdotique sur la Booska-Tape
Novembre 2011. Guizmo n’était pas à proprement dit affilié à la relève, étant donné que le rappeur originaire de Villeneuve-la-Garenne faisait partie de L’Entourage, crew avec lequel il sortira son premier album Normal. Ce dernier sera la première pierre à l’édifice de sa course à la productivité, durant laquelle il sortira 4 projets en 2 ans. Depuis, Jul est passé par là, mais ces sorties effrénées constituaient de véritables prouesses tant le public rap français n’était pas habitué à consommer de la musique aussi rapidement.
Histoire de Clashs (3/12) : Guizmo et Nekfeu, les frères ennemis
Revenons en à l’apparition de Guizmo sur la Booska-Tape, durant la semaine de promotion de ce projet, le rappeur de Villeneuve la Garenne a eu la bonne idée de s’embrouiller et de quitter l’Entourage et de sortir un morceau clash destiné à L’Entourage. La suite? Une aventure solo en sortant 6 projets, alternant albums puis mixtapes, restant fidèle à Yonea & Willy. Dans l’ensemble de sa carrière, Guizmo aura réussi à fidéliser un public qui attend toujours ses nouvelles sorties, et qui ne se fait pas oublier malgré des absences régulières.
L’héritage de la Booska-Tape : Le morceau T’avises pas aura été anecdotique dans sa carrière, étant donné qu’elle avait débuté avant son apparition sur ce projet et qu’elle a décollé après.
➡️Niro, le passage remarqué d’un habitué des compilations
Niro était un habitué des compilations puisqu’il avait d’abord posé en 2009, sur la compilation Talents fâchés volume 4 de TLF, sur un morceau réunissant une petite dizaine de rappeurs des quatre coins de la France. L’apparition mémorable de Niro se passera un an plus tard, sur la compilation Street Lourd volume 2, sur laquelle Niro posera dans le Freestyle Hall Stars (en compagnie de Sofiane, Sadek, Kaaris, etc).
Après son 8 mesures, l’équipe Street Lourd décidera de lui offrir un morceau solo sur la compilation, qui s’intitulera T’as le seum, signe de la confiance entre le label et l’artiste, qui débouchera sur une signature chez Street Lourd après ses prestations.
Par la suite, Niro posera sur Autopsie 4 de Booba, fin 2011, cette mise en avant auprès du grand public lui avait permis de se faire repérer par un panel d’auditeur plus large. Après avoir posé sur de nombreuses compilations, Niro enchaîna avec son apparition sur la Booska Tape intitulée E.T, qui s’avèrera être le meilleur morceau du projet en faisant une démonstration de ses capacités techniques (variations de flow, accélérations, tout y est passé).
La suite? Une carrière très solide pour le rappeur blésois qui sortira Paraplégique en 2012, et qui reste un projet de référence. Derrière, Niro a sorti plusieurs mixtapes et albums, dont on ne peut pas dire que la qualité n’est pas présente. Néanmoins, le principal défaut de Niro sur ces dernières années reste qu’il use et abuse de la même formule, laissant moins de place à la surprise et à l’innovation. Cependant, Niro a réussi à obtenir un disque d’or avec son album Les autres, prouvant que l’artiste de Street Lourd a su fidéliser un public friand de la musique proposée projet après projet.
L’héritage de la Booska-Tape : Faible, si ce n’est que Niro avait montré sa forme du moment en proposant le morceau E.T.
➡️Still Fresh & Spri Noir :
Invités à partager le même morceau sur la Booska Tape, les rappeurs du label Nouvelle Ecole avaient déjà fait leurs premières armes avant d’honorer l’invitation de Booska-P. Still Fresh avait sorti son premier album Mes Rêves, quant à Spri Noir, sa mixtape (fourre tout) En attendant Etat d’Esprit (Etat d’Esprit qui n’a toujours pas vu le jour) était sorti 1 semaine avant la Booska Tape.
Leur collaboration qui a découlé sur le titre Tu sais est plus qu’anecdotique au vu de la simplicité du morceau. A la limite, les freestyles promotionnels pour la Booska Tape leur ont davantage bénéficié. Leurs carrières ont surtout décollé quelques années plus tard, après certaines remises en question et des prises de décision fortes sur la direction artistique, en assumant pleinement certaines images et en s’essayant à des nouvelles sonorités, sur les années 2016 et 2017.
L’héritage de la Booska Tape : Anecdotique.
➡️ Une préfiguration du succès de la seconde carrière de Fianso
Cette génération d’artiste appelée « la relève » avait pour but de mettre en avant de nouvelles têtes. Sofiane était l’exception étant donné qu’il avait déjà 2 projets à son actif et un début de carrière lorsqu’il a participé à cette expérience.
Le projet Blacklist avait eu un succès d’estime, rien de comparable à la réussite actuelle du rappeur de Blanc-Mesnil, mais le public connaissait déjà ses compétences et savait à quoi pouvoir s’attendre avec Fianso. Ce dernier a proposé un titre très technique pour la Booska Tape intitulé Fiansomaan, montrant son niveau de rap supérieur aux 3/4 des autres participants.
Le succès n’est pas venu immédiatement pour le rappeur du Blanc Mesnil, il aura fallu attendre quelques années et une grande remise en question pour apercevoir Sofiane en tête d’affiche. Sofiane a eu de l’avance dans son développement, avant de commettre des erreurs et de profiter de son expérience pour aller de l’avant et occuper une place à la hauteur de son talent.
L’héritage de la Booska Tape : A l’image des autres rappeurs présents sur la compilation, son morceau n’a pas eu d’impact sur le long terme mais Sofiane a montré qu’il était meilleur que la plupart de la concurrence.
➡️ Sultan une carrière en dents de scie desservie par les clashs
Certainement, l’un des rappeurs les plus prometteurs à l’époque de par son potentiel à savoir rapper et à pouvoir toucher un public large. A l’instar de Sofiane, Sultan avait également sorti d’autres projets avant de poser sur la Booska Tape, faisant de lui un rappeur plus confirmé que les autres. Dans A travers le son, Sultan avait réuni toutes les qualités suscitées en un morceau qui s’avérait plutôt efficace.
La suite de sa carrière a été assez étrange. Affilié à Banlieue Sale (label de La Fouine), Sultan n’avait évidemment pas prévu la période de clash et les retombées que cela pouvait avoir. En effet, le rappeur de Bagneux sortait la même année que la Booska Tape son premier véritable album Des jours meilleurs, contenant un feat avec Rohff et avec La Fouine.
Sultan donnait l’impression (à tort ou à raison) d’être proche de ces deux rappeurs quand Booba a entamé les hostilités de clash, le rappeur de Bagneux a été un dommage collatéral. En effet, son image s’est retrouvé ternie en lui prêtant l’affiliation avec La Fouine et Rohff. Entre les clahs et maintenant? La sortie d’un nouveau projet Condamné à éégner en 2016, une bagarre avec Benash du 92i, et un album avec la Team BS, sorti juste après la période des clahs…
L’héritage de la Booska-Tape : Sultan avait honoré l’invitation et ajouté un bon morceau à sa discographie, c’était idéal pour annoncer la suite de ses projets.
➡️ Côté sud: Demi-Portion, Révolution Urbaine, Carpe Diem et MOH
Les représentants marseillais étaient la Révolution Urbaine, MOH, et Carpe Diem, un peu plus à l’ouest Demi-Portion (originaire de Sète) avaient posé dans le projet. La trajectoire des deux groupes marseillais (RE et CD) est intéressante car elle est symétrique. En 2017, peu d’actualité circule autour des protagonistes évoqués ci-dessus, et entre temps il y a eu des projets solos, laissant la place à la nouvelle génération.
Concernant MOH, des morceaux et des projets continuent à sortir depuis sa très bonne apparition sur la Booska Tape, avec certains titres qui prennent plus que d’autres La danse de la moto notamment. Sa carrière est honorable mais son public semble être essentiellement Marseillais : le soutien à l’échelle locale.
Concernant Demi-Portion, sa carrière se porte bien, passant par d’autres canaux de distribution, privilégiant les scènes et les festivals. Le rappeur originaire de Sète reste attaché à l’indépendance et génère certainement plus de revenus que la moitié du rap français, sans faire véritablement parler de lui.
L’héritage de la Booska Tape : A part le morceau de MOH, les morceaux des autres artistes n’étaient pas sortis du lot. Cela n’a pas eu d’incidence sur leur carrière mais Booska-P a eu la bonne initiative de ne pas faire une compilation exclusivement parisienne.
➡️ Lacrim, le grand (et regretté) absent de la Booska Tape
Beaucoup d’auditeurs estimaient inexplicable l’absence de Lacrim, mais sa vision vis-à-vis des majors était nettement différente à l’époque.
➡️ Quel héritage pour la Booska Tape dans le rap de 2017?
Booska-P avait honorablement essayé de sortir une nouvelle génération, nommée « la relève », avec ce projet en point d’orgue. D’un point de vue promotionnel, le projet était réussi même s’il n’a pas rencontré un grand succès commercial. Au niveau de la qualité, il y avait des bons morceaux et d’autres plus dispensables, c’est l’inconvénient basique des compilations.
Cependant, Booska-P s’était peut-être trompé sur le moment pour réaliser cette compilation étant donné que la plupart des rappeurs ont progressé par la suite et ont trouvé leurs marques musicales plus tardivement. Le rap français avait besoin d’une nouvelle génération émergente, elle est arrivée quelques années plus tard, vers 2014-2015 avec la découverte et l’explosion de nouveaux rappeurs (Niska, Jul, MHD…).
Cette période de la relève a été rapidement oubliée car certains se sont perdus en cours de route, d’autres ont essayé de complètement se détacher de cette étiquette. Mais la raison principale reste l’arrivée d’une nouvelle génération (citée ci-dessus) qui matérialise son succès et s’impose comme les nouvelles têtes d’affiche, chose que la relève n’avait pas réussi à faire jusqu’à l’explosion de Fianso.
Ce qui devait être le point d’orgue d’une nouvelle génération de rappeurs s’avère être une compilation parmi tant d’autres dans l’histoire du rap français.