Label et éditeur indépendant incontournable du rap français, BlueSky a sorti le 13 octobre dernier un EP six titres intitulé Come Out Of The Blue. Pour ce projet, la structure fondée et dirigée par Sacha Lussamaki a fait le choix de miser sur six artistes en développement : Saamou Skuu, Costa, Ammar, Djeiz, Gazy MP et La Kadrilla. Côté composition, des piliers et nouveaux arrivants du roster publishing de BlueSky parmi lesquels on peut retrouver Boumidjal X, HoloMobb, Saydiq ou encore le marseillais Franklin pour ne citer qu’eux. Cette sortie s’inscrit également dans une stratégie de communication plus globale visant à imposer la marque BlueSky auprès du public rap. Nous revenons dans cet entretien sur la mixtape ainsi que sur tous les aspects de l’édition, de composition et de la vision de BlueSky avec Ismaël Kané, directeur artistique.
Ventes Rap : Comment se passe la signature chez BlueSky et comment repérez-vous les nouveaux talents émergent ?
Ismaël Kané : Cela se fait beaucoup au niveau de l’humain, on écoute quelque chose, un son qui passe sur YouTube, un profil Instagram. On se fait également des récapitulatifs de tous les morceaux qui sont sortis dans la semaine et qui ont bien marché en repérant quel compositeur a posé dessus… Au fur et à mesure, on repère. Après, on regarde notre roster pour voir quels sont nos besoins et ce que l’on peut apporter de plus à une nouvelle signature. En fonction de ça, on rencontre un compositeur pour apprendre à le connaitre, découvrir ses envies et ses objectifs. Nous essayons toujours d’aller dans le sens de ce que le compositeur ou l’artiste souhaite en lui apportant un développement pour qu’il puisse devenir plus gros à l’avenir. Nous ne sommes pas forcément intéressés par les gros placements pour nos recherches, après évidemment parfois on propose à des compositeurs qui ont placés sur des gros tracks. Peu importe que le compositeur ait du placement ou pas. Il nous est déjà arrivé de signer des compositeurs avec 2-3 placements qui n’étaient pas forcément connus et où la rencontre et la définition de ses objectifs a pesé plus fort dans la balance.
Ventes Rap : Est-ce que vous avez l’impression d’être observés par les maisons de disque et les labels sur vos signatures ?
Ismaël Kané : Je ne pense pas, aujourd’hui il y a des talents partout. On bosse avec pas mal de monde, il y a une certaine concurrence mais ça reste nos potes. On est en concurrence sur les nouveaux talents évidemment, mais c’est une concurrence saine. On ne va jamais aller sur un artiste et proposer plus que l’offre d’un concurrent. Ça dépendra à chaque fois de ce qu’on a envie d’apporter à l’artiste. Si l’entente entre nous deux ne se passe pas, je ne vais pas le forcer à venir chez BlueSky. Nous privilégions d’abord l’humain.
Ventes Rap : Justement, comment est-ce que tu définirais votre apport sur une signature en édition ?
Ismaël Kané : C’est au cas par cas, on a notre manière de bosser mais elle s’adapte aux compositeurs. Aujourd’hui on a 15 compositeurs et avec le temps ce nombre est amené à évoluer. Quand on signe Diabi, il a sa propre manière de travailler et déjà un entourage dont il est proche. Ce qu’on va lui apporter, c’est un accompagnement. S’il souhaite s’élargir, on peut lui apporter un catalogue. Nous ne sommes pas là pour forcer un compositeur à placer tel artiste parce que ça va marcher. C’est en fonction de la volonté des compositeurs. Par exemple, on vient de signer un compositeur qui se nomme Franklin. En ce moment on fait du développement avec lui et il est déterminé à bosser avec plein d’artistes. C’est dur d’arriver avec un compositeur fraichement signé et de le proposer à des gros artistes. Mais c’est aussi ça notre rôle : créer une passerelle en faisant découvrir notre roster à tout le monde.
Ventes Rap : Comment se passe le dialogue avec les maisons de disques, pour placer vos compositeurs ? Proposez-vous des catalogues, ou inversement ?
Ismaël Kané : C’est également du cas par cas. Parfois on va nous dire qu’untel est en studio, et on va recevoir un message en nous demandant si l’on peut venir en séminaire ou en studio avec nos compositeurs. Ou inversement, parfois on va envoyer un pack de prods avec ce qui selon nous va correspondre à la demande de l’artiste.
Ventes Rap : Avec la multiplication des beatmakers, est-ce plus dur de placer un compositeur sur un projet désormais ?
Ismaël Kané : Pas forcément, nous avons des liens particuliers avec les artistes, les managers, les directeurs artistiques… Notre travail va être autant de signer et de développer des compositeurs que de voir tout ce qui se passe sur le spectre des artistes : quand est-ce qu’ils sont en studio, s’ils cherchent des prods… Même plus que de la recherche, il faut établir des liens avec eux. Tu as beau envoyer un WhatsApp au manager d’un artiste en indiquant que tu as des compos disponibles, ça peut ne pas marcher. À l’inverse, si tu l’as rencontré un mois avant autour d’un verre ou dans son bureau pour lui parler d’une nouvelle signature, il s’en souviendra et va potentiellement m’appeler. C’est créer du contact. C’est aussi la force qu’on a construit grâce à notre équipe.
Ventes Rap : En février vous avez lancé un site sur lequel on peut acquérir des productions de vos compositeurs, peux-tu m’en dire plus ?
Ismaël Kané : C’est un format qu’on a lancé en février, un peu comme Beatstars, il y a beaucoup de personnes qui nous contactent pour travailler avec nos compositeurs. Idéalement chacun voudrait bosser avec tout le monde mais ce n’est pas possible. Pour faciliter ça, on a décidé de créer une base de données avec nos compositeurs à des prix intéressants pour ceux qui ne peuvent potentiellement pas rentrer en contact avec eux. Ça peut être intéressant pour les artistes en développement et le pourcentage est défini en fonction de nos compositeurs. On va continuer à alimenter ce projet, ça va nous prendre du temps mais on souhaite continuer.
Ventes Rap : Est-ce que le placement de productions à l’international est plus difficile ?
Ismaël Kané : C’est évidemment plus dur quand tu es en-dehors du pays. Mais, depuis presque deux ans, on travaille vraiment l’aspect international. Les contrats sont différents mais on s’y retrouve toujours en soit. L’équipe part assez souvent dans des pays étrangers. On s’est d’abord concentré sur l’Europe. La plupart des gens sont axés uniquement sur la France, mais il y a tellement d’autres possibilités à côté. Ce qui est intéressant, c’est que la place de la France commence à changer au niveau mondial. Quand on va en Italie ou en Espagne, ils savent ce qui se passe en France. Ça nous offre bien plus de facilité pour placer nos compositeurs. Quand on leur dit qu’untel a fait une séance studio avec un Niska, Ninho ou Maes, ils voient ça come le graal. Et à ce moment tu arrives avec une position de force et des ponts se créent. C’est plus compliqué d’entretenir une relation à distance, surtout sur l’aspect humain, mais nous travaillons dur pour y parvenir en toutes circonstances. On garde les contacts, et quand on y retourne c’est également aux compositeurs de travailler leur relationnel avec eux.
Ventes Rap : Les connexions se font très rapidement à l’étranger, au point de pouvoir faire une mixtape en un jour sur un coup de tête.
Ismaël Kané : Totalement, il y a de plus en plus des connexions. Auparavant, lorsqu’on faisait un feat à l’international, il était souvent considéré comme raté, mais désormais tout a changé au travers d’artistes comme Gazo ou Central Cee. On pense que ça va se développer encore plus dans les années à venir.
Ventes Rap : Quelle est la spécificité du travail d’un éditeur indépendant, et à quels obstacles peut-il être confronté ?
Ismaël Kané : Le principe d’un éditeur, c’est de faire vivre le catalogue des ayants droits qu’on signe. Notre travail, c’est de repérer des auteurs et compositeurs, de cerner leur vision et leurs besoins afin de travailler ensemble dans l’objectif d’atteindre ce qu’eux ont en tête. Il y a parfois des compositeurs qui ne voient pas l’ensemble des possibilités d’ouverture car ils jugent qu’ils ne sont limités au rap. On va leur proposer de la synchro pour des marques, mais aussi d’autres styles musicaux lorsque c’est possible. C’est comme ça qu’on peut retrouver un Diabi sur le dernier album d’Eddy de Pretto par exemple. L’important c’est que les compositeurs et nos équipes soient satisfaits de la relation, afin afin que celle-ci perdure dans le temps. Nous n’avons pas le même budget ou le même catalogue que les majors mais nous travaillons pour. Malgré le fait qu’on soit indépendants, on a toujours quelque chose à apporter. Aujourd’hui on arrive à rentrer en compétition avec des majors sur certains deals. On a de bons échos des personnes avec qui on travaille, et certaines personnes préfèrent venir nous voir nous plutôt que les grosses structures. La major constitue un bon accompagnement mais n’est pas forcément une obligation.
Ventes Rap : Le fait d’être un éditeur indépendant procure donc plus de souplesse ?
Ismaël Kané : Dans un sens oui, c’est la vision de BlueSky. Nous n’avons pas de limites. On franchit toujours de nouvelles étapes, tout en visant plus haut. En ce moment, on travaille énormément à l’étranger au travers de séminaires en Angleterre et et Nigéria. On a signé deux compositeurs nigérians très talentueux, London et Ozedikus. Ozedikus a notamment composé le titre KULOSA d’Oxlade, qui est en train d’exploser en ce moment. Lorsqu’on est chez une major, il y a des bureaux spécifiques par pays, qui restreignent les compositeurs. On la chance de ne pas avoir ce carcan-là.
Ventes Rap : S’ouvrir à l’international en plus des nombreux pôles que vous développez actuellement peut-il être une source de blocage pour l’avenir ?
Ismaël Kané : Ce sont généralement des personnes différentes qui bossent sur chaque pôle. On se structure et on se répartit les tâches en bonne entente. On ne néglige pas la France quand on bosse au Nigéria. Dans tous les cas, je ne pense pas que ça nous bloque car notre objectif reste toujours le développement des artistes qu’on a et qu’on signe. BlueSky est comme un rayonnement, c’est la marque qui est mise en avant mais ce qu’on essaye de montrer derrière c’est qu’on travaille pour chacun des compositeurs. On parle avec nos compositeurs chaque jour et on sait ce que chacun veut. On ne va pas se dire qu’aujourd’hui on se focus sur l’Italie ou sur le Nigéria, on repère simplement certains marchés qui peuvent être intéressants pour qu’on puisse les proposer à nos compositeurs et artistes. Les tâches de chacun sont bien réparties et on ne se perd pas.
Ventes Rap : Que penses-tu de cette phrase « La temporalité d’un éditeur est généralement plus longue que celle d’un label ? »
Ismaël Kané : Je suis assez d’accord, le travail de l’éditeur se fait sur le long terme. D’un autre côté, c’est souvent aussi le cas avec un artiste signé en production, on doit souvent sortir plusieurs projets avant qu’il se passe quelque chose. On le voit avec les artistes du label, quand on signe un Frenetik, il y a une évolution énorme avec le développement derrière. Les fruits du travail de l’édition sont dans tous les cas décalés dans le temps. Quand on sort un morceau et qu’on le dépose à la Sacem, il se passe une année avant que les revenus soient récoltés et qu’on soit tous d’accord sur les splits (répartition des pourcentages d’éditions, ndlr). Le travail est plus long et c’est pour ça que lorsqu’on s’engage avec quelqu’un, il faut absolument que ça colle. L’idéal est qu’à la fin du contrat avec le compositeur ou l’artiste, tout se soit bien passé et que l’on renouvelle.
Ventes Rap : Avez vous déjà dépassé votre précédente statistique de 290 placements en 2021 à l’heure actuelle ?
Ismaël Kané : On n’a pas encore fait le compte, mais la situation a évolué par rapport à l’année dernière. Tout augmente d’année en année, que ça soit en terme de chiffres, de compositeurs, ou du nombre de personnes avec qui on travaille. L’année dernière, seulement quelques-uns de nos titres étaient à l’international, cette année, le nombre est bien supérieur. On a signé un artiste nigérian, et d’autres signatures sont dans les tuyaux. Sur la France c’est toujours faire plus et faire mieux. Ce n’est pas forcément aux nombres de placements mais plus en termes de satisfaction pour notre équipe. Par exemple, on regarde chaque semaine le récapitulatif du Top 100 SNEP et on est très souvent dedans. Cette année, il y a même eu une période où 4 des 5 titres plus écoutés étaient chez BlueSky. Malgré ça, on n’impose rien à nos compositeurs. Chacun a sa manière de bosser, mais nous sommes plus vers l’entente et la satisfaction.
Ventes Rap : Comment avez-vous repéré et signé Kerchak ?
Ismaël Kané : C’est le même procédé que sur la partie compositeur, toute la journée on suit ce qui se passe, on reste à l’affût des nouvelles tendances et sonorités. On a des échos de certaines personnes etc.. Nous essayons d’être toujours là dès le début pour d’abord rencontrer la personne. Sans promesse ou quoi que ce soit, juste parler. Voir où il veut aller, quelle est sa mentalité. Si le rendez-vous se passe bien on peut proposer quelque chose afin de travailler à deux. Et c’est ce qui s’est passé pour Kerchak.
Ventes Rap : Êtes-vous ouverts à signer des artistes dans d’autres registres que le rap ?
Ismaël Kané : On n’y est pas fermés, c’est avant tout une question de connexions et d’humain. Sacha et moi venons de Def Jam, on a un ADN rap plus prononcé de par nos parcours. Les autres styles musicaux sont dans notre radar également, mais comme tu l’as dit, on essaye d’y aller petit à petit pour ne pas se perdre sur trop de projets en même temps. Il existe des ouvertures mais c’est plus parsemé. Par exemple, Boumidjal a travaillé avec Louane. Ça dépend également de la volonté des compositeurs, car ce sont eux le moteur principal. Souvent, ils écoutent principalement du rap américain ou français. Mais certains ont le désir de s’ouvrir à différentes sonorités et on les accompagne en leur fournissant justement un autre catalogue.
Ventes Rap : Le 13 octobre, vous avez dévoilé Come Out Of The Blue, un EP 6 titres sur lequel on peut notamment retrouver Saamou Skuu, La Kadrilla et Gazy MP. Pourquoi avoir choisi des artistes qui ne sont pas signé chez BlueSky ?
Ismaël Kané : Ce projet, on y réfléchit depuis un petit moment. On avait également un projet en tête de faire une mixtape entre artistes de BlueSky, et c’est toujours en gestation. Mais comme tu disais, notre politique a toujours été de se positionner assez tôt sur les talents émergents. Nous ne sommes pas forcément les premiers, mais on va les rencontrer sans forcément proposer un deal ou quoi que ce soit, juste pour voir si humainement ça colle. Étant donné qu’on ne peut pas signer tous les artistes et qu’on aime bien collaborer avec eux, on s’est dit que c’était l’occasion idéale d’allier les deux.
Ventes Rap : Est-ce que cette mixtape est une manière d’imposer la marque BlueSky au grand public ?
Ismaël Kané : Oui, entre autres. L’idée principale du projet est de mettre autant en avant les compositeurs que les artistes. Mais le fait de faire monter la marque BlueSky bénéficiera aussi aux artistes qu’on a signé, donc c’est clairement un de nos objectifs.
Ventes Rap : Pourquoi avoir choisi le format 6 titres ?
Ismaël Kané : On a choisi ce format car on ne voulait pas faire une grosse compilation avec plein d’artistes en démontrant qu’on peut inviter pas mal de personnes. C’est une première cartouche où le public découvre quelques noms, et le format 6 titres s’y prêtait bien. C’est plus simple à écouter qu’une compilation de 20 morceaux. C’est une première cartouche avant la prochaine mixtape qui arrivera bientôt.
Ventes Rap : Déjà ? Avec plus d’artistes ou pas du tout ?
Ismaël Kané : On se fixe aucune règle sur ça, on se dit juste que ça peut être un rendez-vous récurrent où l’on peut faire découvrir de nouveaux compositeurs et des artistes en développement. Peut-être pas chaque année, on ne sait pas encore, mais on y travaille et on réfléchit à la suite. Ce concept est vraiment pratique pour la mise en avant des artistes, des compositeurs et en même temps nous positionner en tant que dénicheur de talents.
Photos : Wesan