Qu’on se le dise d’emblée : 1994 est une grande réussite, peut-être la plus grande de l’année. Alors que les albums blockbusters de Niska, Ninho et Damso, pour ne citer qu’eux, trustent les charts et enchaînent les certifications à tour de bras, Hamza, lui, publie sa mixtape entre l’album d’Orelsan platine en une semaine et celui de Kaaris à paraître ce vendredi. La fenêtre de tir est donc ténue pour le jeune Bruxellois promis à un avenir doré. Son nom est sur toutes les lèvres et le public semble divisé entre ceux qui adhèrent totalement et ceux qui renient en bloc sa musique si clivante. Souvent accusé de trop s’inspirer des tendances américaines toutes récentes et de produire de la musique impersonnelle, il s’avère que le constat est tout autre lorsqu’on se penche sur sa discographie. Immersion dans le processus artistique de Hamza qui l’a propulsé de novice à potentiel game changer en seulement deux ans.
➡️ De H24 à Zombie Life, la construction d’une identité torturée et enchevêtrée
Au fil de sa carrière, Hamza a su esquisser un personnage et le faire grandir. H24, son premier projet, sorti en 2015 et déjà considéré comme un classique par tout un pan du public rap, a servi à prendre la température : projet très dense (24 morceaux), très fouillis, il a peut-être tendance à s’éparpiller de trop. Il est le témoin d’un rappeur qui tâtonne à la recherche de son identité. Bien que musicalement très bon, regorgeant de pépites telles que Bibi Boy Swag, Love ou encore Nuages – l’exhaustivité nous aurait enjoint à citer absolument tous les morceaux de l’album – il n’arrive pas à esquisser un portrait suffisamment précis d’Hamza.
Ces bribes de traits de caractère, il a su les récolter pour les compiler à merveille dans sa mixtape sortie un an plus tard, Zombie Life. Sur ce projet toujours très dense, quoique légèrement réduit (20 morceaux), l’obscure silhouette du Hamza que l’on connaît aujourd’hui est enfin perceptible. Il fait le choix de reléguer l’aspect gangster au second plan pour devenir un homme à femmes assumé, les admirant avec délice sur les morceaux très licencieux que sont le torride Cuba ou le lancinant Slow avec Damso -un autre rappeur ayant fait des femmes le thème central de son art. Malheureusement, l’épicurien qu’est Hamza se voit frustré par les aléas d’une vie sans merci. Elle semble s’émietter sur Nuit de Folie ou Hennessy, morceaux qui tutoient les affres de son âme meurtrie. Il tente de panser ses maux, sans succès, par encore plus de femmes qu’il agrémente du cocktail du dépressif : de l’alcool et beaucoup de drogues.
➡️ New Casanova, ou l’achèvement d’une première étape dans la carrière d’Hamza
Toutefois, ce genre de personnage est assez récurrent dans le rap américain. Future en est le porte-étendard. Mais l’archer Hamza a d’autres flèches dans son carquois. C’est sur New Casanova qu’il se démarque pour de bon de toute cette plâtrée de pastiches qui pullulent sur SoundCloud. Avec ce très court EP aux sonorités dancehall, Hamza pose les dernières pierres d’un personnage qu’il aura façonné à travers trois projets pour presque une cinquantaine de morceaux. Son amour pour les femmes est érigé en passion ultime et dévorante, en raison de vivre. Il compense sa petite taille, souvent moquée, par une assurance, une confiance en soi débordante vis-à-vis de la gente féminine.
Ce décalage importe une autodérision folle qui croît les charmes de sa musique. Surtout, Hamza abolit avec brio toutes les frontières du rap dans lequel on essaie sans cesse de ceindre les rappeurs. En l’espace de quelques mois, Hamza est passé de Rari et Zeus, morceaux très rappés, gangsters, sombres, à New Casanova, 5 titres tropicaux exigeant des danses lascives et érigeant les femmes et le sexe en modèle de vie par des propos érotiques ornés de vocalises autotunées dans tous les sens. Cette palette qui paraît sans fin et sur laquelle Hamza excelle de bout en bout force le respect.
➡️ Hamza enfin prêt à conquérir le grand public avec la mixtape 1994
Après le cadeau de Noël Santa Sauce, Hamza nouvellement signé chez Warner et à la tête de son propre label JustWokeUp revient dans les bacs, aguerri, enfin prêt à conquérir le grand public avec 1994. Cette mixtape assemble merveilleusement toutes les pièces de ce puzzle et constitue la plus belle des cartes de visite qu’il aurait pu produire. L’entièreté de son projet transpire de son personnage hédoniste mais toutefois instable, dépressif, et surtout extrêmement drôle. L’ensemble de l’opus est criblée de sa discographie passée. Jodeci Mob, fait de monstrueuses basses sur lesquelles Hamza glisse avec son flow rappelle le fabuleusement entêtant Respect.
Pas de Remords le dévoile revanchard sur une mélodie de clavecin saisissante qui rappelle Ocean Drive de 21 Savage. Cette atmosphère mélancolique était l’essence même de Zombie Life à travers des morceaux comme Hennessy ou Tu Me Donnes Des Idées. Enfin, l’exotique Mi Gyal est probablement issu de la même session de studio que celle qui a donné naissance au rayon de soleil New Casanova. Maintenant en confiance, pleinement épanoui dans son art, Hamza s’autorise enfin des confidences plus personnelles sur le morceau qui sert d’outro à 1994. Durant l’espace de trois minutes, il se défait du masque de l’autotune et parle à cœur ouvert de son passé entre pauvreté, peine, contrôle au faciès et misère affective. Sans conteste le plus beau point d’orgue qu’il était possible de produire.
➡️ Au-delà des critiques, un travail de synthèse très complexe
Le reproche principal émis à Hamza est son inspiration flagrante des locomotives du rap américain. Il n’a aucun sens quand on sait que l’essentiel du rap français, depuis sa genèse, est calqué sur l’outre Atlantique. Onyx et Public Enemy ont probablement donné naissance au Ministère A.M.E.R. alors même que Mobb Depp ont posé les bases de tout le rap français de 1995 à 2005. De la même manière, il est injuste et faux de dire qu’Hamza s’inspire uniquement des nouvelles tendances. Il est vrai que sa musique transpire celle des scènes tentaculaires d’Atlanta et de Toronto. Toutefois, réussir déjà à produire une synthèse de ces influences est gage d’un traitement de la musique et d’un travail de génie.
Quand certains faillissent à la seule pastiche, Hamza sait piocher à bon escient les éléments afin de constituer son propre puzzle. Il brise les chaînes du copieur auxquelles les mauvaises critiques l’ont à tort enchaîné. Bien évidemment, Zombie Life est criblé des flows de Lil Uzi Vert. Son utilisation de l’autotune rappelle sans doute celle du texan Travis Scott, tout comme il est vrai que le personnage qu’il esquissait au départ rappelait celui de Future. Enfin, sa musique criblée d’ad-libs dans tous les sens rappelle Young Thug qui, surtout dans les Slime Season, se refusait à laisser la production se faire entendre au-dessus de lui. Mais, à cette synthèse grandiose du rap qu’il écoute aujourd’hui, il a su y incorporer sa sauce.
➡️ Derrière Toronto et Atlanta, l’influence du R’n’B des années 1990 et de 50 Cent
Cette synthèse, Hamza l’entoure de la bande-son de son enfance, composée de la culture R’n’B dans laquelle son père l’a bercé. Ses résurgences dans sa musique sont nombreuses et toujours amenées à la perfection, dans laquelle on ressent toute l’essence du R’n’B des années 90 et 2000. Hormis Jodeci et Destiny’s Child, groupes auxquels il rend hommage de différentes manières dans des morceaux éponymes, une multitude d’influences RnB transparaissent dans sa musique. Le chant suave qu’il adopte notamment sur Vibes ou Godzilla rappelle la musique de Dru Hill sur How Deep Is Your Love qui commence par… « I’m Godzilla ».
H-Town est aussi un influence notable, leur attrait quasi maladif pour les femmes et leur sensualité débordante transparaît tout au long du disque et notamment sur Silicone, morceau lubrique à souhait et enivrant dans lequel on apprend que le plastique n’arrêtera jamais la verve sexuelle d’Hamza : les mœurs ont changé, pas les procédés. Enfin, le puissant Juste Une Minute, par son sample de Ya Rayah venu d’ailleurs, rappelle la période orientale d’Aaliyah.
Parce que le rap s’est mis à chanter, Hamza s’en est approché. Son déclic dans le milieu est 50 Cent, un homme qui d’apparence est diamétralement opposé à la musique du bruxellois. Toutefois, l’oreille attentive détecte une multitude de refrains chantés qui ont fait la gloire de l’américain : Candy Shop, Window Shopper, P.I.M.P., Many Men… Hamza retrouvait en lui le R’n’B qui avait animé son enfance. Aujourd’hui il est en désuétude par rapport à cet âge d’or prolifique et le rap, par le biais de l’autotune, se met à chanter sans se cacher –pour le plus grand plaisir du belge qui retrouve les délices de son enfance. Hamza est en réalité le fruit d’une pléthore d’influences impossibles à énumérer, allant du RnB luxurieux et provocant des années 1990 jusqu’aux rappeurs hybrides de 2017 en passant par le rap de New-York. Hamza sait tirer de son capital culturel extrêmement varié l’élixir qui a donné naissance à une carrière qui, bien que très jeune, peut potentiellement marquer l’histoire de la musique urbaine.
➡️ Un talent reconnu sur la scène française, mais aussi à l’étranger
Force est de constater que le produit ‘Hamza’ est unique dans le rap francophone et que l’engouement de ses pairs autour de lui est notable. Très tôt, dès H24, il est repéré par Alkpote et Sidisid qui tombent sous le charme de ce jeune gangster libidineux bruxellois et le contactent pour une collaboration qui atterrira sur Ténébreuse Musique intitulée No Limit. Par la suite, c’est Seth Gueko qui, en plus de parler de lui dans chacune de ses interviews, l’engage pour un featuring très réussi : Comme Des Sauvages. Mais l’impact du belge dépasse de loin la seule sphère de Néochrome. Sa musique vient aux oreilles de Disiz qui, très fan, va jusqu’à Bruxelles pour enregistrer Marquises, présent sur son dernier disque Pacifique. Enfin, même Booba parle de lui sur les réseaux sociaux. En bref, nul n’ignore le nom d’Hamza dans le rap francophone.
En outre, il se permet le luxe de s’exporter à l’international : à plusieurs reprises, ses morceaux sont diffusés sur l’émission de radio très prisée OVO Sound Radio où sont notamment dévoilées des exclusivités des plus gros rappeurs américains. La Sauce, Love puis Vibes circulent librement sur leurs ondes. Mieux : il se connecte avec Ramriddlz, un rappeur américain à l’univers très proche du sien, pour un featuring d’anthologie sur New Casanova, El Dorado, avant de donner quelques shows en Europe avec lui.
➡️ Un projet qui pose les bases d’un rap hybride pour les années à venir
Avec 1994, Hamza a sans doute pavé la route que le rap francophone devrait emprunter ces prochaines années. L’opus pose les bases d’un rap hybride, perdu entre rap et chant, totalement décomplexé autant dans sa forme que dans son fond. Alors non en effet, il ne s’agit plus exclusivement de rap ici, on touche au R’n’B, au dancehall, à des rythmes afro-caribéens mais sans jamais trop s’écarter des bonnes grosses 808 et de l’autotune.
Cet album fondateur en rappelle un autre, forcément. Or Noir de Kaaris, qui a fixé en France les codes de la trap et du drill. S’il n’était pas la première tentative de faire comme ses homologues américains, le rappeur sevrannais a bien été le premier à cerner parfaitement les sombres tendances du rap de Chicago. Ce disque d’ores et déjà globalement qualifié de classique a été une notice d’utilisation pour moult rappeurs qui aujourd’hui comptent dans la scène du rap français : Gradur, Niska, 13 Block ou encore XV. De la même manière, Hamza a su saisir les codes des scènes de Toronto et d’Atlanta et à les coupler à son idiosyncrasie pour composer 1994. Il fait déjà et fera probablement des émules dans les années à venir. Alors que Cheu-B, Sneazzy, et même Kaaris, dans une moindre mesure, suivent déjà ses traces, il ne fait aucun doute que l’efficacité chirurgicale de la recette d’Hamza couplée à son succès d’estime et -on l’espère pour lui- commercial motivera toute une génération de rappeurs.
Malgré les influences éparses dont il s’est imprégné pour construire sa musique, il fait partie de ces artistes que l’on reconnaît en une seconde, à la première note, au premier mot. C’est avec une empreinte vocale reconnaissable par son grain grésillant et son traitement informatique léché qu’il a débuté sa carrière ex nihilo. L’effervescence méritée autour de 1994 fait état d’un renouveau dans la carrière du jeune Bruxellois qui, s’il ne conquit pas le grand public, aura déjà conquis les hanches et les nuques de tous ceux qui prêteront une oreille à son dernier bijou.