Artiste caméléon par excellence, actif dans la musique depuis plus de dix ans, ayant enchainé les expériences musicales avec groupe de reggae, collaboration avec Gerard Baste des Svinkels, mixtapes influencées par la musique anglaise, album commun avec Aelpeacha, le tout en enchainant des dates de concert sans jamais s’arrêter, A2H est parvenu à être un rappeur polyvalent sans même éprouver le besoin de forcer, réussissant à faire apprécier sa personnalité attachante de bon vivant. Cependant, malgré ses dix ans de carrière et sa polyvalence, l’absence de succès commercial fait que le rappeur de Seine-et-Marne est encore vue par beaucoup comme un nouveau qui a encore tout à prouver. Avec son troisième album solo intitulé Libre, il montre au contraire qu’il a tout d’un artiste confirmé qui maîtrise son style à la perfection, à défaut de maitriser sa vie dans son ensemble.
Car l’album se construit sur un paradoxe, celle d’un homme glorifiant la liberté (l’interlude Libre) tout en étant prisonnier de choses qu’il aime tant mais qui a long terme le font souffrir, ce qui donne lieu à des coups de blues et moments de doute assez sincère avec les morceaux Pardonnez-moi, Mélo, et J’peux plus. La trentaine qui approche et les responsabilités que cela entraine (devoir aider sa mère et la rendre fière, devoir gérer une carrière d’artiste indépendant en pleine crise de l’industrie musicale, le tout en devant assumer une vie de couple), A2 se remet en question tout au long du disque et fait une critique de ses mauvaises addictions, qui vont de la drogue («quand j’sors j’ai un trente balle sous le chiffre / C’est vrai, c‘est pas glorieux») à la malbouffe («mon bide est blindé de grecs, j’devrais penser au kit minceur») en passant par le manque de sommeil («quand j’me réveille il est 20h»). Les morceaux Grandis un peu et Décisions montrent un homme bloqué entre son amour pour ses péchés mignons et la conscience qu’il a de devoir diminuer ses pratiques (pour ne pas dire arrêter) sous peine de sombrer et de ne plus avancer dans la vie, un homme qui avant de donner des leçons de morales à ses auditeurs, s’en donne d’abord à lui-même.
Mais il y’a bien une addiction qui ne le fait pas tellement souffrir: la musique. Déjà parce que la musique, il l’aime passionnément (le morceau A la base) et ce jusqu’à la mort («Je lâcherai jamais la musique»). Ensuite car A2H croit réellement en ses qualités de musicien, si bien qu’il refuse de céder aux sirènes de la hype en la critiquant sans aigreur (Branché), préférant être lui-même et proposer (ou imposer) la musique qui lui plait. Conséquence de tout ça, on reçoit de la part d’un véritable passionnée et perfectionniste un album d’une grande musicalité, merveilleusement bien produit et avec un élément que très peu de rappeurs hexagonaux ont en leur possession: du groove.
L’album en est rempli. Qu’il exprime son mal être (Pardonnez-moi; Melo), ses relations avec la gente féminine (Hair d’amour, Les yeux dans les yeux) ou avec sa famille (Mama), ses moments de remise en question (Grandis un peu; Décisions), son amour pour sa musique (Excellent; Branché) ou ses balades nocturnes (Paname nuit », Nuit blanche), cela donne tant de morceaux fournit en belle mélodie par les différents producteurs de cet album (A2H lui-même, Ovaground Prod, Mem’s, Didaï, AAyhasis , OffTheWall), situées quelque part entre les productions du label californien TDE (Kendrick Lamar, Schoolboy Q…) et du label canadien OVO (Drake, PartyNextDoor…).
En grand amoureux du blues qu’il est, il nous offre deux superbes solos de guitare sur Grandis un peu et Mama. Plus moderne, un solo de synthé qui fait frissonner à la fin de Les yeux dans les yeux, véritable tube Barry Whitien de l’album. Sur ces productions, A2H ajoute avec sa voix grave une touche de crooner, mélangeant le rap et le chant le plus naturellement possible. Si cet exigence sur le plan musical peut l’empêcher d’avoir un succès grand public, cela ne pousse absolument pas A2H à vulgariser sa musique, tant sa passion pour cette dernière le motive à proposer la meilleur qualité sonore possible.
Pour ne pas tomber dans un album trop doux, le rappeur de Seine et Marne sait également faire des bangers pour faire secouer ses dreadlocks et faire lever les foules à ses concerts. Pour cela, rien de mieux que de s’entourer des bonnes personnes. A commencer par l’infatigable DJ Weedim, beatmaker le plus actif du rap français depuis plus d’un an (avec Richie Beats). Avec Une dernière fois, énième morceau d’A2H sur la verdure, le DJ niçois signe LE tube de l’album. Egalement le producteur orléanais Chilea’s avec l’excellent Sur ma vie ou A2H croise le micro avec le parisien S.Pri Noir, efficace comme d’habitude. Après son excellent travail sur Noblesse Oblige d’Espiiem, Chilea’s montre qu’il est l’un des beatmakers les plus intéressant du moment. Cependant on tombe parfois sur des semi-échecs avec Mes frères (feat 3010) et Partout, où les sonorités trop froides proposées par un Kobebeats que l’on a connu plus inspiré par le passé, tranchent avec la musicalité de tout l’album, même si on ne doute pas une seconde de l’efficacité que peuvent avoir ces morceaux en live.
Et quand A2 ne rappe pas calmement sur des productions groove, il rappe avec une grande autorité sur les productions plus puissantes. Excellent interprète, sa maitrise de la technique, de l’égotrip et du flow est digne des plus grand MC’s de ce pays. En témoigne le très bon A la base produit par Hits Alive et en featuring avec Flynt (qui se fait malheureusement bien trop rare ces derniers temps) ou A2H et l’auteur du classique album J’éclaire ma ville nous offre chacun une prestation rapologique de grande qualité pour rappeler l’amour qu’ils ont pour ce foutu rap. Toutefois, on sent bien que sur cet album, A2 a mis (un peu) de côté les performances de karateka pour proposer des morceaux plus compréhensibles. Au niveau du style d’écriture, plutôt que la recherche absolu de la punchline, il se laisse guider par ses émotions et envoi ses paroles en toute simplicité. Une simplicité qui le rend encore plus efficace.
Avec Libre, A2H nous livre incontestablement son projet le plus abouti, tant sur le contenu musical que celui des paroles. Mais la (terrible) limite de cet album, c’est le syndrome «ça plait à tout le monde mais personne ne sera à fond dedans». En effet l’éclectisme d’A2H ne lui permet d’entrer dans aucune case (sauf si on le met dans toutes les cases). Dans un pays où la classification est le sport national, cette ouverture musicale le pénalisera forcement. Les mêmes problèmes que peuvent rencontrer S.Pri Noir, Zekwe Ramos, la MZ ou encore Jarod. De faibles ventes seront (encore) malheureusement inévitables. Mais avec une petite mais fidèle fan base, un statut d’indépendant sur le plan financier et une activité régulière sur scène, cela fait plusieurs années qu’A2H arrive à vivre de sa musique en tant qu’intermittent du spectacle. Et tant qu’il pourra proposer la musique qui lui plait, A2 sera réellement libre (du moins artistiquement) pour le plus grand bonheur de ses auditeurs. Car libre, c’est comme ça que l’on a aimé A2H, c’est comme ça qu’on l’aime toujours et c’est comme ça qu’on l’aimera encore.