Le vendredi 22 mars à 20h, le duo le plus populaire du rap français a fait son retour avec Au DD, un clip particulièrement attendu qui, une semaine après sa sortie, dépasse les 25 millions de vues dont 7,5 en 24h et 12 en 48h. Dès sa mise en ligne, le clip se classe premier des tendances YouTube dans cinq pays (France, Canada, Belgique, Suisse, Maroc), deuxième en Algérie, sixième en Allemagne et neuvième en Espagne. On le constate, si le duo trouve un solide appui dans l’ensemble de la francophonie, il parvient à l’exploiter pour augmenter sa portée dans le reste de l’Europe. Titre le plus streamé en 24h sur Deezer, Au DD s’impose également comme le premier morceau de rap français à se classer dans le top 30 mondial de Spotify ! Avec 11.369.218 écoutes en l’espace d’une semaine, il décroche le record français d’écoutes dans cet intervalle. Sa sortie s’est également accompagnée de l’annonce de la sortie le 5 avril prochain de l’album Deux frères.
➡️ La communication comme prolongement de l’univers musical ?
Année après année, les deux frères ont adopté une communication de plus en plus cryptique. Après des mois d’attente, le duo annonce son retour pour la semaine du 18 mars. Vendredi, un peu après minuit, la chaîne YouTube de PNL diffuse un live énigmatique sur lequel des dizaines de milliers de spectateurs découvrent un plan fixe de la planète Terre depuis l’espace. Depuis le clip d’A l’ammoniaque, dans lequel on peut apercevoir une pleine lune en arrière plan, l’astronomie s’est mise à jouer un rôle primordial dans la communication du duo. Peu à peu, on distingue sur la face ombragée de la planète des écritures tracées par des taches de lumière. Dans l’espace, des références à d’anciens singles d’Ademo et NOS apparaissent au fil des heures, accompagnés de passages de musique diffus. Au cours de la journée, le live accueille un nombre toujours plus important de spectateurs alors que la Terre approche de l’écran. Pour les tenir en haleine, des messages font référence à l’astéroïde EA2, qui frôle la Terre durant le live, puis des cadrans indiquant des horaires de plus en plus proche. Alors que la Terre s’est définitivement rapprochée, l’écran finit par afficher dans toute sa largeur l’heure de publication du clip d’Au DD : 20h. Entre temps, la folie du live aura gagné l’ensemble des réseaux sociaux. Le journal 20 Minutes lui consacrera même une page évolutive sur internet pour suivre son évolution en direct ! Le clip et le live sont d’ailleurs conçus de sorte que le premier apparaisse comme la continuation du second : alors que la Terre s’est fortement rapprochée au niveau de la Tour Eiffel, le clip commence par une descente des nuages vers le brouhaha parisien symbolisé par un son de sirène. Le site de critique Goûte Mes Disques y voit une victoire de la communication sur la musique. Ce qui est certain, c’est que comme le souligne l’article, PNL ont définitivement effacé la frontière entre l’oeuvre et sa promotion qui en est une part intégrante. Plus qu’un simple moyen d’attirer l’attention du public, elle apparait comme un prolongement de l’univers des deux frères dans la réalité de leur public.
➡️ Une composition inhabituelle et aérienne signée TrackBastardz
Commentaire de Bouchay Beats, compositeur pour Columbine, Djadja & Dinaz et Gianni
Le début de la prod me fait penser à Luz de Luna sans le côté hispanisant et flamenco, le morceau est assez rare en termes de mixage parce que la prod met vraiment en avant la guitare et les voix de PNL en leur laissant beaucoup d’espace. D’habitude, on va mettre des kicks, des drums, des percussions très fortes jusqu’à que ça sature pour que ça turn up un peu. Là, c’était pas l’objet du tout. Je surinterprète peut-être, mais le côté enivrant et aérien est peut-être lié au fait d’avoir tourné un clip sur la Tour Eiffel. Pour l’intro, on a des arpèges de guitare acoustique, une mélodie plutôt mélancolique qui est filtrée et qui sort progressivement du filtre jusqu’au début du couplet d’Ademo. Ca va bien avec le début du clip où on sort des nuages et donc, en quelques sortes, d’un filtre. La mélodie se répète et c’est ce qui donne le côté enivrant du morceau. Ensuite, des percussions apparaissent : des maracas, un clave… L’effet de réverb sur la mélodie de guitare lui donne un côté aérien qui est aussi renforcé par sa répétition, puis une basse apparait progressivement pour ne pas que ce soit brusque car c’est une prod plutôt douce. Le clave a sa propre réverbération, qui accentue le côté aérien de la guitare. Pour le couplet d’Ademo, les drums (le kick et le clap) qui apparaissent plusieurs mesures après le début. Ce n’est pas courant dans le rap, d’habitude les percussions commencent dès le démarrage du couplet. Les drums sont super minimals, pas de roulement de Charleston, pas beaucoup de kicks, c’est probablement mixé très bas pour laisser de l’espace à Ademo et la guitare. Ensuite, avant le refrain, on a une sorte de pont, d’accalmie dans le morceau dans laquelle tous les instruments du couplet sont filtrés. Ca donne l’impression d’écouter de la musique sous l’eau, une sorte d’effet étouffé du morceau. Sur le refrain on a juste un Charleston qui apparait en plus mais qui reste minimal. Juste après le refrain, on entend une sorte de break avant le couplet suivant. C’est pas courant non plus, je pense notamment dans un style très différent à Mauvais Djo de Kaaris. Le couplet de NOS est pas du tout similaire à celui d’Ademo parce qu’il rappe beaucoup plus vite. Quand il commence à rapper, on entend une sorte de point d’orgue du morceau parce que tous les drums et percussions sont accentués par son flow rapide et quasiment tous les instruments jouent, ça donne une dynamique. Par certains moments, on entend des coupures de l’ingé pour accentuer des fins de phrases, ce qui en fait vraiment un summum du morceau…
➡️ Un clip à la symbolique forte et aux influences éclectiques
Le clip est certainement l’élément d’Au DD qui aura fait couler le plus d’encre. A tort ou à raison ? La réalisation est inscrite au nom de QLF, pour QLF Records… Une inscription assez énigmatique qui rappelle qui la subvention du Centre national du cinéma et de l’image perçue pour le tournage indiquait le nom de Tarik Andrieu, plus connu sous le nom d’Ademo. Dans les faits, la production exécutive est confiée à Arthur Catton pour Big Productions, une société spécialisée dans les tournages à gros budget, en particulier pour le compte de marques comme Burger King, KFC, Google ou encore Paypal. Pour les prises de vues, PNL fait appel à Quentin de Lamarzelle, déjà rodé aux codes du rap français grâce à son travail aux côtés d’Adrien Lagier & Ousmane Ly sur 1000° de Lomepal et Pas joli de Kekra. S’agissant de PNL, difficile d’occulter les nombreuses références qui parsèment les images d’Au DD. Parmi celles-ci, les renvois aux premiers titres et albums des deux frères sont particulièrement nombreux, un soin du détail et une manière de tisser un univers déjà caractéristiques du style de PNL et qu’on entrevoyait déjà au moment du live YouTube. L’architecture assez particulière de la Tour Eiffel est finalement assez peu exploitée par les deux frères, son emploi répond essentiellement au besoin symbolique de démontrer la hauteur de leur position. D’aucuns y voient le terme d’une évolution engagée avec J’comprends pas en 2015, suivi de DA en 2016 : de clip en clip, la Tour Eiffel se rapproche en arrière-plan, jusqu’à être accaparée par Ademo et NOS. D’ailleurs, on retrouve dans Au DD cette idée de vis-à-vis entre les images tournée au drone sur la Tour Eiffel et celles capturées dans une tour d’immeuble balayée par le faisceau de la dame de fer, qu’on finit par apercevoir au loin. Dans le hall, un personnage au visage caché par un masque à l’effigie de l’album Le monde Chico effectue des mouvements désordonnés, un mime quasi-épileptique qui n’est pas sans rappeler le personnage central de Territory de The Blaze. Autre influence potentielle, celle de Gosh de Jamie XX tourné dans le quartier-fantôme de Tianducheng et dont le moment fort est marqué par un mouvement de foule soigneusement chorégraphie sous une réplique de la Tour Eiffel. Si la réalisation de ce clip largement commenté avait été confiée à Romain Gavras, un certain Kim Chapiron y était intervenu en tournant notamment un making-off… Avant de travailler deux ans plus tard avec un certain duo des Tarterêts !
➡️ Une plume inchangée, une révolution des thématiques et mélodies
En termes de musicalité, PNL marque un virage avec un titre plus décomplexé, dansant malgré ses aspects très aériens. Ce virage est nécessaire. Après trois ans d’attente, Deux frères se doit de marquer une évolution dans les thématiques abordées, dans les mélodies et la construction. Cette décomplexions est illustrée à l’image par les mouvements de danse hystériques de la scène de l’ascenseur, particulièrement inhabituels dans les visuels de PNL. On retrouve dans le texte du titre quelques références supplémentaires à l’univers des précédents projets : « Sur ton cœur, j’fais trou d’bullet / J’fais tache de sang sur le pull » rappelle le refrain de Le monde ou rien, « Que la famille, personne nous inquiète jusqu’au dernier gramme » pour retracer la carrière du duo, de leur premier projet à l’un des singles de leur dernier album en date, sans compter les références récurrentes au personnage de Manny et aux marques de luxe. Comme d’habitude également, on retrouve une métaphore filée du quartier et de la jungle : « Eh, poto, démarre dans la jungle, j’y suis H24, j’y fais des singeries », « T’as reconnu le cri, igo t’es animal », mais aussi dans la manière de rapporter les paroles de leur père sur le pont. Le couplet d’Ademo semble néanmoins beaucoup plus structuré qu’à l’habitude, au point qu’on puisse tracer un lien logique entre son début et sa fin. A l’inverse, NOS laisse inchangée sa plume faite de phrases détachées les unes des autres, chacune porteuse de sens et toutes entrecoupées d’onomatopées. Malgré une évolution sensible sur le couplet d’Ademo, l’écriture est certainement le point sur lequel le duo a le moins évolué. En revanche, le fond du texte d’Au DD trahit une certaine lassitude de la grandeur de la part d’un duo qui s’était fixé le sommet comme objectif. Un sentiment qui entre en contradiction avec les stratégies et les moyens mis en oeuvre autour du clip (un budget pharaonique, privatisation d’un des monuments les plus célèbres au monde, rendu quasi-cinématographique, communication axée sur les mouvements des astres) mais qui conforte Ademo et NOS dans leur volonté de se ressourcer en se repliant sur eux-mêmes, d’où le nom de l’album Deux frères.
🏆🔥 #5avril #DeuxFrères 👥 https://t.co/4Io90aAukD
— PNLMusic (@PNLMusic) March 29, 2019
➡️ Une post-promotion axée sur l’international : le nouvel objectif de PNL ?
Inconcevable pour PNL de stagner. Commercialement, musicalement dans une moindre mesure, chaque nouvel album du duo des Tarterêts marque une étape majeure de son parcours. Après Que la famille, projet confidentiel qui attire l’attention de quelques journalistes spécialisés, Le monde Chico a définitivement installé les deux frères sur la scène rap hexagonale. Fin 2016, le succès commercial de Dans la légende projette PNL parmi les artistes majeurs du pays tous genres confondus. Le duo a d’ores et déjà dépassé le seul public rap et s’impose comme un phénomène musical global. La force de PNL, c’est la capacité du groupe à écrire son propre narratif. Après s’être mis l’hexagone dans la poche, les deux frères semblent vouloir s’imposer dans le monde (Chico), ou du moins en Europe. Après avoir fait la couverture du magazine The Fader en 2016, ils posent la première pierre de leur rayonnement international en se faisant inviter au festival de Coachella l’année suivante… Projet avorté, pour des raisons indépendantes de la volonté du groupe et des organisateurs. Qu’à cela ne tienne, cette fois sera la bonne ! Pour attirer l’attention à l’étranger, quoi de mieux que de s’approprier le plus célèbre des monuments français ? Le résultat ne manque pas de se faire sentir, et au fil des jours qui suivront la mise en ligne du clip, le duo s’empressera de mettre en avant sa couverture presse internationale. Encore une fois, le narratif joue un rôle primordial dans l’accomplissement du nouvel objectif de PNL…
— PNLMusic (@PNLMusic) March 26, 2019