Ipséité : Identité propre ; ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre.
Damso : « La faculté de rester le même malgré les changements qui se passent dans nos vies ».
Et si je vous disais qu‘Ipséité, est un album qui parle principalement d’amour et de questionnement intérieur ?
Vous allez me répondre que nous n’avons pas écouté le même album ?
Si c’est le cas, vous n’avez sûrement RIEN compris à Ipséité.
A peine arrivé en 2015 avec un couplet très remarqué sur Pinocchio dans l’album Nero Nemesis de Booba, le MC belge, qu’on ne présente plus si ce n’est à travers cette vidéo de Booska P., nous a pondu Batterie Faible en 2016 puis aujourd’hui Ipseité.
Ayant travaillé Batterie Faible (son ancien opus qui est également depuis quelques mois son premier album disque d’or) dans un temps limité, Damso s’est vu disposer de plus de temps pour réaliser son nouvel opus qu’il a teasé avec une promo assez originale, préférant garder précieusement les titres de son album pour sa sortie. C’est dès janvier 2017 que, pour tenir le public en haleine, Damso sort des musiques à format réduit, postées sur les réseaux sociaux où il enchaîne les punch-lines entre egotrip et remise en question comme son rap sait si bien le faire.
Lors de sa promo plutôt originale, le bruxellois annonça même la date de sortie de son album sous forme d’énigmes en usant de l’alphabet grec (il avoua en interview que ce dernier est un pont pour le prochain album qu’il est déjà en train d’écrire).
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27 Avril 2017 comme indiqué sur le post ci-dessus : c’est à cette date qu’arrive donc le second album tant attendu de Damso. Mais alors, qu’est-ce qu‘Ipseité et surtout, pourquoi ne l’avez-vous sûrement pas compris ?
« Damso c’est celui qui fait que de parler de cul dans ses sons là ? »
Évidemment, il est impossible de parler de Damso sans évoquer les paroles crues dans ses textes ainsi que son rapport constant au sexe. Ce thème est récurent dans sa musique ce qui repousse, parfois encore, certains auditeurs. Une attitude qui est compréhensible mais une question qui se pose alors : pourquoi lui qui emprunte un clivage hardcore (qui n’est pas en reste sur les punch-lines crues et parfois salaces), choque autant ? « Sperme dans les yeux, l’amour l’a-t-elle aveuglée ?/J’fais que du lourd, je ne viens plus à la pesée ». Et bien simplement parce que le rappeur belge n’a pas la même façon de parler de relations sexuelles que les autres. Damso ne l’utilise pas comme bouche trou, il s’applique à mettre ce sujet au centre de son écriture. Il avoue ne parler que de ce qu’il connaît, et sa manière d’aborder le sujet est peu commode. Parler de sexe dans le rap est souvent fait de façon ironique pour créer le malaise, ou au détour d’une phrase pour la forme. Damso l’utilise comme tremplin pour exprimer différents mal-être et notamment sa peur de l’amour comme il le dit dans Δ. Dieu ne ment jamais « Dans son vagin, je me défoule/À chaque « je t’aime », je me débrouille » ou encore dans Γ. Mosaïque solitaire « Ne dis pas « j’t’aime » quand tu me vois/Viens pas dans mon lit mais sous ma ble-ta/Pourquoi j’suis comme ça ? /M’le demandez pas/J’saurais pas trop quoi vous répondre ». Damso utilise ce thème de façon très sérieuse ce qui est peut-être une manière de tenir en haleine son auditoire. Il évoque dans un premier temps des sujets plus tabous pour se diriger vers des choses plus complexes et moins amusantes (la preuve, j’ai commencé par aborder un tabou vous êtes encore là à lire ma chronique). Et si vous êtes si intéressés par la relation entre les textes de Damso et le sexe cet article du Huff Post est fait pour vous…
« Il a l’air vraiment froid Damso on dirait qu’il a pas de sentiments »
De la même manière que Damso utilise le sexe pour exprimer un mal-être, le rappeur a une façon bien à lui de parler d’amour : en effet, lui qui dit dans Η. Gova « J’ai qu’un seul amour : Mama Lova » semble être tiraillé par des sentiments bien plus profonds dans le titre Θ. Macarena. Dans ce titre, il dépeint un jeu de possessivité en s’appuyant sur une relation qu’il a vécu avec une femme plus âgée que lui et déjà engagée, où il explique de façon assumée qu’il préfère qu’elle lui appartienne (situation où lui seul puisse trouver son bonheur) plutôt qu’elle puisse trouver le sien avec quelqu’un qui l’aime réellement. Ce dernier exprime alors le comportement parfois égoïste de l’homme, ainsi que sa propre difficulté dans les relations avec les femmes. « Donc je me dis qu’si t’es avec lui, tu te sentiras mieux/Mais si tu te sens mieux, tu te souviendras plus de moi[…]. Tu baises avec moi, tu baises avec d’autres/Même si j’fais pareil , c’est pas la même chose. » Bien évidemment l’amour est un sentiment qui ne se partage pas uniquement entre un homme et une femme, ce pourquoi il l’exprime également en parlant de sa terre natale dans Κ. Kin la belle (Kin la belle étant le surnom de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo) « Oh Kin la belle/Tu ne sais pas combien je t’aime/RDC, ma patrie, mes gènes » ou celui qu’il éprouve pour son enfant dans Ι. Peur d’être père et les choses qu’il serait prêt à faire pour assurer le bonheur de ce dernier. « Je réserve une balle pour celui/Qui en aide jamais ne te viendra/J’ferai le ménage, j’vais nettoyer celui/Qui entre nous se tiendra » et des peurs que ses défauts déteignent sur son petit.
Damso a une personnalité assez complexe, ce qui n’aide pas forcément à la compréhension de ses écrits. Le point de vue abordé par l’auditeur est très important. Par exemple, le morceau N. J Respect R qui, à première vue, ressemble à un doigt d’honneur général aux opportunistes qui ne croyaient pas en lui et qui n’hésitent pas désormais à lui faire des courbettes pour profiter de son succès. « J’viens à ton mariage en training Pour bien te manquer de respect/Car depuis qu’on se connaît/Nan, jamais tu ne m’as phoné/Bah ouais, à part hier quand j’ai cé-per/Donc t’étonnes pas que j’respecte R » Le morceau prend une dimension différente avec le clip qui ressemble plus a une dédicace à l’ensemble des gens qui l’ont soutenu avec ou sans succès comme les membres de son crew OPG.
« Damso ? C’est le nouveau Kaaris de Booba non ? »
Si une chose doit représenter Ipseité, c’est la singularité du personnage de Damso, d’où le titre.
Il est fréquent chez le public rap en France de vouloir associer chaque rappeur à un homonyme américain ou un de ses prédécesseurs. En France, c’est une chose qui reste assez compliquée avec Damso. Bien entendu, lorsque ce dernier est apparu sur la scène française aux cotés de Booba avec des morceaux aux accents Trap tels que Bruxelle Vie ou Débrouillard, il est évident de voir les comparaisons avec Kaaris pleuvoir. Cependant, le temps nous a démontré que les 2 artistes sont incomparables et que Damso se force à nous prouver qu’il n’est que peu comparable avec l’ensemble des rappeurs du game français ou même américain. Difficile de savoir qui est réellement l’artiste car lui-même se pose la question. C’est dans le morceau Ζ. Kietu « Nan, nan, tant de questions qu’elle me pose/Sur mon présent, sur mes névroses/Dis-moi c’que tu fais la nuit, dis-moi c’que tu fais dans la vie/Dis-moi c’que t’as contre les filles/Dis-moi si c’était vrai pour Amnésie » que ce raisonnement est le plus poussé. Le refrain est posé sous la forme d’une question qu’une femme lui poserait, mais il avouera en interview que cette question peut être posée par lui pour lui ou comme il l’exprime dans Α. Nwaar Is The New Black « J’parle tout seul parce que personne sait répondre ». Le climax de ce questionnement est au dénouement du CD dans le titre Ξ. Une âme pour deux où le rappeur se met en scène dans une aventure où il est sujet à une expérience de Walk In (comme il l’explique « C’est en quelque sorte une entente entre deux âmes. L’âme qui est dans le corps décide qu’elle ne peut plus continuer de vivre.») et cette expérience échoue car l’âme qui cherche à le posséder est incapable de reproduire la chose qui caractérise le plus « son flow ».
Ipseité est un album qui trouve sa singularité également dans ses sonorités. Damso avouera ne plus trop écouter de rap et cela se ressent. A l’ère de l’afro-trap, il est rare de trouver dans le rap français des sonorités afro se rapprochant de morceaux comme Κ. Kin la belle ou même Ι. Peur d’être père, dans une période où le rap hardcore est largement dominé par la Trap et l’utilisation répétée de l’auto-tune. Il est rare de trouver un projet comme Ipseité contenant peu de sonorité Trap et des refrains chantés avec pas ou peu d’auto-tune. En plein âge d’or de la Zumba, difficile de faire un son comme Λ. Lové possédant une instru proche de la House Music. Si l’on peut reconnaître une inspiration à Damso, c’est celle d’un autre belge, le chanteur Stromae qui lui aussi utilise le hip-hop pour créer une sorte de « variété alternative ». C’est dans le morceau Ξ. Une âme pour deux que l’on reconnaîtra le style de Stromae emprunté à des morceaux tels que Formidable ou Humain à L’eau.
L’artiste qui s’est promis de ne pas changer pour plaire aux autres « Une seule erreur et t’as plus d’followers/Donc j’fais c’que j’aime non pas c’que l’on me dit » et au perfectionnisme poussé (200 sons ont été écrits pour cet album) est en effet un artiste unique en son genre.
Ipséité, l’album au nom atypique et aux sonorités nouvelles est en effet la continuité de Batterie Faible. On déplorera l’absence de banger au niveau de Bruxelles Vie et de l’absence de featuring notamment avec les membres du 92i. Mais ce sont des maux nécessaires pour faire de ce CD le projet qui permettra alors à Damso d’élargir sa fanbase. Fier de son entrée en rotation, proche du projet qui le signera comme incontestable poids lourd du rap français, c’est dans un second opus dans l’ensemble réussi que ce dernier s’illustre. Maintenant que vous avez enfin compris ce que cet album signifiait, je vous autorise à vous rincer l’œil sur le dernier visuel de celui-ci #VIE.