Le 2 octobre 2015, Niska dévoilait sa mixtape Charo Life, un projet de 14 titres qui suscitait une grosse attente suite au buzz phénoménal des clips du jeune rappeur d’Évry (plus de 50 millions de vues sur le Freestyle PSG). Malgré cette attente, le projet ne s’est écoulé en première semaine qu’à 8361 exemplaires pour dépasser les 20 000 en janvier 2016, un chiffre très honorable pour une première mixtape en France mais qui reste en deça des attentes… L’importance croissante des chiffres de vente dans la perception des artistes par le public a largement contribué à remettre en cause la place de Niska sur la scène rap française, alors que le compteur des vues, sans tomber en berne, a légèrement ralenti. Sorti le 3 juin 2016, Zifukoro est le premier album de Niska destiné à l’inscrire pour de bon dans le paysage du rap français.
L’importance de la promo
Avec Zifukoro, Niska cherche définitivement à se débarrasser de son statut de buzz éphémère pour fidéliser un public stable et s’intégrer pour de bon à la scène rap française. Début janvier, il dévoile Maître Chien puis Boug en Plus et J’suis dans l’truc en mars, trois sons bonus dont deux proposés dans la précommande de l’album avec l’inédit Seconde chance, qu’il dévoile début mai. Alors que Maître Chien se place dans la lignée musicale de Charo Life, on commence à sentir un début d’évolution musicale sur Boug en Plus qui est très bien accueilli. En mai, Niska passe aussi chez Skyrock où il dévoile notamment en live le morceau Speingof, l’une des pièces maitresses de l’album. Le freestyle Booska Zifukoro marque bien le tournant que le rappeur évryen cherche à inscrire: une écriture un peu plus travaillée, des variations de flow, un effet vocal assez inhabituel au refrain…
La diversité des influences
C’est l’une des premières choses qui frappent l’oreille à l’écoute du projet… Contrairement à Charo Life qui était largement influencé par la tendance drill de Chicago et la trap d’Atlanta jusqu’au Freestyle Booska Charo sur lequel il avait adopté le gimmick « oblah », qui désigne en fait le quartier du rappeur Chief Keef O’Block, Niska a su adopter une large palette d’influences sur Zifukoro. Lorsqu’il scande au début de la deuxième piste du projet Italia « mafia! mafia! mafia! » on ne peut pas s’empêcher de penser à la Three 6 Mafia, groupe emblématique de Memphis, et à l’actuelle formation Da Mafia 6ix qui ont adopté une signature vocale très ressemblante par exemple au début de Lock’m N Da Truck. Rien de surprenant en soi, Memphis ayant largement contribué par son influence à la création de la trap dont le rappeur d’Evry est familier.
Mais les influences principales de Niska se situent plus au Nigéria et dans les départements d’Outre-Mer français. Pour Niska qui déjà en 2014 criait « j’t’accoste en boubou! » et en 2015 « on ne mélange par le caviar et le pondou, j’suis en conférence avec Obama et Mobutu » (dans Mama dont il a tourné le clip en boubou), le tournant afrobeat s’imposait de lui-même. La popularité du mouvement afrotrap dont on peut faire remonter les racines à Niska est un fantastique tremplin musical pour le rappeur d’Évry qui tente de s’extraire de l’impasse de la « trap pour la trap » qu’il avait adopté sur sa mixtape. Au-delà de l’afrobeat, qu’on retrouve essentiellement sur Mustapha Jefferson, Elle avait son Djo et Speingof, Niska invite sur son projet Sidiki Diabaté, jeune chanteur malien qui modernise les sonorités traditionnelles de la kora et cumule des millions de vues sur ses clips sur YouTube.
Les influences caribéennes et antillaises sont plus difficiles à déceler que les influences africaines. Niska ne cache pas son rapprochement avec les îles créoles depuis Boug Mwen tourné en Martinique. Le clip de Maître Chien qu’on avait déjà évoqué auparavant avait été tourné à Cayenne en Guyane. On remarque dès la lecture de la tracklist la présence de Kalash sur la huitième piste, L’ennemi. Cependant, l’artiste martiniquais présent uniquement au refrain n’utilise pas le créole dans ce morceau. Les influences musicales guadeloupéennes de Niska se ressentent également sur Speingof, notamment les mélodies et les parties chantées qui ne sont pas sans rappeler le bouyon, un genre mixte issu du dancehall jamaïcain et de la soca trinidadienne entre autres, et largement popularisé par la vie nocturne. Loin d’être une influence majeure, la musique d’Outre-Mer se fait tout de même ressentir par moments ce qui est symptomatique du mélange musical réalisé sur Zifukoro.
Des collaborations fructueuses?
On parle ici non-seulement des collaborations artistiques avec des producteurs et rappeurs, mais aussi des apparitions. Niska est l’un des rares artistes à avoir correctement exploité les tendances des réseaux sociaux, notamment Observateur Ébène présent sur son passage à Planète Rap et sur le clip de Mustafa Jefferson dans lequel on retrouve aussi les membres du collectif d’humoristes Woop Gang. On retrouve aussi Seth Gueko dans le clip de Boug en plus, Niska a tenu à s’entourer d’artistes en place afin de s’assurer une certaine exposition et de confirmer sa place sur la scène rap française. On retrouve cette volonté dans la tracklist de l’album très fournie en grands rappeurs français: SCH, Gradur, Booba et Maître Gims, sans compter Kalash qu’on avait déjà évoqué. Bien sûr, les collaborations avec Maître Gims et Gradur s’inscrivent dans la lignée des précédentes, à savoir le fameux Sapés comme jamais qui cumule désormais plus de 160 millions de vues sur YouTube et #Remember et Philly extrait de Shegueyvara 2.
Au niveau des prods, « DJ Bellek fait le piano » mais on retrouve tout de même un certain nombre d’autres beatmakers tels que Kore sur On l’a fait ou encore Jo A Touch, producteur proche de Wati-B et H-Magnum. Il est intéressant de constater sur ce point que Niska semble s’approprier un flow proche de celui d’H-Magnum sur Seconde Chance. Outre Kore et Jo A Touch, on retrouve Yasser Beats sur deux pistes (Mama Lova et Midi Minuit), Derek Beats sur Claquer la monnaie, Tommy Beats sur Tookie, John Kercy sur Oh Bella Ciao, Seezy sur Revendicateur et Izi Time Beats sur Speingof. Concernant la qualité des featurings, en-dehors du refrain décevant de Mauvais payeur avec SCH, on se réjouit de l’énergie de M.L.C (et de la référence à La cité de Dieu) où le flow de Booba rappelle son couplet sur Balti, la collaboration avec Maître Gims égal à lui-même est très bonne, Niska ayant réussi à mieux s’adapter aux mélodies du morceau, et le couplet de Gradur sur Cala Boca est très énergique et colle au morceau.
Une marge d’évolution musicale
La force de Niska sur cet album est avant tout d’avoir su se ménager sur Charo Life une grosse marge de progression qui lui a permis d’évoluer sur une bonne partie du projet. Cette évolution se manifeste au niveau des lyrics en premier lieu. Vivement critique sur ce point, le rappeur évryen a fait un effort sur certains morceaux qui n’a malheureusement pas été généralisé à l’ensemble du projet. Sur ce point notamment, le morceau Zifukoro qui ouvre l’album a surpris beaucoup d’auditeurs notamment sur le deuxième couplet. Le projet est parcouru de fulgurances d’écriture (dans Mama Lova « je suis comme un lion, je domine dans la faune / la loi du Talion, les faux dans la fosse » ; dans Mauvais Payeur « Dieu a béni mes plantations / L’argent est le fruit de la passion ») et globalement on remarque un travail de fond sur le vocabulaires et les rimes qui apporte beaucoup au projet. Cependant, l’une des formes majeures de Niska reste son énergie, et son côté brut est pour le moment associé à son identité musicale et à son univers, l’effort d’écriture doit donc rester balancé de manière à conserver cet aspect caractéristique du rappeur.
L’album Zifukoro s’est écoulé en première semaine à 8615 copies. Encore une fois, c’est un résultat qui semble décevant puisqu’il ne s’est vendu qu’à 300 exemplaires de plus que son précédent projet qui était une mixtape, et au vu de l’exposition des participants et de l’efficacité de la promotion du projet. Cependant, outre le fait qu’il est difficile de distinguer aujourd’hui la différence entre les mixtapes et les albums en rap français à l’heure actuelle, ce chiffre annonce finalement la stabilisation de Niska, qui a trouvé un rythme de croisière en terme de ventes et s’est donc bel et bien inscrit dans le paysage du rap français. Un peu brouillon du fait que le rappeur tente de concilier énormément d’influences et d’idées avec les besoins de la promotion, Zifukoro reste un bon album très varié, qui laisse à présager des sorties intéressantes du côté d’Évry à l’avenir…