Enfant, Jahseh Dwayne Onfroy semblait déjà trop fragile pour ce monde. Son hyperémotivité se traduisait par une agressivité extrême qui tire probablement son origine d’un traumatisme. A l’âge de six ans, il voit sa mère se faire attaquer par un homme : ni une ni deux, il s’empare d’un couteau et tente de poignarder l’assaillant à plusieurs reprises. Élevé par sa grand-mère, loin de sa mère, cette séparation douloureuse ainsi que son vif passé ont germé dans son esprit vif et trouble à la fois. Très violent, il est régulièrement pris dans des bagarres et est exclu de la chorale dans laquelle il chante mais aussi de son collège, à chaque fois pour des faits de violence.
➡ Une personnalité troublée marquée par un environnement violent mais poussée par sa passion pour la musique
Ayant grandi à Pompano Beach, à l’instar de Kodak Black, il connaît la violence de la ville située en banlieue de Miami. Il entre en détention juvénile pour possession d’armes où il fait une rencontre déterminante sans laquelle Jahseh Dwayne Onfroy ne serait probablement jamais devenu XXXTentacion : celle de Ski Mask The Slump God. Fortement influencés par le hard rock et le nu metal ainsi que le rap, les deux hommes se revoient après leur séjour en prison. Ensemble, ils commettent des vols afin de se payer du matériel permettant d’enregistrer leurs premiers essais musicaux. C’est à travers un micro payé avec le fruit de ces larcins que XXXTentacion fait ses premiers pas dans la musique avec Vice City. Un an plus tard, il publie son premier projet, The Fall, fortement teinté de ses sombres influences musicales et de la musique de SpaceGhostPurpp. Alors que la sauce commence à prendre, XXXTentacion abandonne son job et emménage en colocation avec Denzel Curry, un autre jeune fougueux de la scène floridienne.
Toutefois, sa carrière prend une autre dimension supérieure avec la déflagration Look At Me!. La puissance de morceau, explosif, ténébreux, aussi mal mixé que débordant de haine, est un véritable défouloir ayant séduit le monde entier. XXXTentacion tente de capitaliser sur ce succès grandissant en incluant son morceau phare dans une mixtape, Revenge, ainsi qu’avec une tournée, Revenge Tour qui n’arrivera pas jusqu’à son terme. En effet, la fusillade dont un de ses cousins a été la cible l’a poussé à l’interrompre. En outre, la tournée très médiatisée est entachée de nombreux faits de violence : un fan s’est fait poignarder lors d’un de ses concerts tandis que dans un autre, XXXTentacion s’en est pris physiquement à un de ses fans, lui décochant une droite en plein visage. Il a lui-même subi un KO après qu’un homme a réussi à grimper sur la scène avant de le charger de toutes ses forces. Le rappeur, corrosif, répand la violence.
➡ De musique exutoire à musique thérapie, mettre les mots justes et transmettre les émotions exactes
Si 2017 est l’année de l’avènement de XXXTentacion, elle est aussi celle de son renouveau. Alors que son plus gros succès est criblé de basses puissantes et rempli de haine, le rappeur opère avec 17 un virage radical, largement inspiré de l’œuvre de Kid Cudi et plus particulièrement de son album Speedin’ Bullet 2 Heaven, son premier album est teinté d’une mélancolie comme rarement le rap avait connu jusqu’à lors. Le rappeur délaisse le temps d’un disque son masque de violence et de déchaînement au profit de ballades de guitares et de claviers élégiaques, alors que des morceaux tels que Jocelyn Flores érigent le rappeur en incarnation de la dépression. Ce titre porte le nom d’un de ses amis s’étant donné la mort : hyperémotif, les pensées suicidaires de l’homme ont resurgi en lui de manière foudroyante. Sur Fuck Love, autre morceau phare du disque, il expose sa peur de l’abandon, sa peur de l’amour, à la fois terriblement addictif et redoutable. A travers 17, sa musique est un exutoire : elle lui permet d’exorciser les démons qui le tourmentent depuis son plus jeune âge et les pulsions suicidaires qui l’affligent. De plus, 17 est une thérapie qui a porté ses fruits : XXXTentacion semble s’écarter du chemin du crime, se défaire de l’agressivité, de la haine, de la colère. Verbaliser et communiquer ses affres et ses souffrances lui ont permis de pouvoir mieux les combattre. Surtout, 17 a vu une large partie du public s’identifier à la teneur des propos du disque : cet album a été salvateur pour nombre de gens plongés dans une torpeur équivalente, inextricable, sur laquelle XXXTentacion a su mettre les mots.
Sept mois plus tard, XXXTentacion poursuit sa thérapie avec ?, un album de dix-huit titres éclectique. Pour cause, après avoir touché le fond avec 17, cet album illustre le combat pour le bonheur que l’homme n’a jamais connu. Versatile, l’artiste multiplie les douces ballades mélancoliques avec Pain = BESTFRIEND, before I close my eyes, the remedy for a broken heart (why am I so in love) ou encore ALONE, PART 3, mais aussi les expériences sonores dictées par son esprit cacochyme malmené par une vie de violence intolérable et une émotivité excessive. Ses morceaux diamétralement opposés sont autant d’humeurs traversant son esprit troublé se croisant en un chaos presque schizophrène : Floor 555, un morceau aux basses saturées dans lequel le monstre autodestructeur qu’abrite XXXTentacion reprend momentanément le dessus, s’éteint au profit d’un chant morne dans lequel, chagriné et en perdition, le rappeur clame qu’il se noie dans ses larmes. Plus loin dans l’album, I don’t even speak spanish lol dévoile l’humeur chaude et dansante rompue par l’instabilité de schizophrenia, tantôt entraînant, tantôt lugubre.
Plus que jamais, XXXTentacion se livre, sans concession, sur sa dépression, ses doutes, ses amours, ses peurs. Pétris de sincérité, de spontanéité, ses morceaux fugaces sont autant de soupirs qui rendent sa musique – et par conséquent lui-même, fragile, vulnérable et éphémère. Sur le chemin de la rédemption, c’est au moment où la violence semblait avoir quitté sa vie qu’elle est réapparue de la pire des manières. Alors sur Deerfield Beach, en Floride, il est abattu en plein jour au volant de sa voiture. Fauché en pleine ascension à seulement vingt ans, le rappeur laisse derrière lui une discographie décousue, inégale, écorchée, torturée, à l’image de son interprète. Alors que les artistes du monde entier rendent hommage à sa carrière aussi intense qu’éphémère, à son talent aussi fou que l’esprit qui l’abrite, il s’agit avant tout de célébrer sa vie, pour laquelle il s’est battu jusqu’à la mort.
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