Il y a quelques mois, Franck Gastambide faisait une annonce surprenante : après Les Kaïra, Pattaya et Taxi 5, le réalisateur a décidé de se tourner vers le petit écran en réalisant sa première série Canal +. Validé, c’est l’histoire de Clément, aka Apash derrière le micro. Son quotidien ? Livrer de la drogue à ses clients pour gagner de quoi subvenir aux besoins de sa mère, de sa petite sœur et aux siens. Alors qu’il doit livrer un employé de Skyrock pendant le Planète Rap de Mastar, taulier du rap français, il parvient à s’inviter dans les locaux et lâche un freestyle qui va très vite faire le tour d’internet. C’est l’étincelle qu’il attendait depuis plusieurs années et qui va le pousser à persévérer dans ce domaine. Clément se lance, entouré de ses deux amis, William le manager et Brahim le community manager, pour démarrer son ascension en famille. Tout au long des dix épisodes de la première saison, on suit l’ascension de cette équipe inexpérimentée qui se frotte aux embûches de l’industrie musicale : rivalités entre artistes, relations avec les labels et surtout des attaches encombrantes avec la rue et ses dangers…
Une série qui tire sa force de son ancrage dans le rap
La première force de Validé, c’est d’avoir réuni un casting audacieux et original porté par deux artistes : Hatik incarne Apash et Sam’s incarne Mastar. Ces deux rappeurs aux parcours très différents l’un de l’autre jouent le rôle de têtes d’affiches rivales. Pour compléter ce casting atypique, Gastambide sélectionne des acteurs de tous horizons : Sabrina Ouazani incarne une directrice artistique de major, Adel Bencherif, le dealer pour qui travaille Clément, Hakim Jemili, un jeune de cité légèrement collant et agressif… Le réalisateur se réserve un rôle de choix, celui du producteur DJ Snow, grand nom de cette version alternative de la scène rap française. Ce casting très étoffé qui fait jouer côte à côte acteurs confirmés et personnalités du monde de la musique est l’un des points forts de la série, mais laisse parfois apparaitre des différences de niveau trop marquées. La faute, peut-être, à quelques personnages peu nuancés comme celui du rappeur Karnage, interprété par Bosh, dont le brutalité et la susceptibilité donneront lieu à un véritable meme sur les réseaux sociaux ! L’aspect appréciable de la chose : des acteurs principaux capables d’interpréter les titres des personnages qu’ils incarnent, de quoi créer l’illusion et même la confusion quand scénario et réalité se rencontrent…
On vous a écouté.
BUENA NOCHE EST DISPONIBLE.@FGastambide @SamsOfficiel @Valide_laserie ❤️ pic.twitter.com/9L3DZ1qCS6
— 3atik (@HatikMusic) April 15, 2020
Autant le dire, l’ancrage de Validé dans le rap français est son atout majeur. Kool Shen, Ninho, Mac Tyer, Busta Flex, Take-A-Mic, Rémy, Rim-K et bien d’autres viennent jouer leur propre rôle, parfois dans des émissions bien connues des auditeur, et donnent un cachet authentique à l’univers développé par Franck Gastambide. On retrouve certains de ces guests de renom dans une B.O supervisée par Sam’s et éditée sous forme d’album le jour de sortie de la série, complété indirectement par deux solos de Bosh et Hatik. La finesse de la frontière entre l’univers de la série et la réalité rend cet ensemble proprement captivant pour les amateurs de rap français, et son rythme soutenu est une invitation permanente au binge-watching… Qui tombe d’autant mieux qu’une grande partie des spectateurs se trouvent enfermés à domicile ! Malgré quelques incohérences sur le fond du scénario, en particulier au niveau de la chronologie de la carrière d’Apash, et des scènes difficilement crédibles (la soirée chez Kool Shen, le saccage des locaux d’Omega) on ne s’ennuie jamais devant Validé. La première saison se termine sur un un final totalement inattendu qui nous laisse sur notre fin dans l’attente de la suite.
Le talon d’Achille de Validé : la représentation de l’industrie
Dans une interview accordée à Red Bull, Franck Gastambide déclarait son ambition de « créer des personnages de fiction qui évoluent dans le vrai monde du rap ». Sur ce point, les choses ne sont pas parfaites. L’aspect fiction prend le pas sur le réalisme du milieu et donne quelques scènes qu’on ne retrouverait pas forcément dans le quotidien des acteurs au présent… Car certains éléments de Validé semblent datés ou insuffisamment mis à jour, en particulier un circuit média complètement radio-centré dans lequel les médias web font une timide apparition au cours d’un évènement sponsorisé. Des sujets comme celui des avances et de la négociation de contrats sont sacrifiés pour les besoins de l’intrigue, tandis que d’autres sont cruellement proches de la réalité : on pense notamment à la difficile transition de la rue à l’industrie musicale et aux liens finalement assez étroits qui peuvent subsister entre ces deux univers. Espérons que le tir soit rectifié dans la deuxième saison, pour une plongée au plus proche de la réalité du parcours d’un artiste en développement dans le rap français…
- Le contrat proposé par Omega à Apash est un contrat à 360 degrés, c’est-à-dire un contrat à droit multiples dans lequel le producteur touche une part des revenus générés par l’exploitation de la musique enregistrée, mais aussi du spectacle vivant et du merchandising. Dans les faits, ce type de contrats popularisé pendant la crise du disque pour pallier aux pertes de revenus liées au téléchargement illégal se fait de plus en plus rare au sein des majors de la musique comme Universal Music, dont Omega est l’avatar à peine camouflé. Il reste en revanche pratiqué par certains producteurs indépendants. Quoi qu’il en soit, il est très improbable que sa nature soit exposée cartes sur table lors de la négociation, il sera plus probablement présenté comme un contrat d’artiste standard. Dans le cas de figure inverse, il sera assorti d’une avance plus importante que la moyenne…
- La question des avances est centrale dans la série, elle est évoquée à trois reprises, lors des négociations des contrats d’Apash puis de Karnage. Au cours de son second rendez-vous chez Omega, Apash profite d’une situation de concurrence pour faire monter les enchères à 150.000 euros : pourtant, sa situation n’a pas évolué de façon notable d’un point de vue commercial. Pour un artiste en développement de l’envergure d’Apash, plusieurs professionnels de la musique estiment les montants d’avance sur une fourchette de 10.000 à 50.000 euros. Il est également nécessaire de rappeler qu’une avance est recoupable, à savoir que le producteur la prélèvera sur les revenus à venir de l’artiste. Karnage, appuyé par son mentor Mastar, réclame pas moins de 350.000 euros d’avance après avoir sorti en tout et pour tout… Un single en collaboration avec ce dernier. Autant dire que ce montant est, là encore, très éloigné de la réalité.
- Comme le montant de l’avance qui lui est proposée, le label deal négocié par Hatik auprès du président d’Omega dans les backstages de son concert intervient à un stade particulièrement précoce de sa carrière : après une première semaine apparemment décevante, une image publique encore fragile et un disque de platine obtenu de justesse, le rappeur est loin de peser suffisamment lourd pour y penser. Contrairement à la licence, le label deal qui consiste à affilier sa structure à un label de maison de disque. Les artistes qui en bénéficient se comptent sur les doigts d’une main, on pense notamment à Booba (92i/7 Corp) et Sofiane (Affranchis Music).
Une deuxième saison est déjà en préparation du côté de Franck Gastambide et Canal + ! Profitant d’un timing plus que favorable qui a valu à une bonne partie de son audience d’être confinée à domicile, Validé explose les records dès sa sortie : plus de 6 millions de visionnages en 5 jours, le record sur la plateforme VOD My Canal et culmine à plus de 15 millions de visionnages en deux semaines. Des débuts très prometteurs, autant dans le fond que sur la forme, qui posent les bases d’un programme grand public de qualité, qui cherche à transmettre une vision objective du rap français loin des clichés habituels. Bien entendu, la série n’est pas parfaite sur tous les aspects et de nombreux axes d’amélioration subsistent, mais elle transforme l’essai et attise notre curiosité pour les épisodes à venir…