Depuis un certain nombre d’années déjà, la qualité de réalisation des clips de rap français est en constante amélioration, au point que des personnalités du monde du cinéma se sont trouvées impliquées dans un certain nombre d’entre eux. Fin 2016 et en début d’année dernière, cette tendance avait d’ailleurs donné lieu à un déferlement de formats vidéos à cheval entre le clip et le court métrage (avec PNL puis Force & Honneur de Lacrim). En 2018, en dehors des clips extraits de JVLIVS de SCH, imbriqués dans un court métrage imbibé des codes des grands films mafieux, l’accent est mis sur la concision et des effets visuels travaillés avec soin. C’est aussi, peut-être, un classement qui laisse moins de place aux artistes à l’ampleur commerciale plus modeste et qui pour cette raison se doit d’insister sur la prestation du réalisateur avant toute autre chose.
🔟 Chambre 122, une plongée dans l’univers onirique de Felicity Ben Rejeb Price
Hi Five Production a décidé de faire du lien entre artistes et marques son coeur d’activités depuis maintenant une vingtaine d’années. Parmi ses nombreux clients, on retrouve côte-à-côte des géants des médias, les trois majors de l’industrie musicale, des groupes industriels et des clubs sportifs. Fort de son background dans la mode, Felicity Ben Rejet Price a apporté une véritable plus value à l’agence du fait de sa capacité à développer des univers esthétiques très cohérents. Après avoir travaillé sur les campagnes de marques comme Adidas et Converse, elle s’est lancée pour de bon dans les clips de rap avec certaines de plus grosses têtes d’affiches du moment : Lacrim et Damso pour Noche, Dadju pour Django et Lionne, Maître Gims pour sa reprise de La Même en collaboration avec Alvaro Soler…
Sur Chambre 122, la réalisatrice se met au défis de donner une consistance palpable à l’un des titres les plus ouverts de VII, le premier album de Koba LaD. Détail intéressant, elle avait tourné une partie du clip de Lo Mismo dans le même décors que celui de La C, l’un des grands succès du rappeur du Parc aux Lièvres. Pour parvenir à enrichir l’univers de Koba, Felicity Ben Rejet Price utilise des jeux de textures et de matières dans le contexte tamisé d’une chambre d’hôtel. Elle fait également le choix d’introduire des éléments presque oniriques, ainsi la réception de l’hôtel se trouve transformée en épicerie, comme une référence au clip de J’encaisse signé William Thomas, et le lit se retrouve flottant dans une piscine envahie de nymphes.
9️⃣ Mosaïque Solitaire, comment M+F ont tissé le fil conducteur du puzzle musical de Damso
Le duo de réalisateurs formé par Mathias Delabarre et Frederic De Pontcharra n’en est plus à son coup d’essai dans le rap français, et encore moins avec le bruxellois le plus en vue de l’hexagone… L’année dernière, ils étaient déjà derrière la caméra lors du tournage du clip surprenant, évocateur mais bizarrement poétique de Macarena, le plus gros succès commercial du rappeur, avant de travailler sur le premier extrait de Lithopédion, Smog, tourné en partie en Ukraine. Toujours produit par l’agence French Lab Agency et réalisé par M+F, Trône de Booba se plie aux codes visuels des musiques électroniques et finit par être considéré comme l’unes des grandes réussites visuelles du rappeur de Boulogne.
Pour Mosaïque Solitaire, l’un des morceaux phares d’Ipséité, Mathias Delabarre et Frederic De Pontcharra sont confrontés à un défi légèrement différent. Le morceau présente la particularité d’être une mosaïque musicale… Au sens propre ! Il est en effet découpé en trois trois temps, sur deux instrumentales différentes de Pirates Music et Double X puis sur une version ralentie de la première instrumentale. Pour créer une sorte de fil conducteur, les deux réalisateurs choisissent un angle quasi-cinématographique avec un grain et un rythme qui ne sont pas sans rappeler ceux de Fargo des Frères Cohen. La lenteur des plans et le flegme de Damso contrastent avec la violence de l’action puisque ce dernier se trouve transformé en une sorte de tueur à gages.
8️⃣ Otto, le moment fort incontestable du court-métrage de JVLIVS signé Late Nights
Comme Damso, SCH a fait le choix d’un univers visuel proprement cinématographique pour illustrer les différents singles de son album JVLIVS. A vrai dire, le choix s’imposait étant donné que le projet avait été conçu comme la bande originale d’un film de mafieux imaginaire par le rappeur et son entourage. Pour cela, ils décident de faire appel à Late Nights, une structure qui réunit Fifou, photographe à l’origine d’une bonne partie des pochettes d’albums du rap français depuis de nombreuses années, et le réalisateur Julien Paolini. Ce dernier a d’autant plus le profil idéal pour coller au projet d’SCH qu’il a grandi dans une famille originaire de Toscane. Issu du monde du cinéma, il a également réalisé un important travail à l’image pour des marques comme Nestlé et Kinder et des artistes comme Ben l’Oncle Soul et Griefjoy.
L’ensemble des clips extraits de JVLIVS s’imbriquent pour former un court-métrage intitulé Absolu. Parmi ces différentes réalisations, Otto apparait de loin comme la plus aboutie. Après une courte introduction dans une pièce baignée d’une lumière rose laiteuse aux murs ornés de photos formant les lettes OTTO et de roses rouges, le spectateur est d’emblée plongé dans l’ambiance particulière d’un enterrement mafieux… L’une des scènes incontournables des classiques du genre, détournée pour mettre en valeur un SCH qui a troqué son lourd manteau noir pour un imperméable jaune fluorescent. Le résultat est une réussite en tous points, et finit par devenir l’une des clés d’accès à l’univers de l’album.
7️⃣ Woah, une évasion réalisée de main de maître par Leïla Sy et Shems Cameron
Le clip de Woah est un moment clé de la promotion de 93 Empire, l’album-compilation de Sofiane qui ambitionne de réunir en l’espace de quelques morceaux une bonne partie des artistes de la Seine Saint-Denis. Peut-être pour illustrer cette idée, le rappeur du Blanc-Mesnil choisit de dévoiler en premier lieu un single qui réunit pas moins de sept invités, et pas des moindres. Pour l’illustrer, il fait appel à la société de production Tefa, Suther Kane Films, avec laquelle il avait notamment travaillé sur les clips de Toka et Tout le monde s’en fout. Cette dernière s’est forgé un nom grâce à sa collaboration sur le long terme avec Vald (Désaccordé, Vitrine). Le clip de Woah est travaillé conjointement par Leïla Sy, également associée à Hi Five Production, et Shems Cameron au montage.
Pour Woah, l’équipe de Suther Kane décide de représenter chaque artiste dans son univers musical. Pour cela, des plans cloisonnés sont tournés dans des cellules de prison au décors retouché pour l’occasion : des cordes à linge sur lesquelles sont suspendues des cagoules pour Kalash Criminel, un décors un peu plus déjanté pour Heuss l’Enfoiré et l’ambiance tamisée d’une réunion de mafieux pour Sofiane l’Affranchis… Pour lier l’ensemble, un plan collectif tourné devant un panneau de photographie d’identité judiciaire et une scène évasion conduite de main de maître par le magouilleur de la prison Sadek. Le clip prend fin sur la sortie clandestine de Sadek et son accueil dans un van noir aux vitres teintées par Kaaris, dont la présence sur 93 Empire n’a pas encore été confirmée.
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6️⃣ Nwaar, un voyage dans l’univers cauchemardesque de Siboy par James Cam’Rhum
James Cam’Rhum et Siboy ont constitué au fil des années l’une des collaborations les plus soutenues de l’hexagone entre un rappeur et son réalisateur. C’est de cette proximité que sont nés certains des visuels les plus impressionnants du rappeur cagoulé, ce qui n’a pas empêché James Cam’Rhum de travailler entre temps avec des artistes comme Damso et YL. Pour ce deuxième morceau de Siboy publié en 2018, une année de pause après l’énorme succès critique de son album Spécial, ce dernier a de nouveau fait appel à son réalisateur fétiche au vu des retours positifs de Goût Cerise accompagné d’un tirage de préservatifs personnalisés. A noter qu’il s’agit de son premier clip produit par la structure JF Consult’N’Prod’.
Sur Nwaar, James Cam’Rhum décide de mettre en avant la schizophrénie de l’univers de Siboy, entre fantasmes et cauchemars. Un procédé similaire avait été appliqué au clip d’Eliminé, peut-être le meilleur de la carrière du rappeur de Mulhouse, Par Eric Meng pour French Lab Agency. Cette fois, le réalisateur joue sur la peur des clowns et tourne un clip sous un chapiteau de cirque. Pour balancer le rendu, il décide d’y ajouter une ribambelle de demoiselles et surtout des scènes dans une voiture d’un rouge éclatant qui laissent penser que l’ensemble n’est qu’un rêve de l’esprit enfumé de Siboy lui-même ! Une réussite donc, et sans contestes l’un des clips les plus marquants de l’année.
5️⃣ Midi Midi, l’ultra-réalisme à son meilleur chez Heuss L’enfoiré et Kaleel de Daylight
Midi Midi est un titre clé à l’échelle de la carrière naissante de Heuss L’enfoiré, en effet ce premier titre studio après les deux freestyle BX Land sonne comme une confirmation et pose la question de la sortie de son premier album qui sera finalement annoncé pour 2019 quelques mois plus tard. Midi Midi Production, c’est aussi le nom de la structure sur laquelle il réalise sa musique. Pour conserver le rendu sombre et réaliste de ses débuts, Heuss décide de faire appel à Kaleel de Daylight, la société de production de Daymolition. Ce dernier, habitué à ce type d’ambiances, s’est démarqué par son travail sur l’image de Timal et notamment sur les clips d’Arrivant, Vatos et Dans la ville. A noter que Kaleel est également à la réalisation du dernier clip de 13 Block Zidane.
Sur Midi Midi, Heuss et Kaleel choisissent une approche ultra-réaliste. Ce faisant, ils démontrent qu’il n’est pas toujours nécessaire de mettre en oeuvre des moyens colossaux pour créer un visuel marquant. En réalité, la recette de ce départ en trombe d’Heuss L’enfoiré est plutôt simple : une caméra, des plans tournés devant une épicerie et dans un hall pendant ses heures de travail. Pas de scénario, une vision quasi-documentaire du fonctionnement d’un terrain avec le découpage et le passage de clients visage flouté en prime. Une idée simple, une réalisation minimaliste mais efficace qui laisse le premier rôle à la réalité… Et des retours en conséquence !
4️⃣ Rêves bizarres, un enchaînement visuel à la hauteur de l’année d’Adrien Lagier et Ousmane Ly
Adrien Lagier et Ousmane Ly ont très certainement signé leur meilleure année en 2018. Le premier est issu du collectif L’Ordre Collectif, le deuxième de la société de production Iconoclast (qui a notamment produit APESHIT, le fameux clip de The Carters). Ensemble, ils sont à l’origine d’une bonne partie des meilleurs clips du moment : J’me téléporte de Lefa, S.Pri Noir et Dadju, W.L.G de Niska, Cache-cache de Columbine et Viceland de Kekra sur lequel nous reviendrons bientôt de façon plus approfondie. Cette fois, l’enjeux est de taille, en effet Damso et Orelsan sont réputés pour accorder énormément d’importance à l’aspect visuel de leur production artistique. Les clips de Basique et Tout va bien se sont même situés parmi les plus influents de l’année dernière, tous genres confondus. Produit par Frenzy Paris, le clip de Rêves bizarres s’avèrera à la hauteur de cette réputation…
Le titre du morceau va orienter les choix de réalisation d’Adrien Lagier & Ousmane Ly. Le duo décide d’enchaîner les effets invraisemblables, de manière à en faire le véritable thème du clip. L’ensemble apparait, comme tout rêve qui se respecte, décousu mais marquant et laisse une impression durable dans l’esprit du spectateur. Véritable tour de force, cette profusion d’effets se déroule très naturellement, sans jamais sombrer dans la surcharge. Parmi les images les plus marquantes de l’ensemble, la scène de début dans laquelle on découvre Orelsan, endormi dans un vieux minibus jaune, pousser le rideau pour découvrir un paysage spatial parcouru de comètes. A noter également les inserts très réussis d’illustrations du graphiste Hoveh…
3️⃣ Viceland, un trip halluciné dans l’univers kitsch de Kekra par Adrien Lagier & Ousmane Ly
Comme Orelsan et Damso, Kekra accorde une place primordiale à l’aspect visuel de la production. D’une part parce que son image a toujours été très soignée du point de vue de l’apparence, d’autre part parce qu’elle a joué un rôle prépondérant dans sa notoriété grandissante. Remarqué lors d’une certaine virée à cheval à Courbevoie, le rappeur masqué le plus imprévisible de l’hexagone surprend avec les visuels de Pas joli et Canne à pêche pourtant encore assez simples. L’année dernière, il passe un cap significatif avec Envoie la monnaie, Sans visage et surtout 9 Milli. En 2018, il décide de passer un nouveau cap et fait appel pour cela à Adrien Lagier & Ousmane Ly, le duo du moment, pour les clips de 10 Balles et Viceland.
Sur Viceland, Adrien Lagier & Ousmane Ly nous plongent dans le trip halluciné d’un camé à l’héroïne… D’une succession de plans kaléidoscopiques, le duo de réalisateurs nous plonge dans un réseau japonais de vente de drogue jusqu’à l’écoeurement. Ce voyage très fort visuellement se conclut par une scène de meurtre collectif qui semble calmer la course folle des sachets de poudre blanche. Une performance visuelle, qui s’intègre également parfaitement à l’univers kitsch et baigné dans la lueur blafarde des néons de strip-clubs asiatiques de Kekra. Assurément l’un des meilleurs clips de Kekra, mais aussi une réalisation marquante de plus au tableau d’Adrien & Ousmane.
2️⃣ Petite fille, le meilleur clip de la carrière de Booba est-il réalisé par Guillaume Cagniard ?
Booba a toujours entretenu une relation particulière au support visuel. Avantagé par sa grande taille et sa prestance, il n’est jamais vraiment parvenu à s’adapter aux tendances de clip portées par des mouvements très rapides à l’exception notable de Mové Lang. Sa musicalité souvent assez lente l’a en revanche poussé à être précurseur sur les clips panoramiques tournés dans des lieux naturels réputés pour leur beauté : Killer en 2011, Maître Yoda en 2013, Une vie en 2014, Billets violets en 2015, DKR en 2016 et bien sûr Friday et Comme les autres l’année dernière. Pour Petite fille, l’un des morceaux les mieux accueillis de Trône, il décide de faire appel à Guillaume Cagniard de Hossegor. L’exercice s’annonce difficile, mais le réalisateur se fixe comme objectif de faire le lien entre les différentes composantes de l’univers du rappeur de Boulogne.
En effet, Petite fille est un titre très dual qui fait la balance entre l’univers violent de Booba et la fragilité de sa fille Luna. Booba n’a jamais fait secret de sa vie familiale, il met d’ailleurs souvent en ligne des photographies de ses enfants ou des vidéos de scènes de vie. Aucune difficulté donc à faire participer Luna au tournage d’un clip qui s’avèrera mémorable en tous points. Esthétique poussée à l’ensemble des plans, mise en avant de la relation père-fille et surtout le prétexte d’une histoire de pirates qui donne lieu à des scènes visuellement magnifiques et permet de raccorder l’ensemble à la fameuse piraterie de Booba. Une bouffée de fraicheur dans le rap hexagonal, un clip intemporel qui pourrait bien s’imposer comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, de la carrière du rappeur…
1️⃣ A l’Ammoniaque, quand la sobriété de Kim Chapiro rencontre les clips planants de Mess
Comme Booba, PNL ont fait une spécialité du clip paysager en compagnie de leur réalisateur attitrés Kamerameha & Mess. ce dernier confiait dans Les Inrocks : « A la base, les clips me servent d’expériences pour arriver à mon but qui est de réaliser des films. Donc quand j’ai l’occasion de tourner des clips avec des scénarios comme Onizuka ou Naha, je prends plaisir à les réaliser car cela me permet de montrer au public ce que je suis capable de faire réellement. » On peut dire que l’objectif semble plus proche que jamais alors que ce dernier collabore avec Kim Chapiron, créateur du collectif Kourtrajmé et cinéaste (réalisateur notamment de Dog Pound en 2009). De cette collaboration finit par naître l’une des seules apparitions du duo des Tarterêts cette année et surtout le meilleur clip de 2018 !
Quoi de mieux pour illustrer la monotonie qui transpire des textes de PNL qu’un paysage désertique sur lequel s’étire jusqu’à l’horizon une file de clients devant un hall en ruine ? La transgression est une donnée récurrente de l’histoire et à ce titre le bâtiment 27 fera bientôt partie de ses décombres sans jamais qu’elle s’arrête. Fusion ultime des deux facettes de l’univers de PNL, ce clip est également brillant par sa sobriété, sa beauté repose entièrement sur les paysages qui le composent et bien évidemment sur des effets visuels à la fois forts et simples. Une réussite payante puisqu’A l’ammoniaque a d’ores et déjà dépassé les 65 millions de vues sur YouTube !
➡️ Découvrez le classement complet des 20 meilleurs clips de 2018
- A l’ammoniaque – Kamerameha & Mess / Kim Chapiron
- Petite fille – Guillaume Cagniard (Hossegor)
- Viceland – Adrien Lagier & Ousmane Ly
- Rêves bizarres – Adrien Lagier & Ousmane Ly (Frenzy Paris)
- Midi midi – Kaleel (Daylight)
- Nwaar – James Cam’Rhum (JF Consult’N’Prod’)
- Woah – Leïla Sy & Shems Cameron (Suther Kane Films)
- Otto – Julien Paolini (Late Nights)
- Mosaïque solitaire – Mathias Delabarre et Frederic De Pontcharra (French Lab Agency)
- Chambre 122 – Felicity Ben Rejet Price (Hi Five Production)
- Désaccordé – Kub & Cristo (Suther Kame Films)
- Sombre – Camille Delamare (Keakr Production)
- 1000 degrés – Adrien Lagier & Ousmane Ly (Frenzy Paris)
- Balayer – Nicolas Noël
- Cartel de Maness – Snooz (Sofreshprod)
- Dalida – Didier.D.Daarwin & Shems Cameron (Hyper Focal)
- 10 Balles – Adrien Lagier & Ousmane Ly
- Trône – Mathias Delabarre et Frederic De Pontcharra (French Lab Agency)
- W.L.G – Adrien Lagier & Ousmane Ly (Cuuut)
- Maladresse – Osman (TBMA)