Les auditeurs rap auront vécu une surprenante année 2019, rythmée par des sorties de bonne facture mais rarement remarquables. Dans le même temps, on assiste à l’émergence d’une nouvelle vague d’artistes qui n’hésite pas à puiser son inspiration dans d’autres registres et surtout à mettre en avant l’empreinte vocale, qui joue un rôle de plus en plus important à l’échelle d’une carrière. 2019, c’est l’année des premiers albums, et bon nombre d’entre eux s’avèrent prometteurs, voire carrément supérieurs à ceux d’artistes confirmés. Pour tirer cette affaire au clair, nous avons sélectionné les 20 meilleurs albums rap de 2019 à notre sens, en se fondant uniquement sur notre appréciation subjective de chacun d’entre eux. À l’heure où un nombre croissant de médias tendent à renoncer à leur pouvoir prescripteur au travers du modèle des awards, il nous parait plus important que jamais de mettre en avant les projets qui ont marqué notre année. En espérant que les lecteurs y trouveront quelques pépites qui leurs avaient échappées, ou porteront un nouveau regard sur des sorties d’il y à quelques mois…
20. TripleGo – Machakil
L’année 2019 du duo de Montreuil aura été hyperactive. En mars, Sanguee et MoMo Spazz dévoilent leur premier album studio, Machakil (pour « Problèmes »), après avoir enchaîné pas moins de six mixtapes et EPs depuis 2013. Quelques mois plus tard, début novembre, ils enchaînent avec l’EP Yeux Rouges. Une demi-décennie après leurs débuts, les deux artistes n’ont rien perdu de l’ADN unique qui caractérise leur univers vocal et visuel. Avec Machakil, ils livrent leur projet le plus abouti sans se départir de la volonté d’expérimentation permanente qui se dégage de leur production musicale. Une performance qui ne manque pas d’attirer l’attention du public et de la critique, et qui donne une impulsion inédite aux rappeurs montreuillois. En l’espace de seize titres dont un unique featuring avec Bem’s Knitri, ces derniers nous projettent dans un espace hors-temps, où chaque note et chaque mot semblent avoir été longuement pesés. Interviewé par l’ABCDR du Son, MoMo Spazz confiait à ce propos : « On s’est plus lâché. C’est pour ça qu’on a mis du temps, on voulait quelque chose d’affiné. On a juste voulu lâcher tout ce qu’on avait, sans réserve. »
19. Landy – Assa Baing
Sorti d’une courte incarcération en décembre 2018, le rappeur originaire de Saint-Denis entend rattraper le temps perdu en mettant les bouchées doubles. Le 8 mars, il met sa popularité à l’épreuve en sortant le premier projet de sa carrière chez AllPoints (Believe Music France). Le résultat s’s’avère excellent, au-delà des attentes. Avec Assa Baing, le jeune rookie livre un album studio maîtrisé de bout en bout, caractérisé par une maîtrise instinctive des mélodies qui ne manque pas de jouer en sa faveur. Au total, ce sont pas moins de dix-sept titres qu’il dévoile à son public, dont des collaborations avec certains des artistes les plus en vue du moment : Heuss L’enfoiré, Marwa Loud, Dadju, Jul et Naza. Autant ne pas le cacher, Landy ambitionne de lancer sa carrière avec un véritable blockbuster à hauteur de ses ambitions et de ses capacités… Pour notre plus grand bonheur ! Le rappeur excelle à l’exercice et brille par sa constance en termes de qualité. Versatile quand il s’agit de ses flows, de ses choix d’instrus et de ses intonations, tout au plus pourrait-il se voir reprocher un univers encore trop peu identifié. Quoi de plus normal à ce stade de sa carrière ?
18. Niro – Stupéfiant
Niro fait partie de ces artistes qui ont traversé la décennie en lui imprimant une marque indélébile. Sept ans après Paraplégique, le rappeur de Blois n’a rien perdu de sa superbe et le démontre avec Stupéfiant, un dix-neuf titres réfléchi qui se classe haut la main parmi les meilleurs albums studios de sa carrière. Comme à son habitude, il décide d’exploiter à son avantage la souplesse des plateformes de streaming en étalant la sortie du projet divisé en quatre chapitres sur plus de deux mois. Une manière de mettre à profit la fidélité de sa fanbase, de se maintenir constamment dans l’actualité du deuxième semestre 2019 et surtout de pousser les auditeurs à porter à chaque titre l’attention qu’il mérite. Que ce soit dans le propos, la musicalité ou la stratégie d’exploitation, Stupéfiant tire des enseignements de l’ensemble de la discographie de son auteur, une volonté d’ailleurs habilement évoquée sur la pochette signée Fifou. C’est également la première fois depuis plusieurs années (à l’exception de Dabs sur OX7) que Niro invite plusieurs artistes extérieurs sur un projet, et pas les moindres puisqu’il s’agit de Maes et SCH… Sans pour autant mettre de côté les artistes de son label Ambition Music, désormais signé chez Arista (Sony Music France).
17. F430 – Thank You God
Après plusieurs années dans l’ombre, Sensei et Jet émergent de la galaxie QLF pour imposer leur marque dans le rap français… Toujours en famille. Avec Thank You God, le duo des Tarterêts signe un premier projet solide, qualitatif de bout en bout et prend de court son propre public. Au total, ce sont pas moins de vingt-deux titres qui le composent, composés en grande partie par Adsa Beatz, petit frère de Jet et membre du trio de producteurs MOC, et BBP, mais aussi Lil Ben, RJacksProdz & Masta… Le tout assemblé de main de maître par Chris Dope, ingénieur du son et réalisateur attiré de F430 et assistant de l’incontournable Nk.F. Malgré sa longueur, Thank You God forme un tout cohérent, véritable plongée dans l’univers très personnel de ses interprètes. Entre le cloud et les grands nom du rap qui bercent leur quotidien depuis le plus jeune âge, entre Corbeil-Essonne et Queensbridge, ces derniers s’affirment résolument comme des artistes ambitieux, exigeants envers eux-mêmes et bourrés de talent. Quelques mois plus tard, ils confirmeront d’ailleurs cette première impression lumineuse avec l’excellent EP Street Quality. Une sortie qui présage un avenir radieux pour F430…
16. Koba LaD – L’Affranchi
L’année dernière, Koba explosait à la face du monde grâce à une série de freestyles acérée (Ténébreux) et un premier album couronné de succès. Pétri de morceaux qui ont fait sa renommée, VII souffrait néanmoins d’une direction artistique bancale. En effet, le rappeur s’est contenté de montrer qu’il était capable d’évoluer dans plusieurs registres sans toutefois tisser un véritable univers. Avec son deuxième album L’Affranchi sorti en avril, Koba LaD a su franchir ce cap. La communication autour de l’opus a introduit un univers mafieux classe et poisseux que l’artiste a su développer dans un disque bien plus cohérent que le précédent. Bien évidemment, en tête de gondole figure RR 9.1, un des bangers de l’année en featuring avec Niska. Les autres singles avec Maes et Ninho ont également connu un large succès. Bien que qualitatifs, ces morceaux cachent une forêt de titres sombres et nerveux marqués par les intonations et les textes crus et abrupts de Koba LaD. Ainsi, Koba du 7, Mélange ou encore Guedro résonnent encore fort dans les écoutilles de tous les amateurs de trap. En outre, le représentant du Bâtiment 7 s’est autorisé une outro surprenamment introspective qui boucle un album décidément bien plus intéressant que son prédécesseur.
15. Diddi Trix – Trix City
Comme vous le verrez tout au long de ce top, 2019 a été une année de premiers projets. Parmi ceux qui n’étaient pas attendus aussi vite et qui ont tout de même su conquérir son auditoire figure Trix City, la toute première mixtape de Diddi Trix. Il n’a fallu qu’un morceau au rookie de Bondy pour inscrire son nom parmi les têtes à suivre dans le rap français. En effet, il s’est immédiatement mis sur orbite avec son freestyle Pétou pour Rapelite. Signé sur le label de DJ Kore, AWA, Diddi Trix a très vite publié sa toute première mixtape. Fin mars, il envoie Trix City sur les plateformes dans lequel le public a pu découvrir une identité musicale bien claire. Déjà, il déroule un projet aux ambiances musicales assez variées tout en distillant un second degré rafraîchissant inspiré de DaBaby. En outre, si le rappeur se cherche encore dans ce premier projet où chaque titre est avant tout une expérience, il se démarque assez facilement de ses homologues grâce à un domaine qu’il maîtrise déjà : la g-funk. Chien d’la casse est une évidence : la voix douce et les flows sautillants de l’artiste du 93 se marient à merveille avec les sonorités west coast imaginées notamment par Dr. Dre. Reprise dans son EP Cartel de Bondy, cette vibe promet d’être reprise dans ce que nous prépare Diddi Trix pour 2020.
14. Ninho – Destin
Le 1e janvier 2019, Ninho entame la nouvelle année en affirmant résolument dans son freestyle Binks to Binks Part. 6 : « Tout s’est passé comme prévu, j’prépare l’album de l’année ». Promesse tenue ? Du point de vue de l’accueil du public, difficile de contester la longévité de Destin, qui se maintient tout au long de l’année parmi les projets rap les plus écoutés. À l’instar de Comme prévu, son premier album studio, Destin souffre en revanche de l’effacement partiel de l’identité musicale de son auteur. Cet univers, qui ne s’exprime jamais mieux qu’au format mixtape, est remisé pour créer un dix-huit titre solide mais pas assez identifié. Néanmoins, on y retrouve un Ninho faiseur de hits qui enchaine les performances à un rythme invraisemblable et démontre une bonne fois pour toutes sa maîtrise de l’exercice. L’ensemble est cohérent, bien produit et tire toute sa force d’une guestlist triée sur le volet dont le rappeur de Nemours parvient à tirer le meilleur sans jamais se laisser entrainer sur des terrains trop éloignés. Malgré ses défauts, Destin crée l’évènement et s’impose comme l’un des albums à ne pas manquer courant 2019…
13. Kekra – Vréalité
Depuis deux ans, Kekra a considérablement revu sa productivité à la baisse. Alors que durant l’ère de sa série de mixtapes Freebase et de sa série d’albums Vréel, il distribuait plusieurs albums à l’année, ce phénomène a disparu l’année dernière. Désireux de concentrer toute sa créativité dans un seul disque par an, il avait publié Land à ce moment. En juin dernier, il a remis le couvert avec un tout nouvel album nommé Vréalité marqué par un fait inédit dans sa carrière : après trois ans de refus catégoriques, il a consenti à faire un featuring. Et pas des moindres puisque c’est avec Niska qu’il a brisé sa règle sempiternelle. Outre ce single, Kekra a une nouvelle fois déroulé un album court mais aux influences multiples. Enfant du rap anglais mais également de la culture japonaise, il a tenu à conforter sa position d’ovni du rap français au travers d’une douzaine de titres créatifs et éclectiques. Capable de faire danser comme de rompre des cervicales grâce à des morceaux ravageurs, le rappeur masqué continue de placer ses projets dans le gratin du rap.
12. Djadja & Dinaz – Drôle de mentalité
Dans leur coin, les deux rappeurs font leur chemin non sans faire de bruit. S’ils semblent souvent hors du grand manège qu’est le rap français, ils y participent grandement et nombreux sont les fans à les suivre depuis le début de leur aventure. Cette année, Djadja & Dinaz ont écrit une nouvelle page de leur histoire à succès : Drôle de mentalité. Ce quatrième album a tenu toutes ses promesses. Avant même de paraître sur les plateformes de streaming, il était très attendu grâce à un premier single très fort, Possédé, balancé sur fond de rumeurs de séparation du groupe. Le clip majestueux fait écho à un titre aux couleurs musicales mélancoliques maîtrisées comme jamais auparavant dans la musique des deux acolytes. Le reste de l’album s’est mis au diapason de ce premier extrait marquant. Les deux rappeurs délivrent une musique autotunée légèrement plus personnelle qu’à l’accoutumée dans un projet long de trente titres dans sa version finale (après une réédition de treize morceaux).
11. DTF – On ira où ?
Avec La hass avant le bonheur en 2016, puis Sans rêves en 2017, le duo originaire d’Ivry-sur-Seine a démontré au fil des années sa capacité à faire évoluer sa production musicale en termes d’esthétique, de sonorités et de mélodies. Après une pause prolongée, RKM et RTI ont fait leur grand retour avec un troisième album studio intitulé On ira où ?. De la pochette aux clips, tout semble indiquer que les deux rappeurs ont une fois de plus décidé de franchir un cap avec ce nouveau projet, à la fois sur le plan commercial et celui du développement. Une volonté qui aboutit à la conception d’une des sorties les plus léchées de l’année de tous points de vues. Ce retour de DTF sur le devant de la scène, amorcé par un clip scénario tourné dans le décors unique de Tataouine, intervient dans le contexte particulier de la démolition de la cité Gagarine, où RKM et RTI ont passé une bonne partie de leurs vies. En résulte un album perclus de doutes et de mélancolie, comme une photographie de l’esprit d’artistes coincés entre un succès croissant et un passé plus prégnant que jamais…
10. Makala – Radio suicide
Alors que tous les yeux étaient rivés sur la région parisienne, une petite révolution avait lieu quelques centaines de kilomètres plus bas sur la carte… En Suisse, et plus précisément dans le canton de Genève. Après Le regard qui tue, ambitieux film auditif dévoilé par Varnish la Piscine en début d’année, c’est au tour de Makala de surprendre les auditeurs avec ce qui s’impose rapidement comme l’un des projets les plus aboutis de l’année en dépit de sa complexité. Accompagné de ses complices habituels, Pink Flamingo aka. Varnish la Piscine, Slimka, Rico TK ou encore Ike Ortiz, il embarque l’auditeur dans une promenade d’une bonne heure dans un véritable patchwork musical, résultat d’une vie passée à s’imprégner d’une multitude de genres et d’interprètes. Cette richesse, qui fait défaut à bon nombre de sorties cette année, fait la force de Makala qui ne tarde par à recevoir les éloges du public et de la critique. Pour autant, Radio Suicide maintient un délicat équilibre entre sa cohérence d’ensemble et la puissance à titre individuel de chacun de ses titres. Travaillé avec acharnement, bourré d’humour et de références, l’album ne manquera pas de séduire des profils d’auditeurs très différents les uns des autres…
9. Kobo – Période d’essai
Au nombre des évènements les plus inattendus de l’année, Période d’essai de Kobo figure en bonne position. Le rappeur belge d’origine congolaise, fraichement signé chez Polydor (Universal Music France), livre avec ce premier projet une proposition artistique inédite qui a vite fait d’attirer l’oreille du public et de la critique. Révélé au travers de sa participaction au premier épisode spécial Belgique de l’émission Rentre dans le cercle, plus à la bande originale du film Les Tueurs, il s’impose définitivement auprès du public avec le single Baltimore. Proche de Damso, il se démarque par une vision particulièrement distante sur sa propre situation et ses choix. Un point de vue déroutant que le rappeur aborde plus en détail tout au long de l’écoute. Le très bien nommé Premier essai lui offre l’occasion de se fixer un défi à la hauteur de son potentiel. En l’espace de dix-sept titres, l’auditeur découvre une enfilade de pensées mises en musique avec brio par des compositeurs tels que Don Moja, HRNN ou encore Kore. Accrocheur, intriguant, Période d’essai promet de donner un tournant inédit à la carrière de son auteur et se classe d’emblée parmi les le projets de l’année…
8. Zola – Cicatrices
En 2018, Zola est dans la liste des 11 rappeurs à suivre de Booska-P et est attendu au tournant comme une étoile montante du rap français. Toutefois, suite à divers soucis, le jeune rappeur s’est fait très silencieux… Avant d’exploser à la face du public. Trois freestyles successifs pour les médias Rapelite (Manger), OKLM (Spiderman) et Booska-p (Booska’Rocket) ont suffi à remettre Zola sur orbite. Quelque temps plus tard, il envoie enfin son premier projet solo. Sûr de son art, il a sauté immédiatement l’étape de la mixtape pour balancer un album qui sonne déjà comme une consécration. Le buzz qui grouille autour de lui depuis désormais deux ans n’a pas faibli le moins du monde, bien au contraire : Cicatrices a laissé quelques plaies au rap français cette année. Entre bangers acérés et euphorisants (Fuckboi, Astroboy), morceaux plus ensoleillés parfaits pour toutes les playlists d’été (Club, Zolabeille) et véritables tubes comme Papers avec Ninho, cet album de Zola coche toutes les cases d’un disque réussi qui s’écoute de bout en bout sans problème.
7. Zikxo – Temps
Repéré au travers de sa série de freestyles Temps et signé chez Rec. 118 (Warner Music France), Zikxo concrétise cette année avec l’excellent Temps. Le rappeur originaire de Bondy met à profit son ton de voix grave et son amour du rap français de la fin des années 1990 et du début des années 2000, le tout agrémenté de notes plus actuelles. Pour l’occasion, il fait appel aux services d’une ribambelle de compositeurs de talent incluant le collectif toulousain Katrina Squad (Timo, Guilty, DJ Ritmin), Yann Dakta & Rednose, Josh Rosinet ou encore LeMarquis. Principal défaut du projet, la tendance de Zikxo à s’enfermer sans son propre univers sonore au point d’en effacer les nuances. Fort heureusement, il parvient à s’en dégager le temps de trois collaborations avec Diddi Trix, Hornet La Frappe et Da Uzi. Si c’est TP qui fait office de single porteur auprès du grand public, on remarque dès les premières écoutes la qualité remarquable de la collaboration avec Diddi sur Nordysud. À l’image du titre du morceau, les deux artistes parviennent à se rejoindre sur un terrain situé à mi-chemin entre leurs univers respectifs. Dans son ensemble, Temps brille par son aspect brut et sa sincérité à tous les niveaux et ouvre de beaux horizons à son auteur…
6. Nekfeu – Les étoiles vagabondes : expansion
Il aura fallu attendre près de trois ans pour que Nekfeu fasse son retour avec un troisième album studio intitulé Les étoiles vagabondes : expansion. Durant cet intervalle, le rappeur parisien en proie à une sorte d’angoisse de la page vide embarque son équipe dans un tour du monde effréné. Ces péripéties sont racontés au spectateur dans un documentaire éponyme, projeté lors d’une séance de cinéma unique à quelques heures de la sortie de l’album, puis mis en ligne sur Netflix quelques semaines plus tard. De son écheveau de pensées et de doutes, Nekfeu sort son projet le plus adulte sur un plan purement musical avec la volonté de créer une véritable fresque sonore à l’américaine en s’appuyant sur le travail de son réalisateur attitré Diabi. Moins abouti que ses prédécesseurs, bloqué dans un entre-deux incertain, Les étoiles vagabondes : expansion y gagne en intérêt. Sur le plan de l’écriture néanmoins, on retrouve un Nekfeu confronté à ses problèmes habituels, entre tirades philosophiques vides de sens et constats sociaux éculés. Guidé par le documentaire, on se surprend pourtant à ressentir la qualité de travail fournie par le rappeur et son équipe au détour d’un morceau.
5. SCH – Rooftop
Comme chaque année, le S a frappé fort dans la fourmilière du rap. L’année dernière, il figurait à la première place de notre top des meilleurs albums grâce à une galette conceptuelle très inspirée. Grâce à une écriture parmi les plus passionnantes du rap, le rappeur d’Aubagne a déroulé une véritable narration mafieuse rythmée par des interludes glaçants contés par la voix français d’Al Pacino et sublimée par un vibrant hommage à son père décédé sur Otto. Après avoir dévoilé que le projet JVLIVS serait étiré sur une trilogie entière, le public attendait avec impatience la suite. Toutefois, c’est un tout autre album que nous a livré SCH. Plutôt que de nous abreuver de nouvelles histoires mafieuses, il est revenu avec un nouveau disque pensé bien différemment. Désireux de s’essayer à de nouvelles sonorités – opportunités que le climat poisseux de JVLIVS proscrit, le S s’est offert un véritable sas de décompression. Entre deux morceaux âpres dont lui seul à le secret (Cervelle, All Eyes On Me, R.A.C, etc.), le rappeur érige l’amour en thématique principale de son nouvel album, en attestent les titres mélancoliques que sont Petit coeur, Tant pis ou encore Tirer un trait. Bien que très bon album, Rooftop ne parvient pas à grimper plus haut dans le top 5, la faute à des featurings peu voire pas enrichissants pour l’album et un renouvellement artistique discutable qui dure depuis maintenant deux ans.
4. Soso Maness – Rescapé
Fin décembre 2018, un Soso Maness fraichement signé chez Arista (Sony Music France) fait sa première apparition média devant la caméra de Yard. Au fil des mois, le rappeur marseillais développe son personnage dans une série de clips soignés et s’attire la sympathie du public. En-dehors de son parcours hors du commun, Soso a pour lui un lien affectif avec le rap entretenu depuis son enfance et un charisme naturel. Le 22 mars, on finit par faire la rencontre en bonne et due forme d’une personnalité de la cité phocéenne qui s’offre en prime le luxe de collaborations avec Sofiane, Hooss et L’Algérino. Le décors est posé et passé une couche de vernis esthétique l’auditeur se retrouve projeté dans un univers ultra-réaliste, fond et brutal. Pour l’illustrer, il fait appel aux services de Snooz ou encore Beat Bounce pour un clip tourné à la go-pro dans un hall d’immeuble ou un court-métrage sur le thème des guerres de quartiers. Rescapé apparait dès la premier écoute comme un projet éclectique dans lequel Soso s’essaye à une variété de registres sans jamais se départir de la couleur qui le caractérise et de l’intelligence de sa plume.
3. Da Uzi – Mexico
Encore un projet de rookie qui s’offre une belle place dans notre classement des meilleurs albums de l’année. Dans le radar des auditeurs de rap depuis maintenant quelque temps grâce à série de freestyles La D en personne, DA Uzi était, à l’instar de Zola, attendu au tournant. Il aura fait attendre ses fans un peu moins longtemps que son homologue en publiant dès le mois de janvier son tout premier projet chez Rec. 118, une mixtape nommée Mexico. Ce qui séduit instantanément dans ce premier essai très réussi du rappeur originaire de Sevran, c’est toute l’authenticité qui transparaît à travers sa musique. Pur produit des rues du 93, DA Uzi est avant tout un écorché vif désirant ardemment faire partager son quotidien et ses états d’âme à qui voudra l’entendre. Grâce à une plume singulière, il arrive à transmettre ce qu’il ressent à un auditoire parfois étranger à son univers, en attestent des titres forts du projet comme La vraie vie ou encore Entre les murs avec Ninho. Rarement un rappeur aura aussi justement exprimé en musique les remords, la colère, la haine ou encore les regrets engendrés par une existence condamnée à la morosité et au trafic de drogue. Assurément l’un des disques phares de l’année.
2. Heuss L’enfoiré – En esprit
Révélé grâce à un passage très remarqué dans l’émission Rentre dans le cercle de Sofiane, Heuss L’enfoiré a construit sa notoriété autour d’un personnage plus que réel. En effet, il n’est rien d’autre que lui-même, c’est-à-dire un gaillard qui aime avant tout rire et rapper à ses heures perdues. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il le fait très bien dans son tout premier projet solo, un album baptisé En esprit. Ce disque est avant tout marqué par un jargon bien spécifique qui agit de la même manière que les gimmicks et contribue à ancrer son identité dans les crânes de ses auditeurs. Cette année, le public était en esprit et ne parlait qu’en moula, mot tant martelé par Heuss L’enfoiré qu’il en a troublé la définition originale. De plus, l’album a été l’occasion pour le rappeur issu de Villeneuve-la-Garenne de devenir le roi des boîtes de nuit. Les méchants, Aristocrate et bien évidemment Khapta ont rythmé les vies nocturnes de fêtards par millions… Digne héritier de Jul sur ce plan, le Heuss n’en a pas oublié son premier amour : le rap. Hakan Sukur ou encore L’enfoiré sont deux belles occasions de constater le flow signature du rappeur et ses références culturelles bien à lui, entre mafia et football et jockeys. Avec En esprit, le rappeur signe un album aussi clinique que rafraîchissant qui a retourné cette année de rap français : la deuxième place est largement méritée.
1. PNL – Deux frères
Le nouveau roi du saxophone aurait pu s’emparer de la médaille d’or cette année… Malheureusement pour lui, les deux frères originaires des Tarterêts ont décidé de faire leur grand retour cette année. Partis savourer leur succès après la sortie de Dans la légende, l’album qui a fait de PNL un groupe déjà sacré du rap français, Ademo et N.O.S ont brisé un silence artistique de près de trois ans sur long format avec la sortie d’un nouvel album événement. Annoncé à travers un des clips de l’année, Deux frères a fait l’effet d’une bombe dans le rap français… Avant de perdre en aura petit à petit. Toutefois, si sur le long terme, il n’a pas forcément atteint les objectifs commerciaux visés, ce quatrième projet dans la discographie des deux artistes est peut-être le meilleur. Alors qu’ils étaient arrivés au bout de leur recette, alors que la pression n’a jamais été aussi forte, Ademo et N.O.S ont brillé avec un nouvel opus qui renouvelle très habilement leur formule. Si l’autotune et les morceaux oniriques sont toujours de mise, ils sont marqués par un rythme bien plus soutenu que sur l’album précédent. En outre, les parties rappées sont de plus en plus nombreuses et permettent donc aux rappeurs de s’exprimer pleinement. Ils ont pleinement joui de cette tribune en délivrant des couplets plus personnels que jamais. L’auditeur est invité dans l’intimité de la relation fusionnelle qui lie les deux hommes et qui forment avec leur père un triptyque iconique et indestructible. La puissance des images délivrées par Ademo et N.O.S couplées aux prods majestueuses qui parcourent l’album en font un incontournable de 2019. En bref, Deux frères est un album époustouflant qui, bien plus que le disque de l’année, figure parmi les meilleurs de son ère.
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