Après 15 ans de carrière solo jalonnée de sept albums à fort succès commercial ainsi qu’un franc succès critique, Booba est aujourd’hui pour beaucoup (lui le premier) assis sur le trône du rap français. Il règne sans pareil sur le game qu’il prétend fièrement avoir façonné comme une dictature. Mais aujourd’hui un nombre incalculable de nouveaux talents viennent frapper à sa porte afin d’obtenir la tête (ou peut-être juste la place) du roi. Si la 7ème saison de Game Of Thrones n’est pas encore sortie sur HBO, un remake de la série se trame bien sous vos yeux et en guise d’acteurs principaux : les grosses têtes d’affiche du rap game.
J’ai fait du game une dictature / Pour ça qu’on me récompense pas (Pinocchio)
Parmi les jeunes (parfois pas si jeunes) talents dont le rap français se compose, nous vous avons minutieusement sélectionné les « princes » qui disposeraient du potentiel pour succéder à Booba à la place de numéro 1. Après avoir bien dégrossi les prétendants, trois noms retiennent mon attention (bien qu’il n’ait pas été facile de passer à la trappe des noms tels que Maitre Gims, Jul ou encore MHD, mais ces derniers ne peuvent être enfermés dans une case, et celle de « rappeur » est bien trop étroite).
➡️ Damso, prince d’un univers unique
Damso entre dans le game en 2015 par la grande porte en posant un couplet remarqué (et remarquable) sur Pinocchio de Booba. En juin 2016, Dem’s s’illustre sur son premier projet Batterie Faible, certifié disque d’or en fin d’exploitation, et notamment avec le titre Amnésie qui va marquer les esprits. Le rappeur revient en avril 2017 avec Ipséité son second opus déjà disque de platine. Envisager Damso en tant que boss ne tient pas de la science-fiction tant son ascension semble ne pas avoir atteint ses limites. Le rappeur Belge le prouve en empruntant des voies différentes que celles empruntées pour Batterie Faible dans son dernier opus, et cela ne déçoit pas ses fans de « la première heure ».
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Au contraire, c’est une fanbase grandissante qui se crée autour du phénomène belge. Il peut également s’appuyer sur la fanbase de Booba, tout en séduisant des anti-Booba car il sait se détacher de l’image du DUC. Rendre populaire un rap dur et parfois vulgaire ? Pari réussi pour le rappeur qui voit désormais son titre Macarena en rotation sur Skyrock et récemment NRJ. Ses flows en continuelle évolution et ses styles différents à chaque track, ne peuvent que laisser entrevoir un avenir radieux. Mais a-t-il vraiment vocation à devenir le boss ? Comme tout rappeur, Damso a évidemment la volonté d’être numéro 1…
Atteindre l’excellence. Quand je parle de faire du sale, c’est ça. (Damso en interview pour Yard)
Cependant, il est difficile de voir en Damso la personne qui sera l’image du rap français, car une certaine partie du public n’est pas prête à lui accorder le respect, voulant lui coller l’étiquette misogyne du mec faisant du rap « pornographique » et vulgaire. Sa musique n’est également pas façonnée, de manière à ce que cela plaise à un public assez jeune, et n’a absolument pas vocation a changer pour plaire. Sa personnalité d’apparence froide n’est pas là pour arranger les choses. Alors si le rappeur a tout du leader charismatique dont le rap a besoin, il n’est pas dit que le public rap français, aussi vaste soit-il, accueille ce dernier (à la quasi-unanimité) comme l’étendard du genre. Voir aussi notre chronique d’Ipséité
➡️ Nekfeu, un prince de flammes sur le trône de Fer?
Le second prince ? On ne vous le présente plus. Il vient d’une ville où il n’y a plus de rois. Il se fît découvrir au travers des Rap Contenders il y a déjà 6 ans de cela. C’est finalement en juin 2015 que sort son tout premier album solo Feu : le phénomène prit rapidement de l’ampleur et le disque se retrouva triple disque de platine en fin d’exploitation. Un an après, le rappeur se produisit sur la scène de l’AccorHotel Arena, où il surprit son public avec la sortie d’un second album, Cyborg. Après six mois d’exploitation, le second disque a rejoint son aîné.
Le rappeur est un personnage fédérateur, et propose des textes « universels ». Il se taille une image de « gentil garçon », et il sait se servir de son image pour assurer son succès. Contrairement à Damso dans le cas précédent, il semble complètement vouloir séduire le plus de fans possibles, comme il l’a fait après Feu partant sur un road trip au sein des projets de la MZ, Gradur, Rim’K, Fixpen Sill, Nakk Mendosa ou encore Seth Gueko. Il a la chance de posséder le soutien des plus grands médias mainstream qui l’aident à gagner le cœur d’un public qui n’est pas forcément orienté vers le rap. Mais est-ce que ce n’est pas là que le bât blesse ? Voir aussi notre article sur les « gentils » du rap
En effet, ce dernier a vocation d’avoir le public le plus diversifié des trois rappeurs proposés, mais paradoxalement, il est peut-être celui qui a le public le moins large et malgré ses efforts, il est difficile de dire que Nekfeu a réussi à convaincre un public qui serait orienté « rap de rue ». Sa fanbase est uniquement composée de jeunes lycéennes ? C’est à demi vrai et le rappeur ne s’en cache pas. Maintenant, il est vrai que le rappeur pourrait se satisfaire de ses fans qui lui permettent jusqu’ici d’avoir une carrière dont il n’a pas à rougir. Toutefois, la suffisance n’amène pas au trône.
Comme j’étais absent six mois tu me fuis / Vu que dans mes concerts y’a moitié de filles (Galatée)
➡️ SCH, le prince couronné de lauriers
SCH est arrivé dans le game à l’aide d’un freestyle partagé par Lacrim sur ses réseaux. Il transformera alors l’essai avec sa mixtape A7 qui, pour beaucoup encore aujourd’hui, est l’une des meilleures mixtapes sorties ces cinq (voire ces dix) dernières années. Ce succès ne s’est pas limité à la critique, la confirmation est palpable car le marseillais peut se targuer d’avoir obtenu un double disque de platine dès son premier essai, bien que l’euphorie créée par son arrivée ait l’air de s’être calmée. Le rappeur n’est pas en reste dans le décompte d’arguments qui le propulseraient en tant que maître du jeu.
SCH part avec des arguments sérieux face à ses concurrents directs : une mixtape qui fait d’énormes chiffres, un style atypique et une musique inimitable. A son arrivée, il fascine le public. Il est celui dans cette liste qui a le plus réussi à séduire un vaste auditorat. Salué par la critique et en tête des charts même en sortant une mixtape, on aurait envie de le donner comme gagnant incontestable… mais il y a un hic. En effet, le MC est bel et bien arrivé avec un style particulier et une mixtape qui fait pratiquement office de référence seulement un an et demi après sa sortie. Cependant, le rappeur n’a pas opéré dans le sens de développer ce qu’il avait déjà installé. Voir aussi notre chronique d’Anarchie
A l’inverse, c’est une grande marche arrière qui s’amorce et ce dernier tombe dans les travers de l’inspiration trop prononcée pour Anarchie (et sera même accusé de plagiat sur le titre Ca va de Deo Favente). Au-dessus de lui plane toujours le fantôme d’A7 et ses fans pensent continuellement qu’il ne fera pas mieux. Pour finir, le train de son succès semble avoir pris un coup de mou et à sa prochaine erreur, ses fans risquent de ne pas le rater. Evidemment jusqu’ici, il est impossible de parler d’échec commercial le concernant, mais « un accident est si vite arrivé… » Le rappeur aurait facilement pu atteindre la place de boss mais « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire » ?
Chacun d’eux a à peine sorti son deuxième album, les trois étant de très bons projets ; mais lequel se démarquera sur le troisième album ? Damso est sur la bonne voie mais il a encore du respect à gagner chez certains. Nekfeu doit impérativement arrêter de tomber dans la démonstration de multi-syllabiques et le « Drake-like » pour pouvoir enfin obtenir cette reconnaissance dont il est à la recherche. SCH lui, doit continuer de façonner son personnage atypique pour pouvoir enfin nous proposer la meilleure version de lui-même (et pas la copie d’un autre). Un seul d’entre eux arrivera-t-il à gagner le respect de la quasi-totalité du public rap ? Cette place de numéro 1 n’est-elle pas vouée à disparaitre tant le public rap est polarisé ? Tout ce que l’on peut affirmer c’est que le roi n’est pas mort, observons tous cette série la saison finale est proche.